Sites de rencontres : tous les utilisateurs ne sont pas égaux

Les sites et applis de rencontres ont modifié les rapports amoureux

© Pixabay

Meetic, adopteunmec.fr, Tinder, Happn... les sites de rencontres en ligne se multiplient et modifient les rapports amoureux. Les enseignements qu'en tire la sociologie sont particulièrement éclairants sur les normes sociales et les rapports entre les sexes. 

Explications avec Marie Bersgtröm, sociologue, qui vient de publier Les nouvelles lois de l'amour: Sexualité, couples et rencontres au temps du numérique, aux Éditions La Découverte.


Un phénomène qui se banalise

Les services de rencontres, ce n'est pas neuf, on en retrouve des traces il y a des siècles déjà. Après les agences matrimoniales et plus récemment les petites annonces ou le minitel en France, les sites de rencontres sur Internet ont émergé dans les années 90, aux États-Unis d'abord. Mais c'est seulement depuis quelques années que ce n'est plus mal vu d'aller sur Tinder ou d'avoir rencontré son partenaire en ligne. Comment expliquer ce changement de regard sur les choses ?

Pour la première fois, utiliser des services spécialisés est devenu une pratique courante, banale pour les célibataires, alors qu'avant c'était une pratique marginale, explique Marie Bersgtröm. 

Elle y voit une explication structurelle : les parcours affectifs sont devenus beaucoup plus diversifiés. Les gens vivent plusieurs histoires quand ils sont jeunes, se mettent en couple plus tard. Par ailleurs, l'augmentation des séparations signifie de nouvelles rencontres, qui se font plus tard dans la vie. Les sites et les applications sont vraiment tributaires de cette diversification des parcours amoureux et sexuels.


Casser les mythes

Dans son livre Marie Bergström déconstruit plusieurs mythes.

Le premier, c'est que les sites de rencontre n'ont pas fait de nous des libertins, des consommateurs de l'intime. En fait, c'est plutôt le cadre de la rencontre qui a changé : "Ces services introduisent une privatisation des rencontres : elles se déroulent en dehors de son cercle de sociabilité, souvent à l'insu de ce cercle. C'est un vrai changement par rapport à la manière traditionnelle de faire des rencontres : sur le lieu du travail, d'études, dans son cercle d'amis... Maintenant, il existe un lieu spécifiquement dédié à la rencontre, et ça c'est nouveau."

Autre mythe déconstruit : on pensait qu'Internet allait abolir les frontières entre les gens, entre les classes sociales. En réalité, Marie Bergström fait le constat que les sites de rencontre sont un puissant reproducteur de ces normes sociales : on va peut-être discuter avec tout le monde - et encore - mais on ne va pas aller plus loin avec tout le monde.

L'homogamie est un concept sociologique qui veut que les partenaires d'un couple tendent à se ressembler socialement : ils ont à peu près le même niveau de diplôme, font à peu près la même chose dans la vie. Internet ne fait pas disparaître les frontières sociales et géographiques. Il y a en fait une hypersélection sur Internet, parce qu'on choisit avec des critères très précis. Les enquêtes nationales montrent que les couples qui se forment sur internet ne sont ni plus, ni moins homogames que les autres couples. 


L'impact de l'orthographe 

L'orthographe est un critère social très important sur les sites et applications. Elle peut en effet nous amener à écarter l'un ou l'autre candidat potentiel à la relation. Les personnes diplômées de l'enseignement supérieur ont un jugement très sévère envers les personnes qui n'écrivent pas bien, font des fautes ou utilisent un langage sms. Il y a une inégalité sociale face à l'écrit. 

Le jugement sur l'orthographe est souvent une disqualification sociale très nette, les utilisateurs parlent de ces fautes d'orthographe avec mépris, et expriment un rejet social très fort.


Des catégories d'âge disqualifiées

Au niveau des usagers, deux catégories d'âges sexués sont un peu hors jeu sur ces sites : ce sont les jeunes hommes et les femmes âgées. Les jeunes hommes, parce que les jeunes filles cherchent des hommes plus âgés. Tandis que les femmes plus âgées ont plus de mal parce que les hommes qu'elles contactent regardent les femmes plus jeunes. C'est déjà vrai hors ligne et cela se reproduit sur internet aussi.

Cela souligne bien que ces services ne donnent pas lieu à des rencontres pour tout le monde. Il y a une inégalité face au célibat, une disqualification au niveau des interactions amoureuses et sexuelles, constate Marie Bersgtröm.


Codes de séduction bien balisés

Les normes de genre sont elles aussi fortement reproduites sur ces sites, parfois jusqu'à la caricature. L'homme propose, la femme dispose, l'homme prend l'initiative, la femme doit un peu résister avant de céder...et si ça sort de ce cadre très codifié, c'est déstabilisant.

Le code de séduction hétérosexuel classique veut que ce soit l'homme qui fasse le premier pas. Les femmes sont dans une posture plus attentiste et se donnent ainsi des marges de manoeuvre, des stratégies pour garder un contrôle sur les interactions.

Dans les groupes homosexuels, les usages sur internet sont très différents. Les interactions sont beaucoup plus explicites, notamment en matière sexuelle. Tandis que sur les sites hétérosexuels, les choses se disent entre les lignes, de façon très pudique, ce qui nuance la thèse de l'hypersexualisation sur internet.

Les couples pour qui ça matche en ligne vont très rapidement se voir. Ils ont une première impression sur internet mais le corps est toujours très important dans la rencontre parce que c'est la seule manière de savoir à qui on a affaire. C'est plus qu'un jugement esthétique, c'est un jugement sur la personne dans son ensemble, qui donne des informations sur ses qualités psychologiques, sur son niveau social.


La magie de la rencontre ?

La Française Judith Duportail a sorti récemment un livre intitulé L'amour sous algorithmes, dans lequel elle révèle un brevet secret de l'application Tinder, qui utiliserait ce qu'on appelle le Elo Score

Ce sont des algorithmes que tous les services utilisent en fait, explique Marie Bersgtröm. Toutes les applications de rencontre interviennent pour faire matcher les personnes, effectuent en quelque sorte une médiation. Les rencontres ne se font donc pas par hasard.

Contrairement aux agences matrimoniales qui revendiquent une expertise dans l'amour, les services sur Internet se présentent pourtant comme étant simplement des sites de mise en contact, sans intervention aucune, ce qui leur permet de faire croire à la magie de la rencontre.

En réalité, ils encadrent les rencontres mais font tout pour que ça ne se voie pas, parce que ça cadre mal avec le mythe de l'amour...

 

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