Décrypte

"Stop Béton" ou la polémique d’aménagement du territoire en Wallonie

© Getty Images

Par Romane Bonnemé

"Un abandon de la ruralité". C’est ainsi que le député-bourgmestre de Villers-la-Ville, Emmanuel Burton, aurait qualifié le nouveau Schéma de Développement du Territoire (SDT). Des mots relayés par le député André Antoine (Les Engagés) ce 12 septembre 2023 au Parlement wallon face au ministre de l’Aménagement du Territoire, Willy Borsus (MR). Ce dernier était venu répondre aux "très nombreux avis critiques à l’égard du SDT" dont il a la charge.

C’est en effet peu dire que ce projet inédit, en cours d'examen, a plutôt été jugé défavorablement depuis son adoption en mars 2023. L’enquête publique, menée cet été, a notamment été la caisse de résonance des commentaires émis par les communes wallonnes, en majorité négatifs.

Sur les 231 avis reçus lors de cette enquête, 116 étaient défavorables contre 106 favorables et 17 réservés.

Éviter la bétonisation à outrance.

"Tous ces avis défavorables, nuancés ou réservés, doivent être examinés avec le plus grand sérieux" a déclaré le ministre Borsus après avoir insisté en préambule sur "la nécessité de protéger notre cadre de vie et d’éviter la bétonisation à outrance". Car c’est bien cette bétonisation qui est au cœur des critiques. Ou plutôt la manière dont le gouvernement PS-MR-Ecolo prévoit de la limiter, voire de la stopper.

Quels sont les enjeux de l’artificialisation du sol sur le territoire wallon aujourd’hui ? Et pourquoi sa limitation ne fait-elle pas consensus ? L’équipe Décrypte fait le point, chiffres et cartes à l’appui.

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Selon les derniers chiffres publiés par Statbel ce vendredi : en 2022, près de 15,6% du sol wallon est "bâti".

Autrement dit, sur 100 km² de terrains en Wallonie, plus de 15 km² d'entre eux sont "occupés par des habitations, des routes, des mines et des carrières et de toutes autres installations, y compris leurs espaces annexes, utilisées pour la poursuite d’activités humaines", selon la définition de l’institut de statistiques.

Une occupation des terres de plus en plus importante. De 1985 à 2023, les terres artificialisées ont connu une croissance d’au moins 588 km² en Wallonie, soit l’équivalent de trois fois la ville de Tournai. Ce sont principalement les terres agricoles qui ont été grignotées par le béton.

En moyenne, 11,6 km² soit l’équivalent de 1625 terrains de football, ont été artificialisés en Wallonie chaque année depuis 2012.

Cette artificialisation galopante s’explique par le fait que "pendant les années nonante, il y a eu tout un processus d’étalement urbain, de périurbanisation : les habitants des villes sont allés habiter dans un cadre plus vert à la campagne sur des grandes parcelles", souligne Julien Charlier, géographe au sein de l’Observatoire du Développement Territorial de l’Iweps.

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Les centralités au cœur du Schéma de Développement du Territoire…

Dans ce contexte et en digne successeur du plan "Stop Béton", le SDT porte un triple objectif : "La lutte contre l’étalement urbain, la préservation maximale des terres et une utilisation efficiente et cohérente du sol par l’urbanisation". En d’autres termes : arrêter l’artificialisation croissante des sols, qui dégrade la biodiversité et l’environnement.

L’une des notions clés de ce schéma est celui des "centralités", c’est-à-dire toutes "les villes, des bourgs, des villages déjà urbanisés et équipés en routes, transports en commun, services et autres – au sein desquelles les nouvelles constructions doivent avoir lieu afin de limiter l’étalement urbain", explique Julien Charlier, géographe au sein de l’Observatoire du développement territorial de l’Iweps.

