A Seraing, quatre chasseurs ont organisé une chasse silencieuse (poussée-affût) dans les bois de la Vecquée-Ouest. La forêt s’étend sur une superficie de 380 hectares et elle a une vocation essentiellement récréative car on y croise des promeneurs et des sportifs. Suite aux dégâts des sangliers, la chasse y a été autorisée avec beaucoup de restrictions.
La chasse silencieuse
Jean-Louis Boudart, chasseur et organisateur de la chasse, explique : "La poussée-affût est un procédé d’origine germanique. Elle permet l’organisation d’une chasse collective appelée silencieuse et dans notre cas, elle se déroule en milieu urbanisé. Bien que ce soit plus efficace pour les cervidés, c’est le sanglier qui est plus particulièrement visé sur notre territoire".
Ce type de chasse se pratique en combinant l’affût à partir d’un mirador de tir et une avancée avec ou avec peu de chiens. Jean-Louis Boudart poursuit : "De petits groupes de traqueurs se signalent à la voix ou avec un sifflet. Ils avancent de manière non alignée avec un chef de groupe. Ils se déplacent sur dix zones de plus ou moins 18 hectares".
Les animaux sont prélevés à l’arrêt
Lorsque le gibier passe à proximité des miradors, il est prélevé à l’arrêt. Jean-Louis Boudard explique : "Les bêtes sont prélevées à l’arrêt dans l’ordre respectant les tirs sélectifs, les jeunes avant les femelles suitées afin de ne pas laisser des animaux orphelins dans la forêt. Aussi, la sécurité est accrue. Le tir doit être fichant. La balle doit terminer sa trajectoire dans le sol après avoir traversé l’animal. Le chasseur reste le seul responsable de son tir".
Très grande vigilance
Pour chaque participant à ce type de chasse, une très grande discipline est nécessaire pour éviter tout incident. En effet, les animaux comme les traqueurs peuvent apparaître à tout moment devant le chasseur posté sur son mirador.
Le loup dans la bergerie
À l’occasion de cette journée de chasse, les organisateurs avaient invité Philippe Blerot, ancien inspecteur général de la Division Nature et des Forêts. Une invitation étonnante étant donné que ce haut fonctionnaire de la région wallonne est un des moteurs du collectif "Stop aux dérives de la chasse". Jean-Louis Boudart explique les raisons pour lesquelles il a invité l’ancien patron du DNF : "Philippe Blerot est président de la Section Nature au Pôle Ruralité. En tant que membre de la Section Chasse, nous travaillons ensemble sur les sujets divers ayant trait à la conservation de la nature, de la biodiversité et de la chasse. Depuis quelque temps déjà, il semble que le dialogue entre ces deux sections soit devenu très difficile. La création et les actions du collectif Stop aux dérives de la chasse en sont une preuve".
Il ne faut pas critiquer tous les chasseurs
"S’il est vrai que certaines dérives existent au sein du monde de la chasse, tous les chasseurs dans leur globalité ne sont pas critiquables, poursuit Jean-Louis Boudart. La chasse est un domaine très technique. Elle devient très spécifique en fonction que l’on s’occupe de territoire orienté petit ou au grand gibier. Les problématiques sont alors abordées de manières différentes. Malheureusement, les solutions adoptées sont parfois déviées de leur objectif initial – à savoir la gestion de la faune sauvage – par des impératifs d’ordre légistique, politique ou économique. La Loi sur la chasse et la Loi sur la Conservation de la Nature ne sont pas coordonnées. Une Loi Faune Sauvage pourrait peut-être s’envisager pour que ces matières soient traitées de manière plus cohérente avec les différentes parties prenantes qui devraient être clairement identifiées".
Concilier le bien-être animal et atteindre des objectifs de tir
Intarissable sur le sujet, Jean-Louis Boudart, poursuit : "La notion de bien-être animal est souvent mise en exergue par le livre blanc de Stop aux dérives de la chasse. Je pratique la poussée-affût comme mode de chasse collectif et l’approche et l’affût en chasse individuelle. Si ces méthodes de chasse peuvent sembler plus respectueuses que d’autres, celles-ci ne suffisent pas toujours à atteindre les objectifs de gestion cynégétique fixés pour des raisons de biotopes, de l’espèce gibier visée, de culture locale. Il faut alors admettre des méthodes dites plus agressives comme la battue à cor et à cri pour peu que celles-ci respectent les normes d’une gestion naturelle des espèces, sans artifice. Je défends la complémentarité des moyens à mettre en œuvre et non la concurrence de ceux-ci".
