Le comité R remettra à la commission parlementaire en charge de son suivi un rapport circonstancié sur les propos tenus par son président, Serge Lipszyc, dans la presse, a-t-on appris mercredi de sources concordantes. Le document est attendu le 8 novembre. Une nouvelle réunion aura lieu le même jour. Ce rapport devrait permettre d'étayer davantage les affirmations énoncées dans la presse.
La commission de suivi de l'organe de contrôle des services de renseignement s'est réunie durant près de 4 heures au cours desquelles elle a entendu M. Lipszyc.
dans les différentes strates de l’État belge, il y a une volonté de favoriser les mouvements extrémistes, notamment d’extrême-droite
Rififi au Comité R, la police de nos services de renseignement. Serge Lipszyc, le président de ce comité, remet en cause le fonctionnement de ces services dans le cadre de l’affaire Jurgen Conings. Il a notamment pointé du doigt l’absence de réaction face à la menace que représentait le militaire d’extrême-droite.
Dans une interview accordée au Magazine "Wilfried", Serge Lipszyc n’y est pas allé de main morte. Le président a laissé entendre qu’au sein de l’armée, de la police mais aussi dans le milieu politique, notamment flamand, il y a une certaine complaisance à l’égard de la droite extrême : "Si Jurgen Conings s’était appelé Mustafa, je pense que les choses se seraient passées autrement" a-t-il asséné avant d’ajouter : "Un certain nombre d’éléments permettent de croire que dans les différentes strates de l’État belge, il y a une volonté de favoriser les mouvements extrémistes, notamment d’extrême-droite".
Ses déclarations ont fait réagir le Chef de la Défense, l’Amiral Michel Hofman, pour qui il est compréhensible que "ces déclarations puissent engendrer de l’incompréhension et de l’indignation". Pour lui, "la Défense a contribué loyalement et avec tous les moyens disponibles à la recherche du caporal-chef Jürgen Conings, sous la direction du Parquet fédéral". Il ajoute que son département "a établi un plan d’action ayant pour but de remédier aux dysfonctionnements identifiés" et qu’il fournit "des efforts considérables pour restaurer la confiance du citoyen dans la Défense et le SGRS".
La sortie de Serge Lipszyc a aussi de quoi susciter l’émoi dans la classe politique, surtout venant d’un président tenu à la confidentialité. Au point qu’à la Chambre, une réunion d’urgence de la "Commission spéciale chargée de l’Accompagnement parlementaire du Comité permanent de contrôle des services de Police et du Comité permanent de contrôle des services de Renseignements et de Sécurité à la Chambre" – qui supervise ce comité R – s’est tenue ce mercredi 27 septembre, à huis clos. Visiblement, on souhaitait demander des comptes à Serge Lipszyc, ancien magistrat liégeois et ancien conseiller de l’ex-Premier ministre Charles Michel.
D’autant plus que dans l’interview à Wilfried, Serge Lipczyc "dénonce le rôle des parlementaires dans la gestion de la sécurité et des services de renseignements en disant qu’ils sont ignorants, incompétents et qu’ils ne comprennent pas ce que sont les services de renseignements, ni l’intérêt de ce genre de services", a précisé l’auteur de l’article de Wilfried, le journaliste Quentin Jardon, dans l’émission Matin Première, sur la Première (RTBF), ce mardi matin.
Ce mercredi, Serge Lipczyc a donc été entendu par les parlementaires. Il lui a officiellement été demandé un rapport écrit pour qu’il étaye les accusations qu’il formule dans l’interview au magazine Wilfried. Une prochaine réunion de la Commission qui supervise le Comité R est prévue le 8 novembre.
N’y avait-il pas des gens au sein même de la structure de l’État qui avaient intérêt à ce qu’on ne le retrouve jamais ?
Dans l’interview à Wilfried, le président du Comité R évoque ainsi les moyens déployés pour retrouver Jürgen Conings en cavale, des moyens importants qui n’ont pas permis de localiser le fugitif ni de le retrouver (mort) avant plusieurs semaines. "Ce qui est curieux, c’est que le SGRS participait à la recherche. Donc le SGRS et la Défense ont énormément investi. Ça renforce chez moi cette sensation désagréable… N’y avait-il pas des gens au sein même de la structure de l’État qui avaient intérêt à ce qu’on ne le retrouve jamais ? […] [Jürgen Conings a peut-être été] l’instrument d’une idéologie antidémocratique, anti-Belgique", a déclaré Serge Lipszyc au magazine Wilfried.
Pourquoi n’est-on pas allé le choper ?
Dans l’interview accordée à Wilfried, le patron du Comité R s’étonne aussi que Jürgen Conings n’ait pas été interpellé avant sa fuite, car on disposait déjà d’informations à son sujet. L’homme avait déjà proféré des menaces sur les réseaux sociaux à l’encontre du virologue Marc Van Ranst, la police avait dressé un PV, le Parquet avait été contacté et l’homme était connu des services de renseignement. "On est au courant qu’il détient des armes, on connaît sa cible et on sait qu’il en a obtenu l’adresse privée. Il lui est même arrivé de rôder autour du domicile de Marc Van Ranst. Comme m’a dit un chef de police, des cas pareils, vous n’en avez pas tous les jours. Et ensuite ? Et ensuite il ne sera jamais interpellé, ni entendu, ni perquisitionné entre le jour de ce P.-V. et le jour du signalement de sa disparition (le 17 mai 2021). Pourquoi n’est-on pas allé le choper ?", s’interroge Serge Lipszyc.
Toujours à propos de l’affaire Jürgen Conings, le président du Comité R s’étonne de la réaction au niveau des autorités. "J’ai l’impression d’avoir un immense bâtiment, l’État, qui repose sur du sable et qu’on regarde s’enfoncer sans rien faire. C’est la déglingue totale. Je reste étonné de l’absence de réaction… Un groupe Facebook de soutien à Jürgen Conings rassemble 40.000 membres, on ne bronche pas. Les militaires qui se sont exprimés pour prendre sa défense, même chose ! Alors que l’individu veut commettre un acte de terrorisme", a confié Serge Lipszyc au magazine Wilfried.
L’interview élargit la réflexion sur la préparation ou plutôt l’impréparation de la Belgique à une attaque terroriste. "Depuis des années on a désinvesti dans l’État régalien, on ne sait plus ce qu’on veut faire de la police, de la justice ou des services secrets dont personne ne sait à quoi ça sert. À ce titre, je pense que nous avons eu beaucoup de chance de ne pas connaître d’autres attentats terroristes que ceux du 22 mars 2016", a ainsi expliqué Serge Lipczyc.
Selon Serge Lipszyc, la faiblesse des services de sécurité s’inscrit en Belgique dans un contexte plus général d’affaiblissement délibéré de l’État. "Un nombre croissant de mandataires politiques belges veulent voir l’État se déliter au profit des régions. Et ceux qui veulent en finir avec la Belgique cherchent naturellement à affaiblir ses services secrets. Les Flamands sont par ailleurs en train de monter en douce leur propre service de renseignements."
►►► La suite est à lire dans le magazine Wilfried