Dans le plan du SDT, les centralités sont censées absorber 75% de l’urbanisation à venir. Ce seront les communes qui, à travers leur schéma de développement communal, détermineront "de façon beaucoup plus précise quels sont les territoires qu’elles souhaitent développer et ceux sur lesquels elles souhaitent lever le pied", explique Michel Dachelet, inspecteur général en charge de l’Aménagement du Territoire au sein du Service Public de Wallonie (SPW).

Retour maximum dans les centres-villes.

Willy Borsus, Vice-Président de la Wallonie et ministre de l’Aménagement du Territoire

Invité sur la Première en juillet dernier, Willy Borsus avait rappelé que, "longtemps, on a urbanisé en périphérie des villes avec de grandes implantations commerciales qui ont vidé les centres-villes et aussi contribué à la désertification du centre." Désormais, le message du ministre est clair : "Retour maximum dans les centres-villes".

Pour y parvenir, il faudrait réduire progressivement l’artificialisation nette (la différence entre les nouvelles terres artificialisées et les nouvelles terres désartificialisées) jusqu’à atteindre zéro kilomètres carrés par an en 2050. Concrètement, "des terres seront encore artificialisées, mais un processus de compensation sera mis en place : des espaces désaffectés seront rendus à la nature", explique Willy Borsus.

Le SDT vise également qu’au milieu du siècle, 100% des nouveaux terrains soient aménagés sur des zones déjà artificialisées, notamment en réhabilitant les 3000 hectares de friches que compte la Wallonie.

Parallèlement au SDT, le gouvernement wallon planche aussi sur une réforme du Code de développement territorial (CODT) qui fixe les grands principes en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme et la manière dont le SDT sera mis en œuvre.

… et des polémiques

La principale critique faite à l’encontre du SDT porte sur le périmètre des "centralités" qui sont censées absorber 75% de l’urbanisation à venir, selon L’Avenir.

Certaines communes "craignent de perdre – à bon escient – leur qualité de vie, à cause d’une densification de l’habitat qui serait trop forte, notamment pour les centralités villageoises ou urbaines de pôles", relaye la député Véronica Cremasco (Ecolo) le 12 septembre dernier au Parlement wallon. Elle ajoute également que dans ces centralités, "ce qui participe réellement à notre cadre de vie, nous permet de respirer, nous permet parfois aussi de produire de la nourriture […], sont aussi des emplacements paysagers vitaux et bien localisés. Eh bien, ils vont disparaître."

Comment concilier une importante hausse démographique, la croissance économique et le Stop béton à un moment même où l’attractivité de la Région wallonne est malmenée ?

André Antoine (député wallon Les Engagés)

À l’inverse, les élus s’inquiètent aussi que certaines parcelles de leur commune qui n’entrent pas dans le périmètre des "centralités" subissent une dépréciation financière, note l’Avenir. Toujours ce 12 septembre au Parlement, le député André Antoine (Les Engagés) a ainsi fait part des "incertitudes qui pèsent sur les territoires situés hors centralités quant à leur constructibilité".

Ce député avait déjà exprimé une autre crainte le lundi 29 mai 2023 au parlement wallon en se demandant "comment concilier une importante hausse démographique, la croissance économique et le Stop béton à un moment même où l’attractivité de la Région wallonne est malmenée ?" Question légitime quand on sait qu’avec l’augmentation de la population en Wallonie, 10.000 nouveaux logements devront être construits d’ici à 2030, et 10.000 autres entre 2030 et 2050.

Plus de logements moins grands

Cette hausse constante du nombre de logements serait contrebalancée par une diminution de leurs surfaces cette dernière décennie. Avec une croissance de 16 km²/an dans les années 2000, l’artificialisation des sols est passée à 12,7 km²/an sur la période 2010-2014 puis à 11,2 km²/an sur la période 2015-2019.

