Selon une étude, "les investissements sont insuffisants pour préparer les hôpitaux belges aux soins du futur"

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Par Lavinia Rotili

Quel impact de la pandémie Covid-19 sur la situation financière des hôpitaux ? Les aides gouvernementales ont-elles permis d’amortir le choc ? Voici les questions auxquelles a tenté de répondre une étude de Belfius présentée ce jeudi.

De manière globale, elle estime que nos hôpitaux ont été sévèrement touchés par la pandémie en 2020 : les hospitalisations de jour ainsi que les admissions classiques ont été suspendues à plusieurs reprises pendant les différentes vagues de Covid-19. Cela a provoqué des pertes financières importantes, partiellement réabsorbées par l’intervention du gouvernement fédéral sous la forme d’une avance de trésorerie. C’est grâce à cette avance de 2 milliards d’euros que les hôpitaux belges peuvent encore compter sur leurs liquidités et qu’ils peuvent répondre à leurs obligations.

Deux autres constats ressortent de manière criante "Les investissements sont insuffisants pour préparer le secteur hospitalier belge aux soins du futur", déclare Belfius. Au niveau du personnel, on n’arrive toujours pas à valoriser les métiers actifs dans les soins de santé. Résultat : on n’a pas assez de soignants, une situation aggravée par la pandémie.

Si on analyse l’étude dans le détail, plusieurs volets attirent notre attention.

Les hospitalisations classiques ont chuté en 2020

Belfius a mené son analyse au sein d’un échantillon de 83 hôpitaux généraux et de six hôpitaux académiques (universitaires). Cela ne représente donc pas la totalité des hôpitaux du pays, mais donne un aperçu assez exhaustif.

Premier volet : la baisse des admissions dites "classiques" à l’hôpital. Au niveau national, cette baisse est de 18,2% pour les hôpitaux généraux. C’est lié au report des interventions non urgentes lors des deux vagues de l’épidémie. Le pic a été atteint en avril 2020 : les admissions et interventions ont chuté de 60% par rapport à la même période en 2019. A l’automne 2020, rebelote : les admissions chutent encore. Le pic, cette fois, est -40%.

Pour les hôpitaux académiques, la chute, en moyenne, est moins élevée : on est à -15,4%.


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Ces données sont des moyennes au niveau national. Brièvement, Belfius se penche sur les disparités régionales : en Flandre, la baisse a été moins forte."En moyenne, les hôpitaux wallons ont enregistré 5,2 points de pourcentage d’admissions en moins que les hôpitaux flamands. Cela pourrait s’expliquer notamment par le fait qu’en Flandre, l’infrastructure hospitalière est plus moderne. Elle compte davantage de chambres individuelles, ce qui signifie qu’il y avait plus e capacité dans un contexte où les patients ne pouvaient plus partager de chambre", rapporte Belfius.

Parmi les facteurs qui expliquent ces différences il y a également l’impact que le coronavirus a pu avoir sur chaque région et le recours à la télémédecine, plus important dans certains établissements.

Comme vous le voyez dans le graphique ci-dessous, la baisse est de 22,3% pour les hôpitaux wallons alors qu’elle est de 18,3% en Région bruxelloise et de 17,1% en Flandre.

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JT du 05/12/2021

La baisse des admissions à l’hôpital est très hétérogène. Elle varie d’une région à l’autre.
La baisse des admissions à l’hôpital est très hétérogène. Elle varie d’une région à l’autre. © Capture d’écran, étude Belfius

Si la plupart de l’étude se focalise sur l’année 2020, un aperçu des chiffres 2021 montre que sur les six premiers mois de l’année, les hospitalisations de jour reviennent au niveau de 2019 et les dépassent même un petit peu. Les admissions classiques, elles, sont toujours en baisse : -9,9% par rapport à 2019 (contre -18,7% en 2020).

Ce qui augmente, en revanche, est la durée des hospitalisations : les lits sont occupés pendant plus longtemps. Il faut y voir un effet du coronavirus, qui demande des séjours à l’hôpital plus longs.

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Moins d’admissions à l’hôpital, c’est moins d’argent qui rentre dans les caisses

Le constat peut paraître un peu brutal, mais toujours est-il que moins d’interventions rime avec moins d’entrées financières. Avec des effets tangibles sur les finances des hôpitaux.

L’étude montre qu’en excluant les avances de trésorerie versées par le fédéral, les hôpitaux connaissent une baisse du chiffre d’affaires de 3,5% en 2020. Pour rappel, le chiffre d’affaires correspond à l’ensemble des ventes de biens et services réalisés par une entreprise sur une période déterminée. Et si 3,5% peuvent vous sembler peu, sachez que cela représente un beau pactole de 14,8 milliards d’euros…

Ici aussi, souligne Belfius, tout varie d’une région à l’autre : certains hôpitaux ont vu leur chiffre d’affaires chuter de 10%, alors que ceux qui ont connu une hausse sont très peu nombreux.

En effet, ce qu’il faut savoir c’est que les pharmacies et les honoraires constituent une source d’entrée très importante pour les établissements : la situation des pharmacies ne semble pas avoir bougé, mais celle des honoraires s’est fort dégradée. Si on ne prend pas en compte les avances de trésorerie versées par le fédéral, les honoraires ont chuté de 8,7%: c'est autant d’argent qui n’est pas rentré dans les caisses des hôpitaux.

