Belgique

Sortie ou prolongation du nucléaire : comment a-t-on pu en arriver là ?

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Par Aubry Touriel

Sortie ou prolongation du nucléaire ? Cette décision fortement attendue devrait tomber ce vendredi 18 mars. Alors qu’on s’orientait jusqu’il y a peu vers le scénario A (la sortie), on semble s’orienter vers le scénario B (la prolongation). Comment a-t-on fait pour en arriver là ? Retour sur parcours parsemé d’embûches qui est encore loin d'être fini.

"Le gouvernement reconfirme résolument la sortie du nucléaire. Le calendrier légal de sortie nucléaire sera respecté, comme prévu", peut-on lire dans l’accord de gouvernement fédéral présenté fin septembre 2020. Le texte pointe également trois éléments cruciaux pour une sortie du nucléaire : "sécurité d’approvisionnement, durabilité et coût abordable".

Dans l’accord de gouvernement, il est prévu qu’un Mécanisme de Rémunération de Capacité (CRM) soit mis en place pour permettre la sortie du nucléaire. Ce système avait d’ailleurs été adopté en juillet 2020 par les 7 groupes politiques qui formeront plus tard le gouvernement De Croo.

En octobre 2020, la ministre de l’Energie, Tinne Van der Straeten, qui vient tout juste d’être nommée à son poste, déclare devant la commission Climat de la Chambre que "le temps presse" pour mettre en œuvre ce mécanisme dans les délais.

Engie fait pression

Un mois plus tard, la N-VA, dans l’opposition, propose une "majorité alternative" pour inverser la sortie du nucléaire. Les partenaires de la majorité déclinent officiellement l’invitation du président De Wever. Pourtant, Didier Reynders et d’autres représentants du MR, sont favorables à la prolongation des réacteurs les plus récents après 2025.

Dans le même temps, Engie, la maison-mère française d’Electrabel, fait pression sur le gouvernement : "Nous avons besoin d’une décision à la fin de cette année si on veut envisager la prolongation de ces réacteurs au-delà de 2025. La balle est pour l’instant dans le camp du gouvernement belge mais nous serons amenés d’ici à la fin de cette année ou au tout début de l’année prochaine à prendre une décision", déclare alors son président.

Quelques jours après cette annonce, le géant de l’énergie français annonce qu’il décide de se lancer dans la course aux centrales au gaz en participant au CRM.

Recherche : nouvelles capacités de production

En avril 2021, le Conseil des ministres approuve le cadre juridique du mécanisme du CRM et décide du volume d’enchères : environ 2,3 GW de nouvelles capacités seront ainsi mis aux enchères.

Un mois plus tard, le gestionnaire de réseaux Elia avertit dans une étude que la Belgique n’est pas prête en l’état à passer à l’après-nucléaire. Pour compenser la fermeture des centrales nucléaires, la Belgique doit d’urgence prévoir de nouvelles capacités de production d’électricité, 3,6 GW pour être précis.

Après le feu vert de la Commission européenne sur le mécanisme de soutien survenu en été, les différents candidats constituent leur dossier. Le verdict tombera fin octobre 2021.

Rapport contesté

De sa propre initiative, le Conseil supérieur de la Santé (CSS) sort le 25 octobre 2021 un rapport sur l’impact environnemental, éthique et sanitaire de l’énergie nucléaire sur le développement durable. L’organisme y juge que l’arrêt des centrales nucléaires est possible en Belgique pour un coût relativement limité, y compris en termes d’impact CO2.

Même si le CSS se dit conscient des développements technologiques accélérés pour réaliser des réacteurs plus petits, plus sûrs, avec moins de déchets, comme la France l’envisage, il lance : "Ils sont pour la plupart encore en phase de développement et des évaluations approfondies doivent encore être réalisées entre autres en matière de sûreté", note-t-il. "Ces réacteurs ne constituent pas une solution aux choix actuels à réaliser par la Belgique."

Ce rapport fait grand bruit dans les médias. Il est utilisé par les pro-sortie nucléaire et rejeté d’un revers de la main par les anti. L’ancienne ministre fédérale de l’Énergie, Marie-Christine Marghem (MR), demande aux auteurs de venir expliquer leur rapport à la Chambre.

