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SOS RTBF : comment les journalistes réagissent-ils aux appels de détresse ?

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Par Un article d'Isabelle Palmitessa, journaliste de la rédaction Info

"Vous êtes mon dernier espoir". Bien des journalistes ont un jour lu ou entendu cette phrase.

Un père désespéré à l’idée de perdre la garde de ses enfants, une famille qui se retrouve à la rue après une expulsion, un indépendant au bord de la faillite… Des femmes et des hommes qui ne savent plus à qui s’adresser et qui se tournent vers les médias.

A la RTBF, ce sont notamment les rédactions régionales qui reçoivent régulièrement ce type d’appel. "Nous recevons de plus en plus de courriers et de coups de fil de ce genre, parfois nous avons même des personnes qui se présentent sur place et demandent à rencontrer un journaliste", raconte Vinciane Votron, responsable éditoriale à Mons.

Des journalistes qui peuvent écouter, selon leur disponibilité, mais qui la plupart du temps n’ont pas de solutions à offrir. "S’il s’agit d’un dossier qui est en cours de traitement par la justice, on ne peut pas interférer. Parfois, il nous arrive de passer des coups de fil à des CPAS ou autres services sociaux concernés mais on ne le fait pas systématiquement."


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A Liège, la responsable éditoriale, Anne Poncelet, est elle aussi souvent confrontée à des appels de détresse : "j’ai récemment répondu à une dame âgée dans le cadre d’un conflit familial, elle ne savait pas quoi faire et je ne pouvais rien faire pour elle mais j’ai pris le temps de l’écouter. On peut aussi diriger les personnes vers l’un ou l’autre service qui est compétent pour leur venir en aide".

Vinciane Votron ajoute : "j’ai l’impression que nous sommes vus comme la dernière solution possible mais il faut dire aussi que parfois, les personnes ne comprennent pas bien le fonctionnement des institutions ou alors, elles les connaissent mais n’ont pas reçu de réponses".

Désespoir et projet de suicide

On le constate, les journalistes se sentent souvent démunis face à des témoignages de détresse majeure. Anne Poncelet est restée très marquée par un appel reçu il y a quelques années.

"J’y repense encore souvent", nous raconte-t-elle. "Ce jour-là, un homme a appelé la rédaction pour nous dire qu’il avait préparé son suicide. Il avait été victime d’une arnaque à caractère sexuel sur internet et des maîtres chanteurs lui réclamaient de grosses sommes d’argent. Il avait déjà payé mais on lui réclamait plus et il craignait de perdre la garde de son fils s’il était dénoncé à la police. Je l’ai écouté, la conversation a été très longue. Je lui ai dit qu’il était avant tout une victime dans cette histoire et je lui ai demandé s’il acceptait qu’on l’aide. Je l’ai mis en contact avec Olivier Bogaert, commissaire à la Computer Crime Unit (qui intervient régulièrement sur Classic 21 pour sa rubrique Surfons tranquille), il a accepté. J’ai même appelé la police locale concernée pour m’assurer que cet homme serait bien accueilli quand il viendrait déposer plainte."

Est-ce là le rôle d’une journaliste ? "Je pense qu’effectivement, ce n’est pas notre job", admet Anne. "Mais si on ressent la détresse des gens et qu’on a les moyens de les aider parce qu’on connaît bien la société, on peut le faire. Le problème, c’est qu’il n’y a pas toujours quelqu’un qui est là pour décrocher, nous ne sommes pas toujours disponibles."

Malheureusement, cette histoire n’est pas isolée.nBénédicte Paquot nous le confirme.

Bénédicte s’occupe de la ligne rouge de la RTBF et de la boîte mail correspondante. C’est elle qui reçoit les informations communiquées par nos auditeurs et téléspectateurs. Et parmi tous ces messages, on trouve aussi des appels à l’aide et des témoignages de très grande détresse.

"J’ai eu récemment, coup sur coup, deux mails de personnes qui annoncent qu’elles vont mettre fin à leurs jours. Des personnes qui avaient de graves problèmes suite à la crise sanitaire et au confinement. Notamment un homme qui avait de gros problèmes financiers, pour différentes raisons. Il avait besoin d’être entendu et par son témoignage il voulait nous donner une idée du désespoir dans lequel se trouvent certaines personnes. J’ai renvoyé ce mail à une professionnelle de la prévention du suicide et je me suis assurée que ce monsieur avait été rappelé. Moi, je ne suis ni formée, ni armée pour le faire."


