Belgique

Statut de repenti : pour qui ? Dans quels cas ? Et pourquoi "c'est extrêmement délicat" ?

L'invité dans l'actu : Alexandre Wilmotte

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Par Miguel Allo avec la cellule judiciaire et l'invité de Matin Première

Depuis ce mardi, on entend beaucoup parler de la notion de "repenti", mais de quoi s’agit-il concrètement ?

Rappelons que l’ex-eurodéputé italien Pier Antonio Panzeri, soupçonné de corruption pour le compte du Qatar et du Maroc dans le cadre de l’enquête  au Parlement européen, a signé une convention de collaborateur de justice, autrement dit de repenti. Dans ce document l’ex-eurodéputé s’engage "à un certain nombre de révélations. Des révélations qui sont relativement détaillées dans un document signé […] qui s’appelle un mémorandum", explique Eric Van Duyse, porte-parole du parquet fédéral.

"Il s’engage à faire des déclarations substantielles, révélatrices, sincères et complètes concernant la participation de tiers et, le cas échéant, de sa propre participation", précisait le parquet fédéral mardi après-midi.

En échange des informations qu’il s’engage à donner à la justice, le repenti verra : "sa peine de prison ou sa peine allégée par rapport à ce qu’il aurait pu attendre", poursuit Eric Van Duyse. Il ajoute que le mémorandum est très précis et qu'"il prévoit cinq ans de prison dont quatre avec sursis.  Ça veut dire un an ferme. Monsieur Panzeri fera donc effectivement de la prison."

Évidemment, si les informations données par l’ex-eurodéputé italien "n’étaient pas sincères, véritables, efficaces, la convention serait purement et simplement annulée". Entendez, Pier Antonio Panzeri perdrait les avantages du mémorandum signé ce mardi.

Pour résumer, c'est un contrat entre le parquet fédéral et le prévenu où ils se mettent d'accord sur des échanges d'information contre un allègement de la peine. Cet accord doit encore être validé en fin de procédure par la Chambre du Conseil, lorsque les différents acteurs de ce dossier seront renvoyés devant un tribunal. La Chambre du Conseil vérifiera s'il y a bien un équilibre entre ce qui est attendu du repenti et ce qui a été négocié par le parquet en termes de remise de peine. 

Quand et pourquoi l’utiliser ?

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Image d’illustration © getty images

Le statut de repenti ne peut pas être demandé dans n’importe quelle affaire. Alexandre Wilmotte, avocat au barreau de Liège, précisait ce matin : "C'est une possibilité qui permet à la justice d’aller plus vite et d’éviter des enquêtes extrêmement longues et coûteuses". Il précise : "C’est-à-dire qu’il y a un principe de subsidiarité. On ne doit passer par ce type de possibilité — le repenti — que si les autres moyens d’investigation ne sont pas possibles".

Faire confiance à une personne qui est elle-même auteure d’infraction

Pour l’avocat au barreau de Liège, il faudrait vérifier que les moyens mis en œuvre jusque-là ne suffisaient pas à établir la vérité. "Il ne faudrait évidemment pas que ce statut soit utilisé uniquement pour aller plus vite et uniquement pour des raisons financières". De plus, il ne faut pas se baser sur ce seul témoignage, qui plus est "d’une personne qui est elle-même inculpée dans un dossier". Et de rappeler que le statut de repenti lui semble "extrêmement délicat puisqu’il nécessite que l’on fasse confiance, dans une certaine mesure, puisqu’il y a bien entendu des garde-fous, aux déclarations qui sont faites par une personne qui est elle-même auteure d’infraction".

Si je commets tel type d’infraction, est-ce que le risque n’en vaut pas la chandelle puisque je sais qu’il y a ce statut… ?

Le statut de repenti permet donc de diminuer la peine en échange de révélations "substantielles, révélatrices, etc.". Mais ce qui est un peu délicat, estime Alexandre Wilmotte, c’est que ce statut pourrait faire des émules notamment en matière financière et cela "même à l’avance""Puisque cela s’y prête, de se dire : 'Si je commets tel type d’infraction, est-ce que le risque n’en vaut pas la chandelle puisque je sais qu’il y a ce statut que je pourrais négocier le cas échéant et qui pourrait alléger ma peine ?'". Et l’avocat de rappeler que ce n'est pas si simple d'être repenti. Dans ce cas-ci, la peine d’emprisonnement est de cinq ans et assortie de quatre années avec sursis. "Ce qui veut dire qu’il n’y aurait qu’un an d’emprisonnement ferme. Et qui plus est, il y aurait visiblement une perspective de surveillance électronique pour une partie de cette peine". 

Une convention assez rare en Belgique

La loi sur les repentis n’existe que depuis 2018 en Belgique. Depuis lors, c’est la deuxième fois qu’elle est utilisée. La première utilisation par le parquet fédéral date du 25 novembre 2021 dans le cadre du "footgate" où l’ancien agent serbe Dejan Veljkovic est devenu le premier repenti de l’histoire judiciaire belge.

"Il faut trouver dans la chaîne criminelle une personne qui est suffisamment bien placée pour avoir des informations sur l’ensemble du dossier et sur l’ensemble de ce qui l’entoure", précise Eric Van Duyse.

Une méthode décriée

Ce matin, sur nos antennes, le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open Vld), estimait que : "Parfois, on a besoin d’une telle méthode pour dévoiler toute la vérité. Cette méthode s’appelle Pentiti car on l’a utilisée pour briser la mafia en Italie. C’est une méthode que l’on peut utiliser, bien encadrée, bien conditionnée. Mais c’est une méthode avec laquelle travaille la justice (belge)". Et de rappeler qu’au final : "Sur la méthode, c’est le parquet fédéral qui décide de l’utiliser ou pas, mais finalement ce sera le juge qui va décider sur la peine. Donc même si on fait un mémorandum, c’est toujours la justice, au final, qui décide du sort de l’inculpé".

Alexandre Wilmotte rappelle aussi que plusieurs éléments, dont la proportionnalité, doivent encore faire l’objet d’une analyse et de vérifications par la Chambre du Conseil, mais il a le sentiment que cette mesure est un peu "au goût du jour". Et "c’est-à-dire que vous avez les mesures de transaction pénale qui permettent aussi à certains de payer en échange d’une certaine impunité. Ici, vous n’avez pas une impunité complète, mais vous bénéficiez d’une réduction manifestement conséquente de peine, moyennant le fait que vous allez dire que vous collaborez avec la justice comme si c’était un remerciement, de dire à quelqu’un 'merci de collaborer avec la justice, et puisque vous le faites, on va vous octroyer une réduction de peine'". Des mesures qui, estime l’avocat : "sont délicates sur le plan éthique." Et concernant ce cas-ci, l'avocat n'est pas certain que le choix du parquet plaise à la population.

L’interview complète d’Alexandre Wilmotte ce 18/01/2023 sur la Première

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