Deux ans après leur magistral premier album éponyme, le groupe de post-punk californien Spice revient avec "Viv", un second disque plus doux-amer qui, bien que toujours porté par le charisme et les textes viscéraux du leader Ross Farrar, manifeste un certain apaisement. Fataliste mais plus lumineux, les instants de douleurs vifs et intenses du disque précédent font place aux regrets et convoquent une sorte de mélodieuse lassitude. A 9h d’écart et quelques cafés, on a discuté quelques minutes avec le bassiste Cody Sullivan de la vie, de la Californie et de cette légère mutation musicale.
Juillet 2020, un été comme aucun autre pareil, étrange bulle de délivrance estivale après deux mois de pandémie inédits. Moment choisi par Spice, quintet issu du Nord de la baie de San Francisco et composé de musiciens chevronnés, pour sortir leur premier disque sobrement intitulé "Spice".
L’alchimie prend un peu par hasard en 2018 quand Ian Simpson (guitariste), Cody Sullivan (bassiste) et Victoria Skudlarek (violon) invitent Ross Farrar (leader) et Jake Casarotti (batteur) (et tous deux membres du groupe de punk rock Ceremony) à écouter certaines de leurs nouvelles démos : "On a un jour fait écouter quelques démos à Jack et Ross de Ceremony et ils ont tout de suite été super emballés et excités de prendre part au projet. Très vite ils ont commencé à nous accompagner en studio, à réfléchir à quoi enregistrer et que faire ensemble. Ça a été assez facile. Nous sommes bons amis depuis longtemps et moi et les gars de Ceremony on a déjà joué dans plusieurs bands ensemble par le passé donc ça été un match assez facile. "
De ces prolifiques sessions d’enregistrements se dégageront neuf titres d’une intensité et d’une puissance émotionnelle remarquables. En moins de trente minutes, Spice enchaîne ses morceaux de vitesse et de longueur variables, brillamment interprétés par le leader Ross Farrar qui, s’il n’a plus grand-chose à prouver professionnellement parlant, semble cependant avoir toujours des choses à régler émotivement. Sans jamais trop en faire, il aborde frontalement ses revers, ses errances et déconvenues, sa souffrance psychique massivement soutenue par une guitare aiguisée et une tonitruante batterie.
And all my worst selves keep surfacing up Again [all my best shit]
A la singularité du chanteur, à la complicité manifeste de ses musiciens, s’ajoute l’amour tout particulier que le groupe voue à sa ville et son état d’origine, San Francisco et la Californie. Spice transpire la côte ouest américaine et chacun de ses membres en maîtrise parfaitement les codes culturels, esthétiques et musicaux. "L’endroit d’où on est tous issus nous inspire énormément même si beaucoup de choses sont inconscientes. Ross et moi avons énormément discuté du style des textes qu'il écrivait pour y ajouter du vocabulaire, des expressions typiques argotique de la côte ouest. Ross a vécu à Syracus dans l’état de New-York où il a notamment étudié la poésie. Ça n’a pas été un moment de sa vie très facile donc je pense qu’il s’en est inspiré dans ses textes, mais nos principales influences sont californiennes. "
"I don’t wanna die in New-York", morceau de clôture de ce premier disque, en résume parfaitement l’essence.
"Viv"
Moins de deux ans et un EP plus tard, alors que Ross, Jack et le reste de Ceremony finissent de partager l’affiche des jeunes trublions de Turnstile à travers leur tournée aux Etats-Unis, Spice sortait ce vendredi 20 mai leur second album baptisé "Viv". Titre équivoque mais poétique, recyclé du nom d’un ancien groupe éphémère lancé par Victoria et Cody.
Viv s’ouvre sur "Recovery" qui, une fois encore, éclabousse de ses riffs de guitare et de sa robuste batterie. Sorte d’hymne post-hardcore, intense, électrique, il interroge les matins de lendemain de veille et les bad decisions: "So what’s left to escape ? […] You sacrifice perfect days to laugh through the right, You have to get out of bed and it’s hard".
"Je ne répondrais pas à sa place mais je dirais que le message derrière c’est avant tout d’être indulgent avec soi-même et de faire de son mieux. De ne pas ignorer le fait que faire des conneries c’est drôle, que faire un peu le con aussi mais qu’on va de toute façon finir par le payer le lendemain. C’est un peu sur cette drôle de dualité. Ross est dans une phase de guérison. A mesure que nous vieillissons on essaye aussi d’être meilleur avec nous-mêmes."
Le disque s’enchaîne avec "Any day long", hymne catchy dans la même veine que le morceau précédent, qui laisse place à "Ashes in the Birdbath". Plus apaisé, on y redécouvre sur ce dernier toute la beauté du violon de Victoria. Sous-estimé sur le premier album, il reprend ses lettres de noblesse : "Je pense que ça a beaucoup à voir avec la manière dont ce second album a été enregistré. Ce n’est pas très commun finalement d’intégrer du violon dans ce type de musique post-punk ou peu importe comment tu la qualifies. Du coup au début, sur le premier l’album, c’était plus difficile de le concevoir."
Sur ce disque on a vraiment fait attention à ce que le violon ait un impact important. Il a ce pouvoir de rendre les choses plus scary et mélancoliques.
Présence confirmée sur "Melody drive", mystérieux interlude instrumental et sur Vivid, plus long morceaux de l’album, certainement le plus lancinant et torturé.
Sans rentrer dans des considérations rédemptrices, "Viv" semble balayer la colère et la douleur du premier disque au profit des regrets, d’un fatalisme et d’une forme de mélancolie. "Je pense que dans le premier album on ne se rendait pas compte de ce qu’on voulait, de toute la colère qu’on y a mise. C'est ce qui le rend si nerveux. Le premier album est vraiment douloureux. Je pense que dans l’EP on a déjà commencé à jouer des sons plus longs… Donc ce nouveau est définitivement plus lent, long, il ne t’explose pas comme Spice à la figure, on a mis plus de temps à réfléchir aux textes."
Viv se termine par "Climbing Down The Ladder", ballade d’une douceur artificielle qui clôt en apothéose un second disque qui témoigne à bien des égards des nouveaux horizons foulés par le groupe.
Mid90s
"Viv" dégage également une douce nostalgie 90', incarnée à travers les errances et gueules de bois d'un skatteur, le temps de trois clips vidéo ("Bad Fade", "Recovery" et "Any day now"). Sans destination particulière, il déambule solo dans ce qui pourrait ressembler à la périphérie de San Francisco 25 années en arrière.
C'est pas forcément toujours très glamour mais ça donne presque envie de le rejoindre, de s’arrêter dix minutes sur une aire d’autoroute désuète bordée de vieux palmiers et de néons rouges criards pour acheter des clopes, un Dr. Pepper et un vieux sandwich. Sentir l’odeur du béton chaud et terminer en s’époumonant dans une petite salle de concert qui sent gentiment la sueur et la bière.
On vous laisse juger.