Le fédéral au secours des hôpitaux

Pour limiter les dégâts, le gouvernement fédéral a allongé 2 milliards d’euros aux hôpitaux généraux, académiques et psychiatriques. Dans son étude, Belfius analyse essentiellement la situation des hôpitaux généraux, qui ont bénéficié d’environ 1,4 milliard d’euros. Chaque hôpital, précise-t-on lors de la conférence de presse, a reçu une avance sur base de sa situation. Quelques aides, bien que moins importantes, sont arrivées aussi de la part des régions.


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Les hôpitaux indiquent avoir intégré 837,4 millions d’euros dans leur résultat 2020 : le solde est "comptabilisé comme montant de rattrapage", poursuit Belfius. Cela veut dire que les hôpitaux s’attendent à devoir rembourser ces montants. Cet argent a permis de garder la tête hors de l’eau. Les 837 millions de liquidités "ont permis de garder le résultat d’exploitation ordinaire dans le vert à 111 millions d’euros". Ce résultat correspond à 29 millions d’euros de plus qu’en 2019, mais il s’accompagne d'un chiffre d’affaires de 15 milliards, ce qui est très fragile, selon l’étude.

Sans les aides, estime Belfius, les résultats d’exploitation (l’ensemble des produits moins les coûts d’exploitations et avant taxe, ndlr) seraient descendus à -693 millions ! Si on y ajoute les frais et revenus financiers, ces résultats auraient pu chuter jusqu’à -737 millions d'euros.

Encore une fois, il faut se dire que ces chiffres cachent des disparités régionales : en tenant compte des avances, les résultats d’exploitation des hôpitaux wallons sont de 4,5 millions, versus… 127,7 millions en Flandre. A Bruxelles, en revanche, on enregistre une baisse de 20 millions d’euros.

© Capture d'écran - Belfius

Le refinancement n’a pas permis de recruter plus de personnel

Autre volet intéressant, celui des prestataires de soins. Si le manque de personnel n’est pas une nouveauté en Belgique, il s’est fait encore plus criant depuis le début de la crise sanitaire. 

Belfius résume: le gouvernement fédéral a revu la norme à la hausse. Elle passera à +2,5% dès 2022, à la place des +1,5% actuels. Concrètement, entre 2021 et 2022, le fédéral table sur 1,2 milliard d’euros de financement supplémentaire. Cela comprend le fameux Fonds blouses blanches, qui vise à augmenter le personnel (402 millions dont 300 sont destinés aux hôpitaux), un accord social pour revaloriser les salaires (600 millions d’euros et 350 supplémentaires en 2021), 22 millions d’euros pour les équipes mobiles et quelque 200 millions pour la santé mentale.


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Malgré ces interventions, le personnel soignant reste rare. "En dépit des moyens supplémentaires issus des Fonds blouse blanches, seuls 558 équivalents temps plein supplémentaires sont venus renforcer le personnel soignant", affirme Belfius. Mais la maladie et l’absentéisme des travailleurs sont tellement importants que la disponibilité réelle de personnel est beaucoup moins élevée.

D’ailleurs, note encore Belfius, les charges liées au personnel ont augmenté, mais essentiellement par effet de l’évolution des prix, c’est-à-dire à cause des primes d’encouragement, de primes diverses ou simplement des évolutions barémiques ou d’ancienneté.


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Les investissements restent insuffisants

Dernier volet intéressant : les investissements. Le bulletin n’est pas bon pour les hôpitaux belges et Belfius ne passe pas par quatre chemins lorsqu’il affirme que "quoi qu’il en soit, tout ce qu’on peut dire, c’est que les investissements sont insuffisants pour préparer le secteur hospitalier belge aux soins du futur."

En effet : les fonds propres des hôpitaux ont augmenté en 2020 (+1,6%) mais leur dette augmente. Vis-à-vis de l’Etat, la dette est là "parce que les hôpitaux estiment qu’ils ont reçu trop d’avances", détaille Belfius. Ces dettes doivent être remboursées en 2023, mais il est possible que ces montants de rattrapage soient repartis entre 2021 et 2022 parce que la période pandémique n'est pas encore passée.

Quant à la dette financière (la dette à l’égard des créanciers, comme les banques, ndlr), celle-ci diminue de 5,1%. Bonne nouvelle ? Pas tant que cela : elle diminue parce qu’on investit moins.


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"Depuis trois ans déjà, les investissements bruts régressent, s’établissant à 655 millions d’euros pour les hôpitaux généraux", détaille l’étude. C’est un recul de 16% par rapport à 2019. Si le tableau est sombre, il faut savoir que seuls les hôpitaux wallons gardent un rythme d’investissement un peu plus élevé : c’est l’effet du plan de construction wallonne lancé avec le soutien des autorités régionales en 2019.

Belfius insiste alors sur l’urgence d’une réforme de grande ampleur, notamment pour faire face aux défis des soins du futur et ses enjeux de durabilité, cybersécurité, digitalisation. Le ministre fédéral de la Santé Franck Vandenbroucke a pris la parole en fin de conférence de presse pour rappeler que 126 millions issus des plans de relance belge et européen seront destinés à la digitalisation et à l’innovation des soins… Entre-temps, la grogne du secteur ne s’arrête pas, alimentée par une vaccination obligatoire qui pourrait encore réduire le personnel des hôpitaux.

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