"Sous l’eau, les larmes du poisson ne se voient pas" est un voyage sonore de trois épisodes au cœur de l’histoire de la famille de Delphine Wil. Accompagnée de Jeanne Debarsy, l'autre réalisatrice du podcast, elles nous emmènent, micro à la main, en Belgique et au Congo, pour revenir sur les traces du passé de Delphine et de sa maman, Amélie, qui les accompagne dans leur quête et expéditions.
Née d’une mère congolaise, Astrida, et d’un père belge, Félix, parti au Congo pour missionnariat en 1934, Amélie, qui n’était jusqu’alors plus jamais revenue dans son pays d’origine depuis l’âge de sept ans, (re)découvre l’histoire qui a façonné ses racines. Une tâche qui s’avérera parfois compliquée. C’est un retour aux sources et aux souvenirs sous un récit fort et poétique, malgré les questionnements et thématiques parfois lourdes qui y sont abordées. Le podcast est une histoire familiale qui traverse l’Histoire et les conséquences coloniales.
Refaçonnant et élaguant les écrits du journal de bord de Félix, Delphine et Jeanne entremêlent et superposent les chemins empruntés. Une route qui les mènera à des endroits insoupçonnés, notamment dans la découverte de l’histoire d’Astrida, la grand-mère de Delphine, jusqu’à présent exclue du récit familial. Les Grenades ont eu l’occasion de rencontrer les réalisatrices pour discuter avec elles de ce podcast.
Quel a été le point de départ de votre projet ?
Delphine Will : Il a commencé il y a quelques années après avoir réalisé un film sur les missionnaires belges partis au Congo à l'époque coloniale (NDLR : "Mémoire de missionnaires"). Cela se basait sur des recherches sur mon grand-père qui ont abouti sur un projet plus généraliste et moins personnel. On a collaboré ensemble avec Jeanne sur ce film puisqu’elle s'occupait du son.
Quand le projet de film a pris fin, Jeanne m'a proposé d'aller un peu plus loin dans l’aspect personnel, et d’en faire une création sonore parce qu’il restait des zones d’ombre, notamment sur ma grand-mère. C'est comme ça que le projet a démarré. Savoir d’où venait ma famille, ce sont, certes, des questions que je me suis toujours posées. Quand j'étais petite, j'ai beaucoup demandé à ma mère de m'emmener au Congo, et elle m'a toujours dit "non c'est trop dangereux". Ça a toujours été une envie chez moi d'aller retrouver ces origines, de savoir ce que la famille avait fait là-bas, mais je n’approfondissais pas plus. Je ne me suis jamais posé les questions qui vont aussi loin que dans le podcast. Ces questions ont émergé grâce au projet, et grâce à Jeanne.
Jeanne Debarsy : Pour la petite histoire, ce sont seulement les deux premiers épisodes qui avaient été imaginés au départ, et qui concernaient la vie du grand-père de Delphine, Félix. Cela signifiait donc de s’envoler jusqu’au Congo avec la maman de Delphine, en essayant de repartir sur les traces du grand-père. Sur place, nous apprenions de nouvelles choses, certaines petites fenêtres se sont ouvertes et on s'est dit qu'il fallait qu'on continue le projet, notamment sur la grand-mère qui a passé la majorité de sa vie en Belgique. Quand nous sommes revenues, on a refait une demande de subvention au Fonds d’aide à la création sonore et radiophonique de la Fédération Wallonie-Bruxelles afin de pouvoir proposer cette troisième partie. Le plan n'était donc pas ficelé d'entrée de jeu.
Ce sont des questions qui m'animent et me fâchent
Pourquoi avoir décidé de faire ce projet ensemble, là où on parle d’une histoire qui est propre à la famille de Delphine ?
D.W. : Si j'avais été toute seule, je ne sais pas si j'aurais pensé à poursuivre le projet déjà entamé, notamment parce que cela faisait beaucoup d'années que je me consacrais à ce sujet, que j'avais l'impression d'en être essoufflée. C'est vraiment parce que Jeanne est venue avec cette proposition-là qu’il a vu le jour. Par ailleurs, elle a toute l'expérience des projets sonores, notre duo était quelque part idéal.
J.D. : Par rapport à "Mémoire de missionnaires", j'ai senti que Delphine allait peu voir dans les aspects familiaux, personnels, et je sentais qu'il y avait quelque chose à creuser. J'avais envie de lui permettre de sortir ces choses-là. La collaboration s’est construite notamment pour que ça soit moins frontal pour elle. Via moi, on pouvait, je pense, plus facilement aborder certaines questions, notamment concernant la maman de Delphine. Cela arrangeait bien que, parfois, ça soit moi qui pose certaines questions plus délicates ou personnelles parce que les réponses allaient nécessairement être différentes en fonction de la personne qui les posait. Cela permettait d’avoir un regard plus détaché, avec un peu plus de recul puisque je ne connaissais ni sa maman ni sa famille avant.
D.W.: C'était un travail complémentaire. Je me suis aussi rendu compte que le duo permettait d'aller plus loin, dans les questions auxquelles moi je n'aurais pas pensé, surtout celles qui sont plus de l'ordre de l'émotionnel et que je n’ai pas tendance à extérioriser [rires].
Comment, Jeanne, vous êtes-vous approprié le sujet ?
J.D. : Comme nous le disions, la porte d’entrée du podcast était l’histoire du grand-père de Delphine, parti au Congo dans un contexte colonial. En tant que belge, c’est évidemment une question à laquelle je suis sensible. Elle l’était, comme celle du missionnariat. Je viens d'une famille très pratiquante. C’est une éducation que j’ai essayé de déconstruire à l'adolescence. Les processus de christianisation m'interrogent et me révoltent. J'ai aussi aimé aborder ce projet par ce prisme-là : voir comment un ardennais décide de s'engager dans la voie religieuse, choisi de traverser le monde pour aller transmettre cette parole-là et essayer de convertir des gens. Ce sont des questions qui m'animent et me fâchent. Après, on s'est faites complètement embarquées dans l'histoire du grand-père. C'était intéressant de travailler avec Delphine sur ces questions parce qu'elle a un regard - probablement dû à son passé journalistique - très objectif, réfléchi et mesuré sur tous ces mécanismes. Ça m'a aidé à rééquilibrer mes positions.