Caterpillar a annoncé la suppression de 1400 emplois. Longtemps
considéré comme la "Rolls" des entreprises, comment Caterpillar Gosselies en est arrivé là ? "
La faute incombe à la direction de Gosselies", juge Roger Lenoble, président de la délégation syndicale de chez Caterpillar (CSC) qui pointe des erreurs de stratégie, notamment le fait de ne pas s'être recentré sur le marché européen.
"Fournir des machines à l'autre bout du monde à partir du pays le plus cher, je pense que cela devient un défi impossible", relève pour sa part l'ancien administrateur-délégué de Caterpillar, Pierre Cuisinier sur le plateau de Mise au point. Se reconcentrer sur l'Europe, "c'est faire des sacrifices importants, je pense que c'est la seule solution pour que l'entreprise soit viable à long terme", estime-t-il. "Sur base des éléments que je connais, cela aurait été très dur pour moi, mais j'aurais fait ce qu'ils font aujourd'hui. C'est la meilleure chose à faire pour assurer l'avenir de Gosselies".
La CSC veut privilégier le dialogue social dans un premier temps
"Dans le dossier Caterpillar, nous privilégions le dialogue social", a rappelé dimanche dans un communiqué la CSC-METEA. La centrale veut, par cette voie, tenter d'empêcher tout licenciement sec en favorisant les mesures de prépension et de chômage temporaire écrit l'agence Belga.
"Si nous ne sommes pas entendus, nous passerons à la vitesse supérieure avec des actions dures. Nous ne sommes pas des brigands mais la direction doit arrêter de nous provoquer en mettant en place des forces d'intervention dans l'entreprise et en livrant un nombre impressionnant de machines finies", a indiqué Thierry Duchêne, permanent CSC-METEA.
Selon la centrale chrétienne, le plan industriel présenté jeudi aux organisations syndicales par l'administrateur délégué de Caterpillar Belgium, Nicolas Polutnik, est vide de tout sens et n'offre aucune garantie d'avenir.
"Sans information complémentaire pour garantir la survie de Caterpillar à Charleroi, nous mettrons en place la contre-attaque. Le silence des pantoufles ne veut pas dire la résignation", a affirmé Thierry Duchêne.
"Quand on est à la bourse de New-York, on n'a pas vraiment le choix"
"Que faut-il faire ?", se demande Thierry Bodson, le secrétaire général de la FGTB wallonne sur le plateau de Mise au Point. "Les travailleurs ont accepté la compétitivité et la flexibilité, ce sont des travailleurs formés. L'entreprise fait des bénéfices, elle bénéficie d'argent de la Région wallonne, elle ne paie quasi pas d'impôts", expose-t-il en visant à nouveau les mécanismes fiscaux qui "permettent aux entreprises de ne pas payer d'impôts et de jouer aux dominos sur la carte du monde".
Lorsqu'on constate que Caterpillar-groupe est une entreprise qui dégage des bénéfices de plus de 5 milliards de dollars, le fait qu'elle licencie 1400 personnes semble choquant. "Mais c'est parce que Caterpillar est une société profitable et en croissance qu'elle a pu construire l'usine de Gosselies et y investir pendant 45 ans des milliards d'euros", tempère Pierre Cuisinier. Quand on fait 5 milliards de dollars de bénéfices, n'a-t-on pas le choix de ne pas donner autant de dividendes aux actionnaires ? "Quand on est à la bourse de New-York, on n'a pas vraiment le choix", conclut l'ancien administrateur délégué.
Du côté de la classe politique, Jean-Claude Marcourt, ministre wallon de l'Economie (PS) estime qu'il y avait depuis longtemps une volonté de la part de Caterpillar de réduire l'emploi. "Il y a des dossiers cachés", juge Roger Lenoble. "Le dossier caché est-il de fermer l'usine ? J'espère que non. Mais j'ai des doutes par rapport aux méthodes employées", admet le président de la délégation syndicale de Caterpillar. "Je suis persuadé que dans l'esprit des dirigeants, ils savent que l'usine n'est pas capable de tourner avec 50% du personnel. Mais ce qu'ils veulent faire, c'est revenir à l'année zéro sociale pour pouvoir 'mieux' travailler après avec une flexibilité plus grande, des salaires moins importants".
Le ministre fédéral du Budget, Olivier Chastel refuse de déjà évoquer avec fatalité la suite: "Nous avons décidé de refuser ce constat d'échec. Nous voulons comprendre pourquoi l'entreprise prend une décision d'une telle ampleur: supprimer autant d'emplois, c'est beaucoup trop. N'est-ce pas là la volonté d'aller plus loin ? Nous voulons savoir s'il y a un agenda caché", affirme-t-il. Pour Pierre Cuisinier, c'est clair: il n'y a pas d'agenda caché.
