Sauf énorme surprise, le feu européen passera au vert pour l’Ukraine ce jeudi : Kiev devrait obtenir le statut de candidat à l’Union européenne près de quatre mois après l’invasion lancée par l’armée russe.
La Commission européenne le recommande, le Parlement le demande par une résolution votée à une immense majorité ce jeudi et les 27 Etats-membres semblent d’accord, si l’on en croit la présidence française.
Un feu vert à l’unanimité
Question de ne rien laisser au hasard, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a poursuivi jeudi son "marathon téléphonique" auprès des dirigeants européens pour s’assurer du consensus total en faveur du oui.
Il peut compter sur le soutien de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui a appelé les dirigeants européens à "se montrer à la hauteur".
La Belgique a déjà déclaré par la voix de son Premier ministre Alexander De Croo qu’elle soutenait la candidature de Kiev, mais en mettant aussi en garde sur la durée du processus : "Cela ne veut pas dire que l’Ukraine fera bientôt partie de l’Union européenne. C’est un processus de beaucoup d’années avec énormément de réformes qui seront très difficiles."
Parmi les plus réticents, les Pays-Bas, le Danemark ou le Portugal ont décidé de soutenir aussi la candidature ukrainienne. Mais le voyage à Kiev la semaine dernière d’Emmanuel Macron, d’Olaf Scholz et de Mario Draghi a levé tout suspense. Les dirigeants français, allemand et italien ont promis d’accorder le statut de candidat à l’Ukraine. L’affaire était pliée.
Si ce sommet de l’UE officialise donc cette candidature de l’Ukraine et de la Moldavie, ce sera "un moment historique sur le plan géopolitique", estime le président du Conseil européen Charles Michel. "Un choix doit être fait aujourd’hui qui va engager le futur de l’Union européenne, notre stabilité, notre sécurité, notre prospérité".
"Nous attendons le feu vert", a répondu jeudi matin le chef de l’administration présidentielle ukrainienne Andriï Yermak, rappelant que "l’objectif clair est l’adhésion à part entière à l’UE", même si cette procédure peut prendre des années. Les Ukrainiens considèrent que ce pas est décisif pour indiquer que leur pays appartient bien à l’Europe et non au monde russe.
Le moment est symbolique, explique l’ambassadeur ukrainien auprès de l’Union Vsevolod Chentsov : "Nous avons besoin de cette clarté [sur l’adhésion à l’UE] pour soutenir l’armée ukrainienne, la société ukrainienne, moralement, psychologiquement, et pour avoir une idée et une compréhension claires de la direction du mouvement pour l’Ukraine".
Une candidature poussée par la guerre
L’Ukraine cherche depuis longtemps à s’ancrer en Europe. Depuis la révolution orange de 2004 et surtout les manifestations de Maidan de 2013-2014.
Ce scénario, encore inimaginable récemment, s’est imposé aux 27 avec la guerre menée par la Russie depuis près de 4 mois. Si le statut de candidat a été bouclé en un temps record, c’est parce que l’on est passé par une procédure spéciale, à la demande expresse du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Une candidature d’un pays en guerre, c’est une première. Une telle procédure n’existait pas, il a fallu le créer.
Normalement la demande passe par la Commission, puis le Parlement, le Conseil avec les Etats-membres avant une officialisation par les chefs d’Etat et de gouvernement à l’unanimité. Pour la Serbie, cela a pris 3 ans, et un de plus avant d’entamer les négociations qui aujourd’hui sont dans l’impasse. Pour la Turquie, la demande remonte à 1987, le statut de candidat à 1999 et le début des négociations à 2005, négociations qui sont au point mort.
Car le processus d’adhésion à l’UE sera très long, comme pour tout pays candidat.
Bloqués depuis des années dans l’antichambre de l’UE, les pays des Balkans occidentaux déjà candidats à l’adhésion n’ont pas caché leur amertume en le rappelant jeudi.
En arrivant à cette réunion, le Premier ministre albanais Edi Rama avait conseillé aux Ukrainiens de ne "pas se faire d’illusions" sur le statut de candidat accordé par l’Union européenne, car le processus pour l’adhésion sera très long. "La Macédoine du Nord est candidate depuis 17 ans, si je n’ai pas perdu le compte, et l’Albanie depuis huit ans".
L’Ukraine a déjà fait une partie du travail
Deux partenaires vont donc devoir s’accorder : l’Ukraine devra montrer sa capacité à intégrer l’Europe et ses règles, et l’Union aura à absorber un immense nouveau membre, tout en préservant ses équilibres internes.
Pour ce qui est de l’Ukraine, si l’on considère que la bouteille est à moitié pleine, on peut dire comme la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, que "l’Ukraine a déjà adopté environ 70% des règles, normes et standards européens". C’est "une démocratie présidentielle et parlementaire très solide", avec "une administration publique qui fonctionne très bien et qui a permis de faire fonctionner le pays pendant cette guerre", le "succès" de la réforme de la décentralisation et "une économie de marché pleinement opérationnelle", plus depuis 2014, un accord d’association avec l’UE, avec un accord de libre-échange, préalable à l’adhésion.
"Beaucoup a été accompli, mais, bien sûr, il reste un travail important ", modère Ursula von der Leyen : il reste des progrès à faire sur "l’Etat de droit, les oligarques, la lutte contre la corruption et les droits fondamentaux".