Anne Hermant vous propose la seconde partie de la biographie musicale de Dmitri Chostakovitch.
Retrouvez la première partie de la biographie musicale.
Le siège de Leningrad
Nous avons quitté Chostakovitch en 1939, année de son retour en grâce auprès des autorités soviétiques. Deux ans plus tard, il reçoit le Prix Staline pour son magnifique Quintette avec piano et cordes. C’est au cours de cette même année 1941 qu’Hitler met fin au pacte de non-agression signé avec Staline. L’opération Barbarossa est déclenchée le 22 juin, et quelques semaines plus tard, les premiers avions allemands bombardent Leningrad. C’est le début d’un des épisodes les plus tragiques de la Seconde guerre mondiale : le siège de Leningrad durera près de 900 jours et fera 1.800.000 victimes…
Chostakovitch se lance alors dans l’écriture de sa Symphonie n° 7 "Leningrad", au gigantisme patriotique, qui deviendra un symbole de la résistance soviétique face au nazisme. Le thème de la Marche du 1er mouvement, traditionnellement analysé comme une représentation de l’envahisseur, se développe lentement sur une durée de 11 minutes par une orchestration de plus en plus fournie, pour occuper finalement tout l’espace sonore, selon un procédé déjà utilisé auparavant par un certain compositeur français… Chostakovitch ne renie pas cette influence et dira à son ami Khatchatourian "Pardonne-moi, veux-tu, si cela te rappelle le Boléro de Ravel."
Rapidement populaire aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est, la Symphonie “Leningrad” est jouée plus de 60 fois sur le continent américain entre 1942 et 1943. C’est certainement là que Béla Bartók a dû l’entendre. Dans son Concerto pour orchestre, l’Intermezzo est interrompu par une citation du thème de la marche. Selon le chef d’orchestre Antal Dorati, Bartók aurait caricaturé un morceau de la 7e symphonie, qui d’après lui, bénéficiait d’un succès immérité. Mais selon le fils de Bartok, son père estimait l’œuvre de Chostakovitch et lui aurait ainsi rendu hommage.
Le retour des critiques
Pendant la guerre, Chostakovitch a beaucoup composé : des symphonies, des quatuors, un opéra et son second Trio avec piano, un des chefs-d’œuvre de sa musique de chambre. Mais dès 1945 il doit de nouveau faire face à des critiques. Et en 1948, Staline initie une nouvelle vague de répression culturelle. Chostakovitch apparaît en tête de la liste des compositeurs "formalistes" et "petits bourgeois". A plusieurs reprises, il doit faire son autocritique et perd sa place de professeur aux conservatoires de Moscou et de Leningrad. Mais dans le même temps, on l’oblige à représenter l’Union Soviétique dans les voyages officiels à l’extérieur du pays ! En 1949, à New York, il doit lire un discours qu’on a écrit pour lui, à la gloire du système musical soviétique. L’année suivante il fait partie de la délégation soviétique au Festival de Leipzig pour le Bicentenaire de la mort de Jean-Sébastien Bach. Lors du concert de clôture, il remplace au pied levé une pianiste, blessée au doigt, dans un concerto pour 3 pianos du maître allemand. Pour Chostakovitch, ce concert a peut-être été, un court moment de répit et d’évasion…
Ce contact avec la musique de Bach va inspirer Chostakovitch. De retour à Leningrad, il compose ses 24 préludes et fugues. Pour le pianiste Alexander Melnikov, cet opus “exprime la voix d’un homme tourmenté, qui trouve encore et encore, encore et toujours, la force d’affronter la vie telle qu’elle est, dans toute sa diversité, sa laideur et parfois sa beauté”.
Chostakovitch, Rostropovitch et Benjamin Britten
Les années qui suivent sont très difficiles pour Chostakovitch. Il beaucoup de mal à faire jouer ses œuvres : la plupart sont écrites “pour le tiroir”, selon l’expression russe. Ce n’est qu’après la mort de Staline, en 1953, que de nombreuses œuvres de Chostakovitch vont peu à peu reprendre place dans la vie musicale. A partir de 1954, Chostakovitch plonge dans une profonde crise d’inspiration. En 1958, il est à nouveau réhabilité, mais c’est seulement l’année suivante qu’il retrouvera l’inspiration musicale avec son 1er Concerto pour violoncelle, composé pour Mstislav Rostropovitch. Les deux hommes s’étaient rencontrés 15 ans plus tôt, lorsque le jeune Rostropovitch étudiait la composition dans la classe de Chostakovitch à Moscou. Chostakovitch dédiera plusieurs autres œuvres au grand violoncelliste, ainsi qu’à son épouse, la soprano Galina Vishnevskaya.