Théâtre

Scènes de vie conjugale, au Théâtre Océan Nord : de l’autre côté du miroir

Scènes de vie conjugale, au Théâtre Océan Nord

© Marie-Françoise Plissart

Par Diane Delangre

Myriam Saduis n’est pas la première à s’attaquer à cette œuvre cinématographique, mais son regard avisé apporte une indéniable plus-value à la réflexion. Après son dernier succès "Final cut", la metteuse en scène nous revient avec une version innovante des "Scènes de vie conjugale" d’Ingmar Bergman. À ne pas manquer au Théâtre Océan Nord.

Avant de nous aventurer plus loin, deux mots s’imposent pour se mettre dans le bain : la série télévisuelle "Scènes de vie conjugale" écrite et réalisée par le suédois Ingmar Bergman est un incontournable du petit écran. Créée en 6 épisodes, elle décortique la mécanique d’un couple considéré comme idéal : un mariage hétérosexuel, une situation économique stable, des enfants qui ne manquent de rien, aucune turbulence si ce n’est de savoir le menu de Noël… Bref, une bien jolie photo de famille validée par l’entourage proche et la société en général. Le cadre vole cependant en éclat à l’annonce du départ du mari, une rupture inattendue qui remet en question le concept même de couple.

Si de prime abord, le speech ne semble pas ruer dans les brancards de la nouveauté, précisons que nous sommes en 1974 quand la série est portée à l’écran et qu’elle provoque alors une augmentation significative du nombre de divorces. Étonnant ? Pas tant que ça quand on comprend que Bergman met le doigt sur ce qui fâche : les couples dits "coquilles vides", parfaits à l’extérieur mais vides de sens. En concentrant son récit sur l’intimité du couple, le cinéaste a su mettre en lumière les fils invisibles qui tissent les relations.

Presque 50 ans plus tard, l’Israélien Hagai Levi s’approprie la série culte pour en proposer une version moderne où les rôles s’inversent : c’est au tour de l’épouse de larguer les amarres, laissant mari et enfants sur le palier. Si son idée d’inversion des genres tient sur un post-it, c’est un coup d’éclat à l’écran. Trois ans plus tard, s’emparant à son tour de l’œuvre suédoise, Myriam Saduis va plus loin dans la réflexion : Et si, en plus d’inverser les genres, on comparait les versions ?

Scènes de vie conjugale, au Théâtre Océan Nord
Scènes de vie conjugale, au Théâtre Océan Nord © Marie-Françoise Plissart

Transformant le plateau en laboratoire de jeu, "Scènes de vie conjugale" se présente donc sous un nouveau format grâce à un habile jeu de miroirs : cinq artistes en scène, deux couples (accompagnés par Madame Jacobi) et un seul récit. Par ce dispositif théâtral, Myriam Saduis propose une analyse fine et juste du rapport homme-femme et de l’impact de notre éducation genrée sur notre vision du couple. Entourée d’une équipe de jeunes artistes (25-30 ans), la metteuse en scène a su nourrir le travail de leur regard, écho d’une jeune génération animée par ses propres ressentis et contradictions. Évitant le piège du théâtre réaliste, elle insuffle du mouvement et de la spontanéité pour donner de l’espace à l’expression des corps et des émotions. Le travail est payant et fait naître des instants suspendus dans le temps.

Loin de placarder des réponses toutes faites dans nos esprits, cette nouvelle variation des "Scènes de vie conjugale" y dessine au contraire des points d’interrogation. Invité à analyser de ce dont il est témoin, le public plonge dans une introspection née de la prise de conscience face à nos pensées conditionnées. Quelles étiquettes mettons-nous sur les gens, parfois malgré nous ? Quelle influence notre société a-t-elle sur notre image du couple et sur nos idéaux ? Pourquoi et dans quelle mesure notre perception d’une situation peut-elle varier en fonction du genre ?

Le Théâtre Océan Nord ouvre sa saison avec une pièce qui fait mouche et qui ne manquera pas de bousculer les pensées.

En pratique

Scènes de vie conjugale, d’Ingmar Bergman.

Adapté et mis en scène par Myriam Saduis.

Avec Nicolas Arancibia, Marion Eudes, Mathilde Marsan, Laure Valentinelli et Yoann Zimmer

Au Théâtre Océan Nord jusqu’au 23 septembre.

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