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Scindons les banques! 5 ans de crise bancaire: enfin le vaccin?

Michel Cermak

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Par Michel Cermak

Nos élus sont-ils capables de résister aux lobbies bancaires ? De se mettre au service du citoyen, de préserver notre épargne et nos services publics ? De prendre enfin les mesures suffisantes pour que plus jamais nos impôts ne doivent renflouer des banques ?

5 ans déjà. Le 15 septembre 2008, la banque Lehman Brothers tombait en faillite, provoquant la plus grande crise bancaire de notre ère. Très vite, la contagion mondiale touche l’Europe et la Belgique, qui mobilise des milliards d’euros pour sauver des banques, à commencer par Fortis et Dexia. Les pays de la zone euro entrent dans une crise de la dette, au nom de laquelle les gouvernements belge et européens se réunissent régulièrement dans l’urgence pour couper tous azimuts dans les budgets de la santé, de l’éducation, de la sécurité sociale ou de la culture, notamment.

Il serait simpliste d’affirmer que rien n’a été fait depuis lors. " Réguler la finance " est un refrain qui a rapidement envahi le discours politique, même s’il a vite été rattrapé par la rengaine de l’austérité. Des décisions nécessaires mais pas suffisantes ont été prises. Citons les règles de " Bâle III ", visant à renforcer la stabilité des banques, ou encore l’union bancaire, outil organisant notamment la supervision unique des banques à l’échelle européenne. Ces décisions utiles font bouger quelques paramètres de notre modèle bancaire mais ne s’attaquent pas à ses faiblesses intrinsèques.

Une solution qui a déjà fait ses preuves

On pourrait se résigner à penser que la finance mondialisée est indomptable, que ses lobbies sont trop puissants et que si des solutions existaient, ça se saurait. C’est dans un climat semblable, après la crise de 1929, que Franklin D. Roosevelt devient président des Etats-Unis. Dès son arrivée au pouvoir, il prend 30 minutes à la télévision pour expliquer aux citoyens les causes profondes de la crise et la réforme bancaire qu’il lancera immédiatement. Dans les jours qui suivent, la confiance est rétablie et les citoyens retournent confier leur argent aux banques, convaincus que la nouvelle législation – appelée " Glass-Steagall act " - les protégera des comportements irresponsables et cupides de certains traders. Et c’est exactement ce qui s’est passé : le système bancaire américain n’a pas connu de crise majeure entre 1933 et 1999, lorsque cette loi a été abrogée.

Cette solution, c’est la scission des banques, entre banques de dépôts et banques d’affaires.

En effet, les banques qui cumulent les métiers de dépôt et d’affaires, modèle dominant en Europe et dans le monde depuis les années 2000, posent un grave problème systémique : elles ont massivement spéculé sur les marchés financiers, y compris avec l’épargne des citoyens, et engrangé d’importants profits à court terme, qu’elles ont distribué à leurs dirigeants et actionnaires sous forme de bonus et dividendes. Mais lorsque leurs prises de risques excessives ont mal tourné, leur exposition à la crise financière mondiale a mis en danger l’épargne des citoyens qu’elles détenaient. Et c’est donc l’Etat belge qui a dû intervenir, à coups de milliards d’euros. C’est ainsi que nos impôts ont servi à sauver la banque Fortis (le 28 septembre 2008) puis Dexia (le 30).

Dresser un mur

Cela fait donc bientôt 5 ans que les citoyens paient cette facture cash à chaque nouvelle mesure de restriction budgétaire ; et des mesures suffisantes n’ont toujours pas été prises pour s’assurer que plus jamais l’argent des contribuables ne doive encore sauver des banques. Pendant ce temps, la plupart des banques ont renoué avec les profits et les bonus démesurés. Le système qui reste en vigueur jusqu’à ce jour encourage donc les banques à socialiser les pertes tandis que les profits restent dans les poches des banques et de leurs actionnaires.

Si on dressait enfin un mur infranchissable entre banques de dépôt et banques d’affaires, les banques de dépôt se cantonneraient à collecter l’épargne et à financer l’économie réelle, en prêtant aux particuliers et aux entreprises, petites et grandes. Ces activités sont bien plus faciles à encadrer et leurs risques plus aisés à mesurer que la spéculation sur les marchés mondiaux, l’Etat pourrait donc garantir l’épargne des citoyens tout en prenant un risque maîtrisé. L’épargne des citoyens ne servirait plus à alimenter les activités spéculatives risquées des banques d’affaires qui, en cas de pertes importantes, pourraient être mises en faillite sans rien coûter à l’état.