La Flandre bloque

Le 31 octobre 2021, les principaux ministres du gouvernement fédéral De Croo se retrouvent pour discuter du rapport d’Elia sur le résultat des enchères CRM. Résultat ? 40 offres ont été retenues et, ensemble, elles représentent une capacité de 4 447,7 MW. Engie a également le droit de recevoir des subsides pour deux nouvelles unités de centrale à gaz aux Awirs et à Vilvorde.

C’est ensuite au tour des régions, compétentes en la matière, d’octroyer le permis de construction. Or, la ministre flamande Zuhal Demir (N-VA) refuse le 9 novembre 2021 d’accorder un permis pour la centrale à gaz à Vilvorde, car elle émettrait trop d’ammoniac. Cette décision vient attiser les tensions entre gouvernements fédéral et flamand.

En Wallonie, ça se passe autrement : le gouvernement wallon décide de rejeter les recours introduits contre les permis octroyés aux nouvelles centrales au gaz des Awirs. Des mouvements citoyens envisagent alors d’introduire une procédure au Conseil d’État.

Prolongation impossible selon Engie

Le 8 décembre 2021, le président du Conseil d’administration d’Engie, Jean-Pierre Clamadieu, et la directrice générale de l’entreprise, Catherine MacGregor informent par courrier le Premier ministre qu’il "n’y a plus d’autre option que d’engager le déclassement progressif des tranches nucléaires que nous exploitonsDans ces conditions il nous paraît impossible d’assurer le prolongement de l’activité de ces 2 tranches en 2025."

On décide de ne pas décider

Dans le courant du mois de décembre, les membres du Kern (comité ministériel restreint) se réunissent pour tenter de trancher : sortie ou prolongation ?

Lors de la première réunion le 3 décembre 2021, Tinne Van der Straeten, et le CEO d’Elia, Chris Peeters, expliquent aux principaux ministres de l’équipe De Croo les conclusions des différents rapports sur la sécurité d’approvisionnement énergétique, le coût et la durabilité de la sortie du nucléaire qu’une loi fixe à 2025.

Au vu des dissensions au sein de la majorité, il aura fallu attendre 20 jours pour finalement trouver un accord en deux volets : le Plan A, celui de la fermeture des réacteurs en 2025 est maintenu.

Cependant, en raison d’obstacles qui doivent encore être levés pour permettre l’installation d’alternatives au nucléaire, comme des centrales à gaz, le Plan B, celui du maintien de deux réacteurs est gardé en réserve, "au cas où", comme filet de sécurité.

Le gouvernement fédéral reporte la décision définitive sur le dossier au mois de mars.

La guerre et la hausse des prix s’en mêlent

Face à la flambée des prix de l’énergie, la sortie du nucléaire est de plus en plus remise en question, et ce, aussi par les partenaires de la majorité.

Comme prévu dans l’accord du 23 décembre, l’Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire (AFCN) divulgue début janvier son rapport : une prolongation des réacteurs de Doel 4 et Tihange 3 est possible d’un point de sécurité nucléaire moyennant une mise à jour des installations.

Fin janvier, les députés CD&V Leen Dierick et Servais Verherstraeten déposent une proposition de loi visant à permettre la construction de centrales nucléaires de 4e génération pour la production d’électricité.

Mi-février, le parti socialiste Vooruit se dit disposé à prolonger deux réacteurs si cela allège les factures des consommateurs. Dans la foulée, le président de l’Open Vld Egbert Lachaert considère qu’aucun scénario sur le bouquet énergétique de la Belgique après 2025 ne peut plus être exclu, dans le contexte de la menace russe sur l’Ukraine.

Alors, plan A ou plan B ? La réponse devrait en théorie tomber ce vendredi 18 mars. À moins qu’on décide à nouveau de ne pas décider…

Écoutez le podcast "Les quatre saisons" sur la question nucléaire (02/12/2021)

Les Quatre Saisons - Episode 23

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