Centre de prévention du suicide - n° d’appel gratuit : 0800 32.123

Consultations pour l’accompagnement de la crise suicidaire pour soi-même ou un proche et pour l’accompagnement du deuil après suicide : 0476/53.00.84


Former les journalistes pour leur apprendre à répondre aux appels de détresse ? C’est ce qu’aimerait avoir Sandro Faes. Editeur à la rédaction web, il a fait lui aussi l’expérience d’une conversation téléphonique très longue avec une dame âgée qui parlait de suicide. "Je suis resté une heure et demie ce soir-là avec la dame, au téléphone. Son numéro était masqué, je ne pouvais pas appeler les secours. Elle a fini par me remercier de l’avoir écoutée et elle a raccroché mais je n’ai jamais su ce qu’elle était devenue. C’est très lourd de se sentir aussi démuni."

Sortir de l’intime pour rendre une souffrance collective

Deborah Deseck est chargée de communication au Centre de prévention du suicide. Sur ce phénomène des appels d’extrême détresse qui parviennent à la RTBF, elle apporte une explication intéressante : "notre hypothèse, c’est que vous avez une personne qui vit une souffrance très intime mais cette souffrance est associée à des facteurs de risques qui sont collectifs. Cette personne fait une démarche pour sortir de son cas individuel et pour collectiviser le problème qu’elle amène. La personne a l’impression qu’elle n’est pas écoutée, que sa souffrance n’est pas prise en compte et elle nécessite une réponse du collectif. C’est pour ça qu’elle s’adresse aux médias. C’est comme un appel à un tiers pour obtenir une forme de justice et une reconnaissance de souffrance via les médias qui sont un peu un miroir de la société".

La personne n’a pas besoin d’être interviewée, elle interpelle le collectif pour une réponse collective.

Le confinement, la crise sanitaire, l’isolement, les problèmes personnels et financiers liés à la crise sanitaire sont souvent à l’origine des appels de détresse qui parviennent ces derniers mois dans les rédactions.

►►► Relire à ce propos l’article "Coronavirus : l'"épuisement pandémique" explose en Belgique, surtout chez les jeunes".

© ImageGlobe Photo Jonas Hamers

Trouver les bons mots, avoir la bonne attitude

Nous l’avons vu, les journalistes sont interpellés mais ils se trouvent peu armés pour venir en aide et pour répondre correctement à ces personnes désespérées.

Deborah Deseck le comprend bien mais elle rappelle un élément important : "La première chose à faire, si on sent qu’une personne est en danger, qu’elle lance un appel au secours, c’est de se tourner vers des structures spécialisées qui vont pouvoir prendre en charge la souffrance".

Quant aux bons mots, aux bonnes attitudes à adopter quand on a la personne au téléphone, Déborah explique que dans les expériences décrites plus haut, nos collègues ont eu la bonne attitude : "Ils ont écouté les personnes, ils les ont rassurées et ils ont fait le relais. Cette notion de relais est importante parce que nous avons chacun et chacune nos missions et nos spécificités. Ceci dit, la prévention du suicide concerne tout le monde. Chacun peut agir. Agir, c’est déjà remarquer qu’il y a un problème et ensuite de relayer vers des structures spécialisées, que ce soit la ligne de prévention du suicide ou les services de consultation".

Quand le SOS débouche sur un reportage

Revenons à la question plus générale de ces appels à l’aide qui arrivent quotidiennement dans les boîtes mails de la rédaction. Il est clair qu’ils attendent une réponse et dans la plupart des cas, les auteurs espèrent que leur interpellation débouchera sur un reportage.

Nous allons voir que c’est parfois le cas mais que c’est loin d’être systématique.

Les journalistes et éditeurs interrogés à ce propos sont assez unanimes sur un point : quand il s’agit de problèmes très personnels, concernant des différents familiaux, des problèmes de gardes d’enfants, des procédures qui font l’objet d’actions en justice, les rédactions ne s’emparent pas de ces affaires.

Par contre, il arrive très souvent qu’un cas particulier puisse servir d’exemple pour aborder une problématique qui concerne un grand nombre de personnes et qui n’a pas encore été abordée dans nos informations.

►►► A titre d’exemple, ce reportage réalisé suite à un témoignage parvenu à la rédaction : "Elle a un cancer en phase terminale : en pleine pandémie, on lui avait refusé une biopsie"

Vinciane Votron, responsable éditoriale de la rédaction de Mons explique qu’il n’est pas toujours simple de réaliser des sujets sur base d’un témoignage. "Parfois, les gens appellent à l’aide et dénoncent une situation mais refusent de témoigner, il faut alors trouver d’autres témoins, consulter des spécialistes de la question, des services sociaux concernés. Ce n’est pas toujours possible".

Et chez nos confrères ? Comment ça se passe ? Certains médias réalisent de nombreux reportages sur base de témoignages et de situations qui leur sont rapportées, c’est le cas par exemple des quotidiens de Sud-Info.

