Séisme en Turquie et en Syrie

Séisme en Turquie : du béton mal armé, des normes pas respectées… La justice lance des enquêtes

Hatay

© Yasin AKGUL / AFP

Ce lundi matin, la Turquie s’est réveillée sonnée par un puissant tremblement de terre de magnitude 7,8 sur l’échelle ouverte de Richter, survenu près de Gaziantep dans le sud-ouest du pays, près de la frontière avec la Syrie. À ce jour, plus de 33.000 personnes ont péri dans ces deux pays, un bilan loin d’être définitif et qui pourrait doubler. Les immeubles effondrés se comptent par milliers, au moins 6000 en Turquie.

Ce samedi, la machine judiciaire s’est mise en route : une douzaine de personnes actives dans le bâtiment, des entrepreneurs, arrêtées en Turquie et une centaine de mandats d’arrêt lancés en rapport avec les constructions qui se sont effondrées, des enquêtes ouvertes dans plusieurs provinces touchées et le ministère de la Justice qui ordonne aux procureurs de dix provinces d’ouvrir des bureaux d’enquête sur les crimes liés aux tremblements de terre.

Un entrepreneur, responsable de la construction de la résidence Rönesans, qui a été détruite lors du tremblement de terre, a été arrêté à l’aéroport d’Istanbul alors qu’il tentait de fuir vers le Monténégro. La résidence de 12 étages avec ses 250 appartements et datant de 2013 s’est écroulée, engloutissant une partie de ses 1000 résidents.

Des experts, juristes et policiers sont dépêchés sur place, comme à Şanlıurfa, chargés de collecter des échantillons des ruines de la région.

Des règles non respectées

C’est la réaction à la colère suscitée par l’effondrement des bâtiments, qui trahit leur médiocre construction et n’a laissé pratiquement aucune chance à leurs résidents.

Beaucoup y voient aussi une tentative de faire oublier la lenteur des opérations de secours et l’apathie des autorités face au laisser-aller dans le domaine de la protection antisismique. À l’approche des élections du 14 mai, le président Recep Tayyip Erdoğan joue sans doute son avenir après 20 ans passés au pouvoir. Le président en visite dans la zone frappée a tenté de rejeter la responsabilité sur la fatalité : "Ces choses-là ont toujours eu lieu, cela fait partie du destin"…

Cela fait pourtant des années que les experts avertissent du danger lié au manque de sécurité des bâtiments dus à la corruption et au manque de contrôle de l’État.

Bâtiment effondré à Hatay.
Bâtiment effondré à Hatay. © Yasin AKGUL / AFP

Le tremblement de terre de 1999 à Izmit avait brutalement remis la question sous le feu des projecteurs. 20.000 morts, 100.000 bâtiments effondrés.

La plupart des décès étaient dus à des effondrements d’immeubles résidentiels. Des entrepreneurs blâmés pour leur mauvais savoir-faire et l’utilisation de matériaux bon marché et inadaptés ont été jugés, mais finalement très peu ont été reconnus coupables.

Peu d’années après ce drame, de nouveaux codes du bâtiment sont adoptés : les nouvelles constructions devaient se faire de manière parasismique, pour résister aux séismes.

Constructions sans permis amnistiées en 2018

Seulement, voilà : ces normes n’ont pas été respectées dans un pays où beaucoup de constructions se font sans permis. Des bétons de mauvaise qualité, des tiges de renforcement remplacées par du polystyrène, des inspections qui n’ont pas lieu…

Malgré de nouveaux séismes meurtriers en 2003, 2010, 2011 et 2020 au cours desquels les pouvoirs locaux et les instances de contrôle ont à nouveau été montrés du doigt, cela ne s’est pas amélioré.

Les architectes, les urbanistes, les ingénieurs ont surtout critiqué l’amnistie décidée pour les constructions sans permis par le gouvernement de Recep Tayyp Erdogan en 2018. La loi d’amnistie prévoyait la régularisation moyennant une simple amende (qui a tout de même rapporté 3 milliards de dollars à l’État) mais sans aménagements antisismiques.

Comme un jeu de cartes

Henry Bang, géologue et expert au Centre de gestion des catastrophes de l’Université de Bournemouth, explique au Guardian que "de nombreux bâtiments à plusieurs étages se sont effondrés comme un jeu de cartes. Cela montre que la plupart des bâtiments n’avaient pas les caractéristiques nécessaires pour assurer la stabilité lors d’un tremblement de terre."

"Ceux dont les murs se sont effondrés sont probablement de très vieux bâtiments qui ont été construits avec des matériaux de construction relativement plus faibles. Les bâtiments qui se sont effondrés comme un jeu de cartes n’ont probablement pas été construits avec des caractéristiques antisismiques."

… ou comme des crêpes

Ian Main, professeur de sismologie et de physique des roches à l’Université d’Édimbourg, ajoute : "En regardant certaines des photos des bâtiments endommagés, il est évident que la plupart d’entre eux n’ont pas été conçus pour résister à de très forts tremblements de terre".

"Il est clair que de nombreux immeubles ont connu ce qu’on appelle un effondrement en crêpes. Cela se produit lorsque les murs et les sols ne sont pas assez bien reliés entre eux et que chaque étage s’effondre verticalement sur celui du dessous, laissant un tas de dalles de béton sans pratiquement aucun espace entre eux. Cela signifie que les chances de survie des personnes à l’intérieur sont très faibles."

Ruines à Kahramanmaras
Ruines à Kahramanmaras © OZAN KOSE / AFP

"Il devrait y avoir des codes sismiques pour arrêter cela, mais ils ne sont pas suffisamment appliqués. Il n’est pas rare de voir un bloc debout avec peu de dégâts, et celui à côté – en raison d’une construction douteuse ou de l’utilisation de matériaux de mauvaise qualité – complètement aplati."

Les experts mènent l’enquête sur le terrain. A Şanlıurfa, leur conclusion est inquiétante : "D’après notre première analyse, nous avons détecté de graves défauts matériels. Bien entendu, nous finaliserons ces résultats après les constatations du laboratoire. Nous constatons que la distribution granulométrique sable-gravier du béton est inadaptée", explique le professeur Kasım Mermertaş de l’Université de Harran cité par l’agence turque Anadolu et le site DuvaR.

Souvent, aucune constatation n’est plus possible sur la structure : elle s’est complètement effondrée. Les experts ne peuvent que juger de la mauvaise qualité du ciment et du métal utilisé.

Du béton pas armé

Des structures trop faibles, notamment celles qui accueillent les nombreux réfugiés syriens en Turquie : c’est donc le facteur qui fait que ce séisme est si meurtrier, explique Ross Stein, PDG de la société de modélisation des catastrophes Temblor dans Scientific American.

Il s’était rendu sur place après le tremblement de terre d’Izmit de 1999. Il a pu constater lui-même comment étaient construites les structures de béton armé, dans une usine de la région : une fissure permettait d’arriver aux tiges métalliques à l’intérieur du béton. Mais à l’intérieur : rien, pas de barres de métal, juste du polystyrène…

Du simple béton, pas armé donc, sans le moindre renforcement. Après les tremblements de terre comme celui de 1999, il aurait pourtant fallu renforcer les constructions déjà existantes, mais vu le prix, cela n’a pas été fait dans bien des cas. Et ces séismes ont souvent aussi rendu les terrains instables, il fallait aussi en tenir compte pour reconstruire.

Les coulisses du pouvoir

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