Les intérêts notionnels à nouveau sur la table
Quand on sait que Caterpillar a bénéficié des intérêts notionnels et n'a payé que 3% d'impôts, n'est-ce pas un constat d'échec pour la classe politique ? "Les intérêts notionnels n'ont pas suffi pour [empêcher] les décisions qui sont prises aujourd'hui", juge Olivier Chastel. "Plus personne n'y croit aux intérêts notionnels !", réagit vivement Jean-Marc Nollet. "Les intérêts notionnels ont été efficaces pendant une dizaine d'années", précise Olivier Chastel.
"Aujourd'hui, c'est d'investissements dont les entreprises ont besoin et plus forcément d'intérêts notionnels, mais de déductibilité et d'investissements raccourcis dans le temps qui permettent de diminuer ce taux trop important d'impôt des sociétés vers un taux plus juste. Un impôt qui se rapproche de la moyenne européenne tout en permettant une série de déductibilités notamment liées à l'investissement".
Le travail trop cher
Le coût du travail en Belgique est le plus élevé d'Europe selon Jean-François Heris, le président de l'Union Wallonne des Entreprises qui demande une fois encore de transférer les charges sur le travail vers d'autres charges. Pour lui, si on ne revoit pas le coût du travail, il est évident qu'il y aura d'autres cas similaires à Caterpillar Gosselies. Thierry Bodson refuse ce constat: selon lui, on ne tient pas compte des avantages et les diminutions de cotisations dans ces calculs. Le coût du travail trop élevé en Belgique, pour lui ce sont des "carabistouilles".
Pour Jean-Claude Marcourt, il faut de la croissance économique. Ce qui implique de revoir la trajectoire budgétaire, continuer l'assainissement. Toucher au coût du travail, "c'est pour démanteler la sécurité sociale", estime le socialiste. "Si demain on veut transférer une partie du coût du travail sur une fiscalité plus juste, je serais le premier d'accord. Les travailleurs payent trop d'impôts. Et la progression de l'impôt est trop forte".
"Stop à l'austérité"
"Je pense qu'il faut une refonte du système fiscal, je pense qu'il faut alléger les charges sur le travail et il faut rééquilibrer l'ensemble", dit Olivier Chastel. "Il faut maintenir un système de sécurité sociale tel que nous connaissons. Son financement a été conçu il y a 50 ans, il faut revoir tout cela". "Mais changer un tel système fiscal ne se décide pas sur le coin d'une table", poursuit le libéral qui évoque le budget: "La semaine prochaine, nous aurons un certain nombre de chiffres déplaisants par rapport à notre situation budgétaire". Faut-il revoir la trajectoire ? "Revoir cette trajectoire doit se faire dans le cadre européen", estime Olivier Chastel. Pas question, donc, selon lui, de le faire tout seul. "Monsieur Chastel se cache derrière l'Union européenne", réagit Jean-Marc Nollet. "Face à l'ampleur de la crise, nous ne pouvons plus tenir sur une ligne d'austérité", poursuit-il en se faisant traiter de démagogue par le libéral qui hausse le ton. "Donnons de l'oxygène à notre économie", appelle Jean-Marc Nollet.
Pour André Antoine, il faut garder l'objectif d'assainissement, revoir la trajectoire à l'aune de la croissance constatée pour nous permettre d'investir notamment sur le coût du travail et favoriser l'investissement.
Un protectionnisme à l'européenne ?
L'Europe doit-elle se protéger contre les pays à main d'oeuvre bon marché ? Pour Thierry Bodson, l'Europe doit se doter d'une politique industrielle. Elle doit selon lui rapidement créer un cadre et de déterminer les priorités en termes d'infrastructures et d'investissements. "Il faut une dose de protectionnisme social", affirme-t-il. "Nous sommes les dindons de la farce aujourd'hui, il y a des produits qui viennent de Chine, du Brésil, c'est un dumping social et environnemental. Avec notre Europe ultralibérale, nous sommes les seuls à ne pas avoir mis quelques barrières".
Pour Jean-François Heris, "il faut garder le libre-échange des produits et des services en Europe, mais il ne faut pas être naïf". "Si l'Europe est en dépression, c'est parce qu'elle ne défend pas son potentiel économique", admet Jean-Claude Marcourt.
RTBF
Olivier Maroy a reçu:
-
Jean-Claude Marcourt, ministre wallon de l'Economie - PS
-
Olivier Chastel, ministre fédéral du Budget - MR
-
André Antoine, ministre wallon de l'Emploi - CDH
-
Jean-Marc Nollet, vice-président du gouvernement wallon - Ecolo
-
Jean-François Heris, président de l'Union Wallonne des Entreprises
-
Thierry Bodson, secrétaire général de la FGTB wallonne
-
Roger Lenoble, président de la délégation syndicale Caterpillar - CSC
-
Pierre Cuisinier, ancien administrateur délégué de Caterpillar