Lucie Jeannet, chef d’édition à Mons explique que sa rédaction reçoit énormément de courriers de personnes en détresse. En moyenne une ou deux fois par semaine. Il s’agit souvent de personnes qui se retrouvent sans logement, suite à une fin de bail ou faute de moyens financiers. "Je reprends contact pour expliquer ce qu’il est possible de faire comme démarches mais on ne fait pas de reportages chaque fois, ce ne serait pas possible ! On ne le fait que quand il s’agit de situations exceptionnelles".

Les lecteurs le comprennent-ils ? "Pas toujours. On doit faire de la pédagogie mais moi, je réponds toujours aux gens même si c’est pour leur expliquer qu’on ne fera pas d’articles".

Pourquoi s’adressent-ils à la presse ? "Ils se disent que c’est un moyen de trouver rapidement un logement et effectivement, il faut bien reconnaître que c’est le cas…".


►►► A lire aussi sur la page INSIDE de la rédaction : Journaliste et réseaux sociaux : on vous répond, mais jusqu’à quel point ?


On le voit, plus un média ou un programme publiera de reportages basés sur des témoignages, plus il recevra d’appels à l’aide. C’est assez logique.

A la RTBF, le meilleur exemple est donné par "On n’est pas des pigeons" et plus particulièrement par sa déclinaison radio : "SOS Pigeons".

SOS Pigeons : une émission basée sur l’aide directe

Tous les jours, entre 11 heures et midi sur Vivacité, Benjamin Maréchal (ou Thibaut Roland) et Annie Allard sont en direct dans SOS Pigeons pour aider un ou plusieurs auditeurs aux prises avec un problème lié à la consommation. Le format – une heure en direct – et le média radio permettent de prendre le temps d’essayer de régler un cas, par téléphone.

Arnaque, services inadéquats, absence de réponse d’un commerçant ou d’un prestataire de services, voilà quelques exemples de situations concrètes pour lesquelles l’équipe de SOS Pigeons tente chaque jour d’obtenir des solutions.

Dans ce cas-ci, c’est donc bien l’émission qui invite à envoyer des appels à l’aide.

Une centaine de courriers arrivent chaque jour dans les boîtes mails de l’émission. Pour SOS Pigeons, c’est Annie Allard qui décide des cas qui seront traités : "Nous sommes toujours contactés par les gens, ce n’est jamais moi qui vais lire la gazette pour voir si Pierre, Paul ou Jacques a un problème. Ce sont des problèmes de la vie de tous les jours. Les personnes qui nous écrivent ont déjà fait beaucoup de démarches et sont complètement perdues parce qu’elles ne savent plus quoi faire".

Mais SOS Pigeons ne peut pas aider toutes les personnes qui s’adressent à l’émission. Alors, comment s’opère le choix parmi tous les dossiers proposés ?

"C’est moi qui choisis, j’ai carte blanche. A la lecture d’un mail, je vois bien si l’affaire tient la route et si on peut en faire une émission radio puisque nous sommes en direct. Et on doit varier les thèmes pour ne pas parler tous les jours de la même chose".

Annie Allard n’est pas journaliste, elle est avocate. Et dans son émission, elle travaille comme le font les avocats : "Nous sommes en direct et nous appelons au téléphone les entreprises ou les services concernés et nous mettons la pression. Mais nous avons toujours des arguments pour le faire. Je prépare le dossier comme si j’allais le plaider devant un juge. C’est pour ça que les arguments sont importants. On ne va jamais appeler en disant que parce que c’est la RTBF, il faut faire un geste. Jamais."

"Les journalistes pourraient être plus attentifs aux petits soucis des gens"

A propos des demandes qui sont écartées d’office, on retrouve les réserves déjà exprimées par les responsables des rédactions : "Je refuse les dossiers de gardes d’enfants, de pensions alimentaires, c’est impossible à faire, déjà parce que c’est beaucoup trop personnel et il n’est pas possible d’aller interroger toutes les personnes concernées".

Mais là où Annie Allard dit se comporter différemment des journalistes de l’info, c’est qu’elle est beaucoup plus attentive aux petits soucis de la vie quotidienne : "Parfois, les sujets choisis sont des trucs anodins dont aucun journaliste ne parlera et qui s’avèrent être des sujets intéressants qui concernent beaucoup de personnes". Annie regrette que les rédactions n’accordent pas plus d’attention à ces petites choses qui peuvent devenir un enfer pour ceux qui les vivent. "Je suis de plus en plus certaine que les petits soucis de la vie quotidienne n’intéressent plus grand monde, c’est pour ça que nous avons beaucoup de courrier", conclut-elle.


►►► Cet article n’est pas un article d’info comme les autres… Sur la page INSIDE de la rédaction, les journalistes de l’info quotidienne prennent la plume – et un peu de recul – pour dévoiler les coulisses du métier, répondre à vos questions et réfléchir, avec vous, à leurs pratiques. Plus d’information : là. Et pour vos questions sur notre traitement de l’info : c’est ici.


 

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