Pourquoi cette baisse ? "On constate une réduction de la taille des ménages en Wallonie avec le vieillissement progressif de la population mais aussi l’augmentation du nombre de ménages isolés et de la diminution du nombre d’enfant par couple. Conséquence ? Des besoins en logement plus petits, en appartement ou sur des parcelles moins vastes", répond Julien Charlier de l’Iweps. Ces dernières années, 70% des nouveaux logements sont des appartements.

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Toutefois, cette diminution est relative car l’artificialisation a repris de plus belle pour la période 2022-2023.

Pour preuve : durant les trois dernières années 2020-2022, le rythme d’artificialisation nette a réaugmenté à une moyenne de 12,2 km²/an selon les chiffres du cadastre.

Cette reprise serait une conséquence des confinements successifs pendant la pandémie de Covid-19: "Les gens ont acheté des terrains en périphérie dans un cadre plus vert soit parce qu’ils se sentaient plus oppressés en ville ou parce qu’ils pouvaient davantage télétravailler", avance Julien Charlier. Une hypothèse qui doit encore être vérifiée selon le géographe.

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De nombreux impacts environnementaux

Quelles que soient les dernières évolutions, les conséquences de l’artificialisation sur la dégradation du sol existent bel et bien.

D’abord, son impact sur l’infiltration et l’enracinement mais aussi sur l’érosion du sol à cause du tassement de la terre par les engins agricoles. Cette compaction du sol va favoriser les inondations. Celles que la Wallonie a connues en juillet 2021 ont été l’occasion d’observer les effets dévastateurs d'une artificialisation à outrance.

"Pour résister au dérèglement climatique, la Wallonie doit conserver un maximum d'espaces naturels"

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Par ailleurs, les sols artificialisés sont aussi davantage imperméables et donc par définition l’eau va être moins bien absorbée. En conséquence, explique Aurélie Cauchie, "la vie du sol qui était contenue va mettre entre 300 et 1000 ans avant de revenir à un niveau normal".

Mais plus globalement, ajoute la chargée de mission au sein de Canopea, la fédération des associations environnementales belges qui défend l'environnement en Wallonie et en Belgique, l’artificialisation va aussi avoir des conséquences dans la lutte contre le réchauffement climatique. "Elle compromet la capacité des sols à être des puits de carbone, en particulier, les tourbières et les sols organiques." Des puits de carbone, ce sont ces lieux qui absorbent le CO2 et réduisent l’effet de serre.

Selon le Groupement International des Experts sur le Climat (GIEC), l’extension urbaine et les constructions en périphérie des villes sont l’une des causes du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité.

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La difficile réglementation sur l’artificialisation

Face à ce constat, difficile d’expliquer pourquoi il n’y a toujours pas d’obligation légale pour arrêter, ou du moins limiter, l’artificialisation des sols en Wallonie, regrette Aurélie Cauchie, de Canopea.

Il y a certes eu le Schéma de l’Espace Régional (SDER) adopté en 1999, toujours en vigueur, "assez dépassé" aujourd’hui explique Michel Dachelet, inspecteur général au SPW en charge de l’Aménagement du Territoire. "En effet, ajoute-t-il, à l’époque on commençait seulement à parler de réchauffement climatique et l’élément clé c’était la lutte contre l’étalement urbain tandis que le souci de réduction de l’artificialisation était beaucoup moins important, notamment parce qu’on avait beaucoup moins de sensibilité au à l’érosion de la biodiversité par exemple". Ce SDER a fait l’objet de nombreuses tentatives de révision au fil des années, notamment en 2019. Mais sans succès.

Avec le SDT, les choses pourraient changer. Le Schéma de développement du territoire (SDT) est considéré comme "l’outil faîtier de l’aménagement du territoire", selon les termes de Michel Dachelet.

Pour l’heure, patience : "Encore quelques semaines de patience pour avoir la synthèse [des contributions à l’enquête publique] et quelques mois avant une version finalisée du texte", a conclu le ministre Borsus au Parlement wallon ce 12 septembre. Réponse sur l'avenir du SDT début 2024 donc.

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