Environnement

Sécheresse, mauvaise gestion de l'eau, dérèglement climatique : les éléments de la désertification de l'Espagne sont rassemblés

Vue aérienne du lac Fuente de Piedra, à quelque 70 kilomètres de Malaga, le 15 février 2022.

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Par Africa Gordillo

L’Espagne sera-t-elle un désert dans quelques années ? Une certitude : il avance. Le manque de pluies, la gestion de l’eau, la construction de multiples barrages, de puits illégaux, et surtout l’agriculture intensive ont littéralement pompé la péninsule et le dérèglement climatique accentue significativement cette tendance lourde. Cette menace touche d’autres pays du sud de l’Europe comme le voisin portugais, l’Italie, la Grèce, Chypre, voire la Bulgarie ou la Roumanie. Mais au pays de Cervantès, 75% du territoire sont menacés. Et les géants climatiques qui menacent l’Espagne sont loin d’être des chimères.

© Bertrand Massart – RTBF

Le bulletin hydrologique que le ministère espagnol de la transition écologique et du défi écologique publie sur son site est évocateur : le feu orange clignote au sud de Madrid là où coulent le Tage et le Guadalquivir, dans certaines zones du Duero au nord de la péninsule, ainsi que dans l’Èbre, jusqu’à son Delta situé au sud de Tarragone. À certains endroits, les réserves d’eau n’atteignent même pas 25% des capacités, alors que la moyenne nationale tourne autour de 40%…soit 20 points de moins que la moyenne des dix dernières années à cette époque. La situation des nappes phréatiques n’est guère meilleure. Le manque est tel que la consommation d’eau a été limitée en Andalousie et en Catalogne.

La sécheresse s’installe en Espagne et ce n’est pas une nouveauté mais le dérèglement climatique accentue le phénomène et les perspectives ne sont pas réjouissantes. "Nous devons être extrêmement prudents et responsables au lieu de fermer les yeux", prévenait récemment la ministre espagnole de la Transition écologique, Teresa Ribera, disant anticiper des "épisodes de tension maximale".

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Et pour cause, selon une étude de Nature Geoscience que vous pouvez retrouver ici, l’anticyclone des Açores a changé au cours du siècle dernier et va se renforcer dans les prochaines années. Ces changements modifient et modifieront encore le climat en Europe, singulièrement dans le sud de l’Europe. Des canicules toucheront ainsi l’Espagne en été et ces étés secs ne seront pas compensés par de la pluie en automne et en hiver. Bref, selon les modèles mathématiques, la sécheresse s’accentuera.

Mais pour Julio Barrea de Greenpeace Espagne, le responsable est le gouvernement de Madrid : "Les fleuves sont en grande partie la propriété du gouvernement central, des fleuves comme l’Èbre, le Tage, le Guadalquivir dont la situation est catastrophique aujourd’hui. Le gouvernement de Madrid est tenu de définir toutes les menaces qui pèsent sur ces cours d’eau. Mais la gestion est mauvaise. Et pourtant, l’Espagne est le pays de l’Union européenne le plus menacé par la désertification".

L’agriculture intensive en question

La gestion de l’eau est en effet problématique dans la péninsule ibérique où l’agriculture pompe la toute grande majorité des réserves d’eau. Cette année n’est pas la plus mauvaise jamais enregistrée mais elle s’approche dangereusement du début des années 80 qui a marqué les esprits. Cette agriculture intensive apparaît aujourd’hui insensée au regard des exigences de régulation liées au dérèglement climatique.

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"De 1982 à 2022, la consommation d’eau a fortement augmenté en Espagne. En 40 ans, les terres irriguées sont passées à 4 millions d’hectares. Cette agriculture intensive absorbe en moyenne 80% des ressources hydriques du pays. En Andalousie, le pourcentage est de 87%. On a par exemple planté des avocats et des mangues dans le sud du pays. Or ces plantes ont besoin de beaucoup d’eau. Les oliviers sont désormais abondamment arrosés. Et le gouvernement et les communautés autonomes n’ont pas arrêté ce développement effréné. On va se heurter à un mur", fulmine encore Julio Barrea.

L’Espagne produit pour elle mais exporte beaucoup de fruits et de légumes et la question de savoir si elle doit rester le potager du monde est posée. Des voix s’élèvent. "Mais", analyse Greenpeace, "il est très difficile d’aller contre les agriculteurs ; le gouvernement devrait prendre des mesures très impopulaires. Il faudra pourtant transformer la manière dont on cultive ou dont on élève des cochons en Espagne". Greenpeace Espagne a d’ailleurs lancé une pétition sur son site, intitulée "Sauvons l’eau" qui interpelle directement les pouvoirs publics. Elle a recueilli à ce jour quelque 68.600 signatures.

1200 barrages en un siècle

L’aménagement de barrages – quelque 1200 au 20e siècle – a donné des ailes à l’agriculture intensive espagnole, un record européen rapporté au nombre d’habitants. Les barrages "ont permis à l’Espagne de passer en termes de terres irriguées de 900.000 à 3.400.000 hectares (Greenpeace évoque 4 millions d’hectares, ndlr)", se félicite sur son site internet le ministère de la Transition écologique, qui estime que "le système de gestion de l’eau est un exemple de succès".

Pour le Conseil scientifique du bassin Rhône-Méditerranée, organisme français regroupant des spécialistes d’hydrologie, "le modèle espagnol" ne tient "que dans la mesure où les ressources en eau sont suffisamment disponibles" pour permettre "le remplissage des retenues" d’eau. Or, "il semble que ces limites physiques soient proches", estime-t-il dans un rapport. Le Conseil ajoute que "les évolutions climatiques déjà à l’œuvre, et qui vont perdurer dans les décennies à venir, vont accentuer le risque de défaillances, dont la gravité pourra aussi tenir aux faibles possibilités d’adaptation" du modèle actuel.

Les puits illégaux

Julio Barrea de Greenpeace pointe un autre problème de taille, les puits illégaux : "Les puits illégaux sont quatre fois plus nombreux que les puits légaux. Rien n’a été fait pour contrecarrer cela. Il en ressort que les eaux souterraines sont en très mauvais état car elles sont surexploitées et contaminées, surtout avec les nitrates issus des cultures et des élevages de porcs".

Julio Barrea veut malgré tout rester optimiste "même si c’est difficile. Tout le monde parle de dérèglement climatique", ajoute-t-il, "mais presque personne ne fait attention à l’eau".

"L’eau, ce bien commun" comme l’écrit l’économiste italien Ricardo Petrella.

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