Séisme au Maroc

Séisme au Maroc : "Ici, les choix des autorités nous semblent irrationnels"

Par V. de Thier sur base d'une interview réalisée par M. Vancutsem via

Près de 3000 morts : c’est le nouveau bilan – toujours provisoire – du séisme qui a secoué une région montagneuse du Maroc vendredi dernier. Le Roi Mohammed VI a rendu visite hier à des blessés dans un hôpital de Marrakech, avant de faire un don de sang. Mais cinq jours après la catastrophe des questions demeurent sur l’attitude du pouvoir marocain. Pourquoi le Maroc n’accepte-t-il pas l’aide internationale proposée par certains pays, dont la Belgique et la France ?

Omar Brouksy est un journaliste et universitaire marocain, auteur d’un premier livre remarqué, "Mohammed VI derrière les masques" (Nouveau Monde éditions, 2014). Il reste une des rares voix indépendantes du journalisme marocain. Malgré les "risques", celui-ci a accepté de répondre à nos questions.

Pourquoi les secours arrivent-ils si péniblement dans les villages de l’Atlas durement touchés par le séisme ?

Nous avons assisté à une mobilisation incroyable de la population – je dis bien de la population – marocaine. Le véritable problème qui se pose est celui de l’acheminement à cause de l’infrastructure défaillante. Ce problème ne se pose pas dans des villes comme Marrakech ou Agadir, qui ont aussi été affectées, car il y a une infrastructure, des routes, des hôpitaux. Mais les régions où l’épicentre du tremblement de terre a eu lieu, elles, ont toujours été délaissées, enclavées. Ce problème est connu puisqu’il date de l’indépendance. Aujourd’hui, nous avons l’impression de découvrir ces régions, ce qu’on appelle "l’autre Maroc".

Pourquoi le Maroc n’accepte-t-il pas l’aide proposée par certains pays ?

Franchement, c’est incompréhensible. Il faut savoir que c’est le Palais qui décide dans de pareilles circonstances, toutes les autres institutions disparaissent. Il y a deux pays où je peux comprendre ce refus pour des raisons politiques, l’Algérie et la France, même si l’humanitaire devrait l’emporter sur toutes les considérations politiques. En revanche, pour les autres pays je ne comprends pas. Je pense que le Maroc veut montrer sa souveraineté et décider de qui peut donner ou non, je pense qu’il y a une question de fierté. Or, la priorité est de sauver les gens sous les décombres. Pour ça, il faut des moyens et des professionnels. Ce choix des autorités n’est donc pas très rationnel. Ce sont des choses que nous ne comprenons pas ici.

Comment expliquer le silence du roi Mohammed VI depuis la catastrophe ?

Chaque chef d’Etat a sa façon de communiquer. Pour le roi du Maroc, c’est connu : c’est quelqu’un qui n’a pas été bien formé à la communication. Il n’a jamais tenu de conférence de presse, il ne s’est jamais adressé de manière spontanée au peuple. Lorsque le tremblement de terre a eu lieu vendredi à 23h, il était à Paris dans le cadre d’un voyage privé. Il est revenu le lendemain, il a tenu une réunion, il y a eu un communiqué mais après, silence radio. Cela peut paraître étonnant dans de nombreux pays mais ici au Maroc, on ne s’étonne pas. C’est une sorte de code. Nous savons qu’aucun homme politique n’osera faire le déplacement sur le terrain avant le feu vert du Palais ou le déplacement du Roi. C’est inimaginable.

On entend peu de voix discordantes au sujet de Mohammed VI, comme si on ne pouvait pas critiquer le pouvoir sous peine de représailles. Est-ce le cas ?

Évidemment, il y a trois tabous au Maroc, trois lignes rouges : la monarchie, la religion islamique et la question du Sahara occidental. Vous pouvez critiquer le Premier ministre, les ministres, tout ce que vous voulez, mais dès qu’il s’agit de la monarchie, il faut faire très attention et allumer à fond le moteur de l’autocensure.

Prenez-vous des risques en répondant à cette interview ?

Oui. Des collègues journalistes sont en prison. Tout est possible.

Sur le même sujet : extrait du JT du 12/09/2023

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