Cet article est le résumé d'un mémoire, ce travail de recherche universitaire est publié en partenariat avec le master Genre.
Une "Première ministre"… Tout arrive. Charles Michel parti au Conseil européen, la place temporairement vacante, toutes affaires courantes, a été laissée à une femme, Sophie Wilmès (MR). En attendant l’arrivée d’un occupant viril, à plus long terme, au 16 rue de la Loi ? Pour l’instant, c’est davantage la couleur de la future coalition, avec jaune (N-VA) ou sans, que le genre de son.sa leader.e qui empêche les politiques de dormir.
Au même moment, en Finlande, la Première ministre non temporaire, Sanna Marin, vient d’arriver à la tête d’une coalition dont tous les partis sont dirigés par des femmes. C’est d’ailleurs déjà la troisième fois qu’une Suédoise occupe le poste de Première ministre.
Loin, loin… La Belgique en est loin. Car, même si l’arrivée d’une femme à la tête d’un gouvernement est une première en Belgique, les partis politiques sont encore majoritairement dirigés par des hommes. Les règles de parité ont féminisé les assemblées parlementaires mais le sexisme est-il prégnant dans ces travées ? Si oui, par quels comportements se manifeste-t-il auprès des élues des assemblées électives du pays ?
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Les blagues sexistes en tête de podium
Cette recherche a démarré par un questionnaire en ligne adressé par courriel dès octobre 2017 à 183 élues directes du pays. Le taux de réponse (30%, soit 55 répondantes) est très satisfaisant, sauf du côté néerlandophone où pour des raisons soit politiques, soit méthodologiques*, le retour a été insignifiant. Les élues interrogées ont été invitées à répondre à vingt questions sur leur exposition à des comportements sexistes.
Elles ont relevé le plus fréquemment le fait d’être confrontées à des blagues sexistes : 77% des élues interrogées déclarent en avoir entendu au moins une fois (54%), voire souvent (23%). Par ailleurs, la grande majorité des répondantes (72%) estiment avoir été victimes de propos grossiers ou misogynes sur leur apparence physique ou vestimentaire. Elles attribuent le même score aux stéréotypes de genre : 72% d’élues du panel relatent avoir entendu des collègues masculins leur faire des remarques sur le rôle social supposément attendu d’une femme, relevant de stéréotypes, à savoir les rôles de mère ou d’épouse.
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En parallèle du questionnaire, des entretiens ont été menés avec 12 femmes investies en politique belge, anonymes ou identifiées, selon leur choix : 8 d’entre elles sont ou ont été en activité ; les 4 autres sont des collaboratrices ou des attachées de presse travaillant ou ayant travaillé pour un homme politique. L’intérêt de la double démarche était d’aborder les variations du sexisme selon différentes strates de la vie politique, qu’il s’agisse d’une fonction à responsabilités ou soumise à un lien hiérarchique.
Madame F. ferait mieux d’aller passer l’aspirateur
Cette phrase, cette parlementaire senior que nous appellerons Fabienne (prénom d’emprunt) l’a entendue, il y a quelques années, d’un ancien ministre du Budget. Elle en a fait un incident parlementaire, elle qui avait commencé sa carrière à l’échelon local, au conseil communal, en entendant lors de la campagne, "retourne à tes casseroles".
Réduire les femmes à leurs émotions, les stigmatiser par le psychique est également fréquemment rapporté. Véronique Salvi, ancienne députée wallonne cdH et ex cheffe de groupe à la Fédération Wallonie-Bruxelles, se remémore un incident.
Dire "T’es encore plus belle quand tu t’énerves (…)" J’ai envie de leur mettre trois gifles ! Mais ça, oui. Ca, c’est des trucs que j’entends encore maintenant (…)
Menaces physiques, harcèlement, agression
Une proportion inquiétante d’élues nous ont signalé avoir fait l’objet de menaces de mort, de viol ou de coups. Cela leur est arrivé au moins une fois (23%) ou souvent (7%). Joëlle Milquet, lorsqu’elle était vice-première ministre et ministre de l’Intérieur, s’est réveillée un matin avec la façade de son domicile recouverte de l’insulte sexiste "salope".
Elle a également fait l’objet de menaces de mort lorsqu’elle était vice-première ministre et ministre de l’Intérieur : "D’abord, j’ai eu des menaces sur mes enfants. Vous en avez quatre, vous n’en aurez plus que trois".
Le secret de la main aux fesses
Lorsque nous la rencontrons, Emily Hoyos se confie pour la première fois à propos de l’agression sexuelle qu’elle a subie lors d’une mission parlementaire au Québec, alors que l’écologiste présidait le Parlement wallon. L’agresseur : une sommité. Rien moins que le président du Parlement québécois de l’époque.
(…) Au moment où on fait la photo officielle, le président me met la main au cul. Le président québécois. Qui ne sait pas qu’en Belgique, on ne met pas la main au cul d’Emily Hoyos parce qu’elle n’aime pas qu’on parle de son cul, ni qu’on le touche… et je ne dis rien, c’est la photo, qu’est-ce que tu veux faire ?
La soirée se poursuit au restaurant pour le repas officiel. Le président continue à harceler la présidente wallonne. Il essaye constamment de lui mettre la main sur la cuisse. Le repas s’arrêtera avant le café. Le greffier sera informé de l’agression. Mais Emily Hoyos en garde un souvenir atroce, empreint d’un immense sentiment de solitude et d’impuissance. Aujourd'hui, elle a tourné la page et ne souhaite plus commenter cet événement passé sur lequel elle n'a accepté de revenir, que dans le cadre d'un mémoire de fin d'études.
Tout comme cette ancienne porte-parole d’un ancien ministre wallon, terrassée par l’angoisse lors d’un entretien de recrutement où son futur patron l’attendait lové dans un canapé en cuir blanc, bouteille de champagne sur la table à côté du contrat.
Nancy (prénom d’emprunt) : "Il commence à me poser des questions bizarres et, au fur et à mesure, il se penche vers moi sur le divan. Et je n’avais pas de bic pour signer mon contrat. J’essaye toujours de ramener le plus possible au contrat. Mais il ne lâchait pas l’affaire, quoi."
Nancy s’en est sortie par l’esquive ; Emily, en zappant le café. Mais d’attachée de presse à Présidente d’assemblée, il y a ce continuum. Les collaboratrices parlementaires y redoublent cependant de vulnérabilité puisqu’aux rapports sociaux de sexe s’y ajoute un rapport de dépendance économique.
*Deux élues N-VA ont refusé de répondre, estimant que le sexisme en politique n’était pas une question pertinente et que le questionnaire était orienté. Par ailleurs, le questionnaire, en français, était accompagné d’un mail qui le traduisait en néerlandais mais ceci a peut-être découragé des répondantes néerlandophones.