Les Tregs sont des cellules immunitaires qui contrôlent et qui inhibent les cellules effectrices pour prévenir des réactions autodestructrices. Lorsque les Tregs ne contrôlent pas suffisamment les cellules effectrices, nous souffrons de maladies dites auto-immunitaires, c’est-à-dire de maladies caractérisées par l’attaque immunitaire des tissus sains (par exemple le diabète de type 1, la sclérose en plaques, ou le lupus,…). Par contre, lorsque les Tregs inhibent trop intensément des cellules effectrices dirigées contre des tumeurs ou des cellules infectées, ils jouent un rôle délétère, et favorisent le développement des cancers ou des infections chroniques.
Depuis 2004, Sophie Lucas étudie, avec son équipe de recherche, ces Tregs, pour tenter d’identifier les mécanismes moléculaires par lesquelles ils contrôlent les réponses immunitaires.
Ces recherches purement fondamentales leur ont permis de découvrir un mécanisme jusque-là inconnu : les Tregs produisent un messager inter-cellulaire (une cytokine) appelée TGF-beta qui transmet un signal inhibiteur aux cellules effectrices, supprimant leur activité. Le TGF-beta est donc un messager " immunosuppresseur ". Toutefois, un grand nombre de cellules peuvent produire du TGF-beta, mais seulement sous une forme inactive. Sophie Lucas et ses collègues ont découvert que la particularité des Tregs est d’utiliser un " complice " pour transformer le TGF-beta inactif en messager inhibiteur. Ce complice est une protéine située à la surface des Tregs qui porte le nom de " GARP ".
Ainsi " Tregs ", " GARP " et " TGF-beta " constituent trois acteurs importants de l’immunosuppression. Or, la protéine GARP, peut-être ciblée thérapeutiquement ce qui ouvre des perspectives d’avenir en termes de traitement du cancer ou des maladies auto-immunes…
Lisez l’article " Les Lymphocytes T Régulateurs et le TGF-B " disponible sur le site de l’Institut de Duve.
Depuis peu, les approches d’immunothérapie du cancer commencent à donner des résultats spectaculaires. On les appelle immunothérapies parce que les médicaments qui sont administrés aux patients visent les cellules immunitaires plutôt que les cellules tumorales elle-mêmes, comme dans les thérapies conventionnelles du cancer. Dans ce cadre, Sophie Lucas et son équipe cherchent à développer une nouvelle approche d’immunothérapie du cancer, à l’aide d’anticorps monoclonaux (des anti-GARP) qui permettent de bloquer l’action de GARP et la production du messager inhibiteur TGF-beta par les Tregs. Par cristallographie aux rayons X, les chercheurs ont réussi à visualiser la structure 3D d’un assemblage moléculaire comprenant GARP, le TGF-beta et l’anticorps bloquant anti-GARP, (résultats publiés dans la revue Science fin 2018). Cette technique ingénieuse leur a permis de comprendre comment le messager inhibiteur peut être libéré de la surface des Tregs, et surtout comment les anticorps anti-GARP empêchent ce relargage. Ces anticorps ont donc le potentiel de bloquer l’immunosuppression par les Tregs.
Bloquer l’immunosuppression par les Tregs serait particulièrement intéressant chez les patients cancéreux, chez qui les Tregs fonctionnent trop et bloquent des cellules immunitaires effectrices censées éliminer les cellules tumorales.
A ce stade, Sophie Lucas et son groupe de recherche ont principalement utilisé des modèles animaux (des souris souffrant de cancer) pour tester le potentiel thérapeutique des anticorps anti-GARP. Les résultats de ces observations démontrent que l’utilisation combinée des anticorps anti-GARP avec une des approches d’immunothérapie du cancer la plus efficace à l’heure actuelle (des anticorps anti-PD1), permet d’augmenter l’efficacité anti-tumorale du traitement, en induisant l’élimination de tumeurs qui résistent par ailleurs aux anticorps anti-PD1.
Ces résultats sont encourageants : ils indiquent que les anticorps anti-GARP pourraient servir de nouvelle approche d’immunothérapie du cancer, donc de nouveau médicament anti-cancéreux, à utiliser seul, ou plus probablement en combinaison avec d’autres médicaments anti-cancéreux. Des essais cliniques viennent de débuter pour tester ce nouveau médicament potentiel.
Les recherches de Sophie Lucas et son équipe menées dans leur laboratoire ces 10 dernières années sur l’immunologie des tumeurs ont été récompensée en 2019 par le prix GSK de l’Académie de Médecine
Lire à ce sujet l’article " Structure 3D d’un nouvel agent anti-cancéreux ! " disponible sur le site de l’Institut de Duve.
Voir également la vidéo Youtube " Une brève vidéo pour illustrer les découvertes ".