"Oui à l'obligation vaccinale, mais non aux sanctions prévues au 1er janvier", c'est en substance le message que Joëlle Durbecq, directrice du département infirmier des Cliniques universitaires St-Luc veut faire passer aux autorités, en marge de la manifestation du secteur ce jour à Bruxelles.
Une manifestation qu'elle ne soutient pas, mais qu'elle comprend: "Parfois c’est le seul moyen d’expression qui reste".
Dans les revendications, une revalorisation mais aussi l'abandon des santions contre le personnel non-vacciné. Une question délicate: "Nous, on se dit que les 10% de non-vaccinés, vous ne pouvez plus les convaincre collectivement, vous devez aller jusqu’à la personne, l’individu, c’est presque une consultation individuelle et comprendre pourquoi la personne ne veut pas se faire vacciner. On se fait beaucoup aider par les infectiologues, combattre les fake news, et c’est devenu un travail individuel".
Les 10% de non-vaccinés, vous ne pouvez plus les convaincre collectivement, vous devez aller jusqu’à la personne, l’individu
La direction rejoint d'ailleurs la demande que les sanctions ne soient pas d’application au 1er janvier, et de reprendre la discussion avec les représentants de la profession: "Oui il faut une obligation vaccinale, mais il faut voir comment est-ce qu’on y arrive autrement que par ces sanctions-là".
D'autant que ces sanctions risquent de poser des problèmes très concrets et insolubles aux hôpitaux. "Nous avons énormément de personnel absent, que ce soit pour des raisons de Covid qui circule, ou parce que les classes ferment et que les parents gardent leurs enfants, tout ça se rajoute à la pénurie d’infirmières dont on parle depuis longtemps. Elle était prévisible, elle est là et nous touche de plein fouet. On a déjà dû fermer des unités de soins: chez nous, on a 108 lits fermés sur nos 1000 lits, ça fait 10%, ça représente entre 3 et 4 unités de soins dont on ne sait pas assurer l’encadrement".
On a déjà entre 3 et 4 unités de soins dont on ne sait pas assurer l'encadrement
Et à cela vient donc se rajouter l'épée de Damoclès des soignants non vaccinés qui devraient être écartés au 1er janvier: "Chez nous, les horaires sont faits comme si ces personnes étaient sur le terrain en janvier. Si elles ne le sont pas, on peut tout recommencer, et forcément, il faudra fermer des unités de soin".
Selon une première estimation (la direction ne peut pas savoir qui est vacciné oui qui ne l’est pas), ça représente au moins 70 équivalents temps: "Si vous en enlevez encore 70, alors qu’il en manque déjà 200 aujourd’hui, l’hôpital ne peut pas tourner au 1er janvier".
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De même, la directrice est favorable à l'obligation vaccinale mais pas aux sanctions prévues: "En tant que soignante, non je ne comprends pas qu’on refuse de se faire vacciner. Mais à travers ce refus, je crois qu’il y a plein de choses qui sont derrière, tout ce que la profession demande, et donc je crois que c’est un positionnement de certains soignants qui disent que ça, c’est un pas de trop par rapport à tout ce qui doit être fait pour cette profession".
Et ce qui doit être fait, ce n'est pas "que" un effort financier: "Vandenbroucke va dire 'J’ai mis un milliard sur la table', et il a raison, il a mis de l’argent sur la table, mais il n’y a pas que ça. Il y a la revalorisation du métier, qui passe notamment par la valorisation des études, passées en 4 ans : trouvez un seul métier où en 4 ans on n’est pas masterisé, il n’y en a pas, c’est le seul. On veut cette reconnaissance".
En tant que soignante, non je ne comprends pas qu’on refuse de se faire vacciner
Quant à la revalorisation salariale, "elle n’est pas équitable, on a oublié toutes les infirmières spécialisées".
Et surtout, elle ne suffit pas, parce que même s'il y a l'argent, on ne trouve pas d'infirmières à embaucher: "Il y avait dans le fonds blouse blanche de quoi embaucher 5000 infirmières, et ça correspondait aux normes d’encadrement KCE fixées pour la sécurité des patients. Mais il nous en manque déjà tellement qu’aucun hôpital n’a pu faire ça, et donc on a été créatifs pour aider les infirmières, notamment engager de l’encadrement, des psychologues par exemple".
Pour recruter ces infirmières manquantes, "il faudra plusieurs années, on a vu avec l’allongement des études diminuer la courbe des inscriptions. On essaie donc de faire les choses autrement, de réinventer les soins, et ça a parfois du sens. Depuis 50 ans, l’infirmière est entièrement responsable de son patient, elle doit s’assurer que tout est fait, toute la responsabilité repose sur ses épaules. Aujourd’hui, on essaie de dire que non, ce n’est plus l’infirmière, c’est une équipe qui a cette responsabilité, mais une équipe dont l’infirmière reste la coordinatrice pour que les soins soient donnés, mais pas nécessairement par elle".