La puissance des lobbies bancaires

Notons d’ailleurs que le Canada, où une séparation stricte entre banques de dépôt et d’affaires a été maintenue, a été relativement épargné par la crise bancaire américaine.

Rappelons enfin qu’en Belgique l’Arrêté n°2 du 22 août 1934 a consisté à séparer les banques de dépôt et les sociétés de portefeuille (holding), jusqu’à son abolition en 1993. Cas unique en Europe, les banques belges avaient l’interdiction absolue de détenir des actions de sociétés industrielles. Les banques qui exerçaient l’activité de banque de dépôts pouvaient faire les opérations financières courantes, en s’abstenant rigoureusement de toute participation, quelle qu’en soit la nature, dans des entreprises financières, industrielles, agricoles ou commerciales. L’économie s’en portait bien ; c’est d’ailleurs pendant cette période qu’ont eu lieu ce qu’on appelle les Trente Glorieuses, années de prospérité entre les années 1950 et 1980… Avant que les lobbies bancaires ne parviennent à obtenir l’abolition de ces lois. Ils essayeront encore, aujourd’hui, d’empêcher une nouvelle régulation ou de la vider de son contenu, pour pouvoir continuer ce petit jeu qui leur rapporte gros.

Les lobbies bancaires ont d’ailleurs efficacement affaibli les initiatives récentes en la matière : En France et en Allemagne, les réformes décidées en 2013 n’obligent le cantonnement que d’une part infime des activités spéculatives existantes. Et au Royaume Uni, la règle Vickers, plus efficace, ne sera pas d’application avant 2019. Enfin, au niveau européen, la Commission européenne promet depuis de nombreux mois une initiative qui tarde à venir.

Belgique : promesses du gouvernement, évitera-t-on une demi-mesure à la française ?

En Belgique, le Premier ministre Di Rupo a rappelé, fin 2012, que la question était à l’agenda pour 2013, mais on attend toujours une initiative concrète à ce sujet, qui devrait venir du ministre des finances, Koen Geens. Derrière les grands discours, on connaît la capacité de ce gouvernement de (large) coalition à ménager la chèvre et le chou, ce qui fait craindre une mesure insuffisante, comme en France. Le scénario le plus probable est que le gouvernement suivra les recommandations de la Banque Nationale de Belgique, qui prône des demi-mesures, dont elle admet elle-même les limites : pour les propositions qui permettent aux activités séparées de rester au sein du groupe, la contagion peut se produire entre entités du groupe par la voie du risque de réputation. Une telle décision " tiède " serait incapable de protéger efficacement l’épargne des citoyens et les budgets des services publics alimentés par les contribuables.

C’est pourquoi le collectif Roosevelt .be, officiellement créé en Belgique en juin dernier, a lancé un appel à la mobilisation citoyenne en faveur d’une réelle scission des banques belges et européennes. Si les citoyens ne font pas massivement entendre leur voix, en signant cette pétition et en participant aux actions publiques prévues par le collectif à partir du 28 septembre, les lobbies bancaires seront les seuls interlocuteurs du gouvernement et n’auront aucune peine à le convaincre*.

La question reste ainsi posée : existe-t-il dans le paysage politique contemporain des hommes d’Etat de la trempe d’un Roosevelt pour prendre des décisions à la mesure des défis de notre temps ?

 

Michel Cermak, porte-parole du collectif Roosevelt.be.

Ingénieur de gestion de formation (Solvay business School), Michel Cermak est un citoyen engagé dans divers combats progressistes. Le collectif Roosevelt.be à l’origine de la campagne pour la scission des banquelui a confié le rôle de porte-parole

 

*Leur argument principal est que la scission des banques limiterait l’accès au financement pour les PME. Cet argument avait déjà été brandi par les banquiers en 1933 et ne s’est pas concrétisé pendant plus de 50 ans où la scission des banques était en vigueur aux Etats-Unis. On peut même avancer que les banques de dépôt, qui n’auront plus le droit de spéculer sur les marchés, n’auront d’autres choix que d’investir dans l’économie réelle.

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