La chasse au centre de multiples critiques
Titulaire d’un permis de chasse depuis 21 ans, Jean-Louis Boudart également conducteur de chiens de sang pour l’ABUCS, l’Association pour l’Utilisation du Chien de Sang, complète son explication : "Depuis près de 20 ans, le monde de la chasse subit des attaques de toutes parts. Que ce soit l’augmentation significative du plan de tir légal du cerf, les dégâts de gibier dans et hors plaines agricoles, le dérangement des forêts par un tourisme vert qui, souvent de bonne foi, ne se rend pas toujours compte de son impact négatif sur le gibier mais aussi sur les autres espèces, le durcissement de la Loi sur les armes et les loyers de chasse souvent proposés à la hausse par certains propriétaires publics dont l’augmentation significative du précompte mobilier passé de 15 à 40% ! Sans parler de la crise du Covid-19 qui a exacerbé les sorties en forêt nécessaires aux riverains. Malgré ces difficultés, beaucoup de territoires pratiquent une chasse éthique, gérée en bon père de famille, respectueuse de la nature et de ses utilisateurs. Il ne faut pas les cacher. Il faut en parler !".
La chasse est-elle un sport ?
Question à notre interlocuteur : la chasse est-elle un sport ? Jean-Louis Boudart répond : " La chasse n’est pas un sport, c’est une passion souvent liée à des traditions rurales ancrées dans un terroir régional. On peut donc, nous chasseurs, prendre du plaisir à se retrouver dans la nature de notre région et prélever du gibier en fonction des objectifs déterminés par les gestionnaires qu’ils soient publics ou privés. Si j’ai invité Philippe Blerot à la " poussée-affût ", c’était pour échanger sur ces différents points et amorcer un dialogue constructif entre les chasseurs et le collectif " Stop aux dérives de la chasse ".
Ce n’est pas la suppression de la chasse qui est demandée mais les dérives !
Quant à Philippe Blerot, il a passé un moment captivant à Seraing : "Le collectif Stop aux dérives de la chasse regroupe aujourd’hui septante-six associations et poursuit trois objectifs : développer la biodiversité, le bien-être animal et le socioculturel en visant, non pas l’arrêt de la chasse qui est aujourd’hui une nécessité pour réguler les populations surnuméraires de grands gibiers vu l’absence de leurs prédateurs naturels, mais bien l’arrêt de ces dérives. Celles-ci ont un impact significatif au niveau de l’accès du public à la forêt, de l’environnement, de la biodiversité et du bien-être animal. Ces dérives ne peuvent persister si les chasseurs veulent que la chasse soit acceptée par notre société d’aujourd’hui".
La battue à cor et à cri menacée ?
Philippe Blerot qui a enfilé ses bottes de traqueur poursuit sa réflexion : "C’est ainsi que la battue à cor et à cri doit à moyen terme disparaître car elle blesse de nombreux animaux et nécessite la fermeture de la forêt vu les risques qu’elle fait courir au promeneur, l’animal étant tiré à la course. Jean-Louis Boudart l’a bien compris et s’est tourné vers la poussée affût qui vise à tirer un animal à l’arrêt sans souffrance et sans avoir besoin de fermer la forêt même si aujourd’hui le DNF exige qu’elle le soit. C’est pour cette raison que nous avons accepté l’invitation de Jean-Louis Boudart pour bien appréhender ce mode de chasse qui doit se développer dans une grande partie de notre forêt wallonne. Tout nourrissage y est également exclu afin de ne pas accroître artificiellement les populations".
Dialogue et respect
De toute évidence, le débat est ouvert. Et pour qu’il se poursuive sereinement, il sera indispensable que les uns et les autres s’expriment dans un respect mutuel.