Belgique

Plus de 18.000 manifestants du secteur non-marchand à Bruxelles : "Si on ne réagit pas, on ira dans le mur"

Secteur non marchand : Nouvelle manifestation

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Les travailleurs du secteur non-marchand manifestent ce mardi à Bruxelles.
Les travailleurs du secteur non-marchand manifestent ce mardi à Bruxelles. © RTBF – Ph. Walkowiak

Les travailleurs du secteur non-marchand ont manifesté à Bruxelles, ce mardi. (Voir le parcours et les perturbations ici)

Les syndicats avaient misé sur une mobilisation importante. Cela a été le cas. 18.500 personnes, selon la police, ont défilé dans les rues de la capitale. Infirmiers, infirmières, aide-soignant(e) s, personnel de l’aide à domicile, des soins ambulatoires, des maisons de repos, de l’accueil de la petite enfance, autant de secteurs d’activité concernés par des difficultés. Face à une pénurie de personnel, face à des conditions de travail de plus en plus difficiles et face à une difficulté de recruter du personnel et de convaincre les plus jeunes de se lancer dans ces carrières, les syndicats avaient décidé de tirer la sonnette d’alarme au niveau national, après avoir, organisé, mi-décembre, des actions au niveau local.

Selon les syndicats et les manifestants, le risque est grand de ne plus parvenir à garantir des soins de qualité à la population. Les syndicats réclament des solutions pour éviter l’exode du personnel et permettre aux différents services de fonctionner mieux. C’est aussi une question de moyens financiers.

Activité accrue après le Covid, sur fond de pénurie de personnel

La crise du Covid a mis le secteur non-marchand a rude épreuve. Aujourd’hui, il en paye encore le prix. "Après la pandémie, on pensait que les gens allaient pouvoir souffler un peu. Cela n’a pas été le cas", explique Yves Hellendorff, Secrétaire général de la CNE pour le secteur non-marchand. Après le Covid, il a fallu rattraper le retard, reprendre les soins laissés en suspens à cause de l’épidémie. Les travailleurs du non-marchand se sont donc retrouvés avec une activité accrue.

A cela s’est ajoutée une difficulté majeure : la pénurie de personnel. "Cela fait déjà plusieurs mois, et la crise Covid a mis en lumière ces difficultés, que nous tirons la sonnette d’alarme et que nous constatons que, soit le personnel en place est épuisé et s’absente pour raisons de santé, soit nous n’arrivons plus à attirer les jeunes dans le secteur", constate Eric Dubois, responsable pour le Non-marchand à la CGSLB. "On a un taux d’absentéisme de près de 14%", renchérit Yves Hellendorff.

Le secteur non-marchand ne séduit plus. Les travailleurs sont épuisés et partent. Ce sont "des gens qui quittent la profession ou qui passent à temps partiel parce que les modifications d’horaires, les rappels, c’est devenu inconciliable avec une vie familiale et sociale", poursuit Yves Hellendorff.

Ce qu’on constate aussi, ce sont des travailleurs, par exemple dans le secteur hospitalier, qui préfèrent se tourner vers l’intérim. "L’intérim donne le sentiment de gagner plus. Cela donne aussi la possibilité de choisir son horaire", explique Nathalie Lionnet, Secrétaire fédérale du Setca pour le secteur non-marchand. L’intérim permet à certains d’éviter la contrainte des horaires de nuit ou du week-end. "L’intérim permet de dire non sans être un mauvais collègue, puisqu’on n’appartient pas vraiment à l’équipe", ajoute Nathalie Lionnet.

Alors, explique-t-on du côté syndical, tout cela augmente la pression sur les travailleurs qui sont en poste. "J’ai vu passer un horaire d’un service de soins intensifs. Sur huit personnes, il y en a sept qui travaillent de 7h30 à 20h00 avec une demi-heure de pause. Vous imaginez la qualité des soins ?", s’interroge Yves Hellendorff. Nathalie Lionnet, elle, évoque la situation de ces infirmiers ou infirmières qui n’osent plus demander à leurs patients s’ils ont besoin de quelque chose, parce qu’ils ou elles savent qu’ils n’auront pas le temps d’aider ces patients.

Le secteur ne séduit plus

La pénurie de personnel est criante. On ferme des lits, faute de soignants. Il faudrait recruter. Encore faudrait-il trouver des jeunes prêts à rejoindre le secteur. Pour les former, il faut du temps, quatre ans au minimum. Cela passe aussi par des stages sur le terrain où les futurs soignants sont confrontés à la réalité. "Les jeunes en stage arrivent dans des équipes éclatées", constate Nathalie Lionnet, du Setca qui dénonce le manque de temps et de moyens pour accompagner ces jeunes en formation.

