La couleur des idées

Stanislas Dehaene ou le "connais-toi toi-même neuronal " : "il n’y a pas de pensée immatérielle"

Stanislas Dehaene au Collège de France

© Collège de France Patrick Imbert

Ce samedi dans la Couleur des Idées, Pascale Seys reçoit Stanislas Dehaene à propos de la sortie de son ouvrage "Face à face avec son cerveau" qui paraît aux éditions Odile Jacob.

Professeur au Collège de France et mathématicien de formation, il a suivi les cours du neurobiologiste Jean-Pierre Changeux. Depuis près de quinze ans, il est titulaire de la chaire de psychologie cognitive expérimentale du Collège de France. Après Les Neurones de la lecture, La bosse des maths et Apprendre ! : les talents du cerveau, le défi des machines, il publie, toujours aux éditions Odile Jacob, Face à face avec son cerveau. Un "face à face" qu’il qualifie d’"émouvant". Son ouvrage est construit comme un livre d’art puisqu’on y trouve cent représentations du cerveau, chacune accompagnée d’un texte permettant une meilleure compréhension de l’activité des 86 milliards de neurones propres à l’être humain. Stanislas Dehane confie avoir souhaité "montrer la beauté du cerveau". Un peu jaloux de ses collègues astrophysiciens et des images fournis par des télescopes spatiaux comme James Webb, il a trouvé que la beauté du cerveau méritait d’être connue de la même manière, c’est-à-dire par de grandes illustrations en couleur. Admirateur de Georges Perec, il s’est donné une contrainte dans l’écriture : à chaque image correspond un texte devant tenir sur une page allant au-delà de l’image, conçue pour être inspirante. Son but ? Faire comprendre sans trop de difficultés les principaux axes de ce domaine immense que sont les neurosciences et surtout, celles du cerveau humain.

Le cerveau est matière

Stanislas Dehane commence par nous exposer ce qu’est un cerveau. Ce qui est "peut-être l’objet le plus complexe de l’univers" est en fait un kilo et demi de matière molle, pleine de plis, de rigoles et de ridules, correspondant à "une extraordinaire organisation à toutes les échelles". Quand on observe un cerveau avec une IRM (Imagerie par résonance magnétique), on y voit un cortex plissé (du latin "cortex" qui signifie "enveloppe, écorce"), soit une surface de quelques millimètres d’épaisseur qui se plissent pour pouvoir rentrer dans la boîte crânienne. Si on zoome, on va y trouver toute une hiérarchie de circuits composés de cellules et neurones, composés eux-mêmes d’une arborescence très complexe. On pourrait zoomer encore à l’échelle de la molécule, échelle qui était celle de l’analyse de Jean-Pierre Changeux avec qui notre invité a collaboré étroitement. Si Jean-Pierre Changeux se focalisait plus sur les aspects moléculaires et cellulaires, Stanislas Dehaene a préféré lui se concentrer sur les aspects cognitifs. De cette dualité, il dit :

Cela décrit bien l’extraordinaire difficulté pour comprendre le cerveau où il faut réussir à mettre en relation cette échelle biologique avec les fonctions cognitives, essayer de comprendre comment la pensée émerge de ces circuits.

La spécificité du cerveau humain

Revenons au cortex. On constate que chez l’homme ce plissement est considérable. Il s’agit d’une "astuce de l’évolution" pour caser une surface plus grande de cortex dans un espace qui ne peut pas grandir à l’infini – car il faut bien que la tête du bébé puisse passer au moment de l’accouchement ! Par conséquent, le diamètre de la tête ne doit pas excéder une certaine taille. Grâce à ces plissements du cortex, l’espèce humaine a réussi à caser une surface corticale plus grande dans un espace qui reste relativement faible (même si la tête humaine est plus grosse que celle des autres primates). "Cela a une conséquence intéressante", déclare Stanislas Dehaene. Il s’explique :

Nous naissons extrêmement immatures avec un cerveau petit même s’il est déjà organisé. Cela va permettre au cerveau humain d’acquérir des données dans l’environnement pendant une vingtaine d’années. Cette durée d’immaturité est absolument unique dans le monde animal ! Elle s’explique sans doute par le fait que nous avons des algorithmes d’apprentissage exceptionnels dans le cerveau humain et donc, que nous bénéficions beaucoup plus que d’autres espèces de cette interaction avec l’environnement et les autres. Ainsi nous nous enseignons les uns aux autres, nous créons des systèmes éducatifs. Tout ceci est complètement propre à notre espèce.

Ce que nous apprend le cerveau des jumeaux

Paul Valéry écrivait : "Maître cerveau sur son homme perché tenait dans ses plis son mystère". Pour tenter de résoudre une partie de ce mystère, une expérience a été menée consistant à scanner les cerveaux de seize personnes, en réalité huit paires de cerveaux de vrais jumeaux, pour voir à quel point ils étaient similaires ou différents. Il s’avère qu’ils sont extrêmement différents même s’il s’agit de vrais jumeaux, c’est-à-dire de jumeaux issus de la division d’un seul ovule et possédant le même ADN. Cette image relativise le pouvoir des gênes. Si ce dernier a bel et bien un impact sur notre cognition, ces scans de cerveaux de jumeaux montrent qu’il y a aussi un énorme pouvoir de l’environnement et de l’apprentissage dans le cerveau, notamment dans le cerveau humain qui se plisse de façon très différente, même macroscopiquement. "On regarde ces cerveaux de jumeaux et on a du mal à trouver lesquels vont ensemble" témoigne Stanislas Dehaene. En effet, même de vrais jumeaux peuvent avoir des plissements très différents. "Cela est vrai aussi de l’ensemble de leurs représentations mentales". Stanislas Dehaene prend pour exemple des cas où l’un des deux jumeaux est atteint d’autisme ou de schizophrénie et pas l’autre mais aussi, tout simplement, les différences de caractère qu’ils peuvent y avoir entre eux. Stanislas Dehaene conclut :

Tout cela démontre que le pouvoir de l’apprentissage sur le développement du cerveau humain est absolument considérable.

Retrouvez l’intégralité de l’entretien mené par Pascale Seys, à écouter ci-dessous ce samedi 19 mars dès 11 heures.

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