Un jour dans l'histoire

Sorcière : de paria de la société à femme puissante et indépendante

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Fascinante et attirante pour certains, dangereuse et maléfique pour d’autres, la sorcière a toujours peuplé notre imaginaire collectif et suscité tous les fantasmes. Autrefois persécutée et brûlée, elle est aujourd’hui une femme de savoir, indépendante et puissante, qui revendique fièrement son statut. Quel est le lien qui unit les sorcières par-delà les siècles ? Réponse avec Céline du Chéné.


Céline du Chéné, auteure de documentaires à France Culture, a réalisé 4 épisodes sur l’évolution de l’image de la sorcière à travers le temps. Un livre résulte de cette enquête : 'Les sorcières – Une histoire de femmes', paru aux éditions France Culture et Michel Lafon.


 

Le livre commence par les dernières années de la chasse aux sorcières, avec l’histoire de Michée Chauderon, une blanchisseuse et guérisseuse qui a été la dernière à être torturée, puis exécutée pour sorcellerie, à Genève, le 6 avril 1652.

60.000 à 100.000 personnes auraient été brûlées pour sorcellerie, dont 80% de femmes, mais les chiffres et les sources sont imprécis, parce qu’on brûlait toutes les traces des procès.

Michée Chauderon, tout un symbole

Exceptionnellement, les documents du procès de Michée Chauderon ont été conservés dans un coffre en chêne, protégé par 3 clés à actionner en même temps. On peut y lire le rapport des chirurgiens qui l’ont interrogée.

"Ce cas n’a pas été facile, explique Céline du Chéné, parce que les deux premiers 'médecins' qui ont commencé à chercher la trace du diable sur son corps n’ont rien trouvé. Il a fallu appeler d’autres médecins, des vieux routards de la sorcellerie, qui avaient beaucoup travaillé dans le pays de Vaud, qui ont fini par trouver ces fameuses marques d’insensibilité. Ce sont des endroits – on en a tous dans le corps – où, quand on plante une aiguille, vous n’avez pas mal, et ça veut dire que le diable vous a embrassé à cet endroit-là. C’est ça qui est une preuve de sorcellerie."

On voit aussi que l’on est dans un rapport totalement inégalitaire : une personne âgée et analphabète face à des magistrats lettrés et rodés à l’art de la question.

En France, en 1682, l’édit de Louis XIV mettra fin à la chasse aux sorcières et aux bûchers. Mais Michée Chauderon deviendra un cas exemplaire d’injustice, une manière de dénoncer cette chasse aux sorcières. En Suisse, dans les années 70, les féministes la considéreront comme une représentation de la misogynie faite aux femmes.

© API/Gamma-Rapho via Getty Images

Le livre qui a ancré l’image de la sorcière

La sorcière est une femme seule, souvent veuve, elle vit isolée, elle se débrouille seule, elle est indépendante. Il y avait, à l’époque comme aujourd’hui, beaucoup plus de femmes sans mari que de maris sans femme.

Cette image de la femme seule a surtout été construite à travers le sinistre Marteau des sorcières (Malleus Maleficarum), écrit par deux dominicains, à la fin du 15e siècle. Il a ancré l’image de la sorcière : une femme seule, qui a des pouvoirs magiques, qui est souvent associée aux sages-femmes.

Cet outil, reflet d’une culture et d’une religion clairement misogynes, sera largement utilisé lors de la chasse aux sorcières des 15e et 16e siècles, en Europe.

Le livre qui a réhabilité la sorcière

1862 marque une véritable bascule : l’historien Jules Michelet réhabilite l’image de la sorcière, avec son ouvrage 'La Sorcière'. Il la présente comme une femme libre, rebelle, et, pour cette raison, opprimée. La sorcière n’est plus vue comme un danger, mais comme une victime, une victime de la religion.

"Mais il n’a pas servi la cause du Moyen-Age", en écrivant de façon erronée que le phénomène des sorcières et du sabbat (qui n’existe pas, qui est juste un fantasme des inquisiteurs) datait de cette époque, explique Céline du Chéné.

Etre sorcière, une fierté

Certaines femmes se revendiquent aujourd’hui, avec fierté, d’une filiation avec les sorcières. C’est dire que leur image a bien évolué au fil du temps, par rapport à une époque où personne ne se disait sorcière, car c’était signe d’infamie et signe de mort.

Le terme 'sorcière' est devenu positif dans les années 70, pour plusieurs raisons.

  • D’abord, en France, avec la revue littéraire, artistique et féministe 'Sorcières', sous-titrée 'Les femmes vivent', créée par Xavière Gauthier en 1975 et inspirée de Jules Michelet.
  • Aux Etats-Unis, le mouvement W.I.T.C.H s’était déjà servi, dans les années 60, de la figure de la sorcière pour mettre en valeur la cause féministe.
  • En Italie, les années 70 sont marquées par des manifestations menées sous le slogan : Tremblez, tremblez, les sorcières sont de retour !

Les sorcières ont aussi commencé à être étudiées à l’université. C’est un mouvement un peu général, lié évidemment au féminisme. En l’occurrence, à la deuxième vague du féminisme dans les années 70, souligne Céline du Chéné.

"Cela a plus ou moins ressurgi en fonction des époques et j’en ai vu les prémices depuis les années 2010, mais c’est devenu très, très fort un peu avant MeToo. Parce qu’aussi, il y a la pensée Queer qui est passée par là."

La pensée Queer qui part du principe que, quand vous êtes insulté, il faut pouvoir retourner les mots qui sont utilisés pour les porter comme une fierté.

Sorcière, c’est pareil. A partir de ce moment-là, on a commencé à revendiquer le nom de sorcière comme une fierté, comme une sorte d’étendard à la liberté et au féminisme. Comme un titre politique presque.

Les nouvelles sorcières

Dans cette idée de rassemblement, on peut voir aussi une forme de reconnaissance et d’appartenance à un groupe de femmes qui ne trouvent pas leur place dans les spiritualités traditionnelles. Elles vont voir du côté des mythologies ou du monde celtique, pour se recréer quelque chose qui leur ressemble plus et qui est moins dogmatique.

Elles s’inscrivent aussi dans le mouvement d’écoféminisme, né dans les années 70. C’est le cas notamment de Starhawk, écrivaine et militante écoféministe américaine du mouvement Wicca, qui prône le retour du rituel et a beaucoup fait pour le renouveau des sorcières aujourd’hui.

Ces femmes sont au carrefour du politique, du féminisme, de la spiritualité, de l’écologie. Donc ce sont de nouvelles sorcières, en effet.

► Écoutez le 2e épisode de cette séquence sur Auvio.

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