La responsable syndicale évoque alors les résultats d’une étude. "40% des jeunes avaient pensé abandonner leurs études après leur premier stage", explique Nathalie Lionnet. "Si on n’a pas les jeunes qui reviennent dans la profession, dans cinq ans, on est à la catastrophe", s’inquiète Yves Hellendorff, de la CNE.

Le futur des soins à la population est menacé

Il y a "un impact réel sur l’offre de soins", avertit Yves Hellendorff, de la CNE. "En termes de santé publique, on tire la sonnette d’alarme. Le personnel n’est plus en capacité d’assumer le manque de moyens", ajoute-t-il. "Nous allons avoir une société où le bien-être de la population va décroître de façon massive", avertit-il, faute d’avoir les capacités de soigner les gens et de les prendre en charge. "Si on ne fait rien, on va se retrouver dans des difficultés qui sont déjà réelles, avec le risque de ne plus pouvoir rendre les services à la population ou de devoir postposer les hospitalisations, les interventions parce qu’il manque de lits, de travailleurs pour prendre en charge les patients", avertit Eric Dubois, de la CGSLB.

Les syndicats n’y vont pas par quatre chemins. Ils demandent au monde politique de s’engager à plus long terme pour l’avenir des soins de santé. "Ce sont des choix politiques. Nous voulons que tous les partis qui sont occupés à constituer leurs programmes électoraux aient une volonté de pacte pluriannuel donnant des perspectives pour ces secteurs", réclame Yves Hellendorff. "Soit on dit qu’on veut une qualité d’accompagnement, etc. et on met les financements adéquats. Soit on est clair avec les gens et on arrête de compter sur la bonne volonté des travailleurs", avertit Nathalie Lionnet, du Setca.

Quelles solutions ?

"Il y a vraiment des choses qui sont très urgentes", réagit Nathalie Lionnet. "Ce qui est très urgent, c’est de pouvoir répondre à l’exode des travailleurs et aux difficultés de recrutement", explique-t-elle. "Cela passera par des améliorations des conditions de travail, une rémunération attractive, mais aussi des mécanismes qui vont permettre de mieux concilier vie de famille, vie privée et vie professionnelle", détaille Eric Dubois, de la CGSLB. Pour ce dernier, il faudrait, par exemple, "améliorer les indemnités pour les prestations inconfortables", c’est-à-dire les nuits et les week-ends.

Nathalie Lionnet, elle, met en avant, en urgence, une meilleure "valorisation des diplômes", une "reconnaissance des diplômes", des "compétences valorisées", histoire de pouvoir "transférer des tâches vers d’autres professionnels". Cela permettrait de décharger le personnel soignant de tâches administratives ou logistiques, par exemple.

Travailler sur le bien-être des travailleurs passerait aussi par une réflexion sur les horaires. Prendre des congés annuels de longue durée en famille n’est pas toujours possible car il faut assurer le service.

Pour certains, les solutions passeront aussi par une réflexion sur le temps de travail, en lien avec la gestion des fins de carrière. "Un être humain, en bonne santé, est-ce acceptable de lui demander de tenir toute une carrière à 38 heures/semaine ?", demande Nathalie Lionnet, du Setca. "Aujourd’hui, des travailleurs s’appauvrissent parce qu’il leur faut diminuer leur temps de travail pour tenir le coup", dénonce-t-elle.

Des moyens financiers supplémentaires

"Certains pourraient se dire, ils ne sont jamais contents, ils reviennent avec des demandes", réagit Nathalie Lionnet. Mais ajoute-t-elle, "on est vraiment à un moment où les conséquences économiques sur le secteur, les conséquences des pénuries sont telles qu’elles mettent à mal toute l’action de soins et de soutien à la population". "Au niveau fédéral, on a eu 1,2 milliard d’euros, c’est vrai. Mais quand on injecte 1,2 milliard et que vous venez d’années d’austérité, vous récupérez le manque à gagner alors que l’activité augmente", explique Nathalie Lionnet.

Yves Hellendorff, à la CNE, souligne, lui, les choix budgétaires actuels du gouvernement. "En 2024, au fédéral, on réduit le taux de croissance du budget de la Santé", constate-t-il. Pour des moyens supplémentaires, "ce sera peut-être dans le budget 2025", espère avec prudence le syndicaliste, soit pour le prochain gouvernement. Pour lui, ce sont "des centaines de millions" qu’il faudrait.

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Articles recommandés pour vous