Comme nous l’avons mentionné dans notre enquête, la commune d’Anderlecht a constaté des infractions au Code Bruxellois de l’Aménagement du Territoire. Un procès-verbal daté du 20 décembre 2016 (et non pas du 23 comme allégué par Mgr Cosijns) le démontre. À l’époque, la commune propose deux options :
- soit la remise des lieux dans leur état d’origine ;
- soit l’introduction d’une demande réglementaire de permis d’urbanisme.
Cette deuxième option sera privilégiée avec l’intervention de l’Archevêché de Malines-Bruxelles. Le 23 avril 2021, l’asbl Rafaël fait don du bâtiment à l’Archevêché. Dans l’acte notarié, le bâtiment est estimé précisément à 3.110.884 euros. Il est cédé gratuitement à l’Église catholique belge. Pourquoi ce cadeau ? Il s’agissait du principal actif de l’association. Pourquoi ne pas l’avoir vendu (à l’Archevêché ou à un tiers privé) pour réinvestir la somme au service de son public cible, à savoir les personnes migrantes et la population fragilisée et démunie ?
Pourquoi appauvrir l’asbl de la sorte alors qu’elle est déjà fortement endettée ? Rappelons que les derniers comptes annuels déposés au greffe du Tribunal (année 2019) sont très clairs. Les fonds propres du Centre Rafaël sont en négatif de -279 800,42 euros. Sa richesse nette est donc dans le rouge. Pourtant, au moment du décès du Père fondateur Réginald Rahoens en 2011, les fonds propres étaient positifs de +161.503,30 euros. Sous l’ère d’Herman Cosijns, un déclin financier va s’opérer. Ce n’est pas une opinion, c’est un fait indiscutable démontré par des documents comptables et confirmé par l’expertise d’Hugues Fronville, réviseur d’entreprises honoraire.
L’asbl va même engager des sommes très importantes pour le futur projet de l’Archevêché dont elle ne sera plus le propriétaire. En 2018, 126.705,66 euros de frais de consultance auprès de bureaux d’études, de bureaux d’architectes… seront dépensés. Sans parler des prêts consentis à l’administratrice déléguée de l’asbl Rafaël. Nous y reviendrons.
Dans ce contexte, il est d’intérêt public de connaître les fonctions des signataires de l’acte notarié mais aussi des administrateurs de l’asbl Rafaël qui ont pris cette décision de donation et qui, par leur gestion, ont provoqué le déclin financier de l’asbl Rafaël. Dès la cession du bâtiment, l’association s’est vidée de sa substance (à savoir la quasi-totalité de ses actifs).
Lors de la signature de l’acte de donation, Mgr Herman Cosijns représentait l’asbl Rafaël en tant que président du conseil d’administration. Patrick du Bois de Bounam de Ryckholt signait pour l’Eglise comme bénéficiaire, de par sa fonction d’administrateur délégué de l’Archevêché de Malines-Bruxelles.
Au premier regard, il ne semble pas y avoir de conflit d’intérêts car ni l’un ni l’autre ne siège dans les deux conseils d’administration (Rafaël et l’Archevêché). C’est la ligne de défense de Mgr Herman Cosijns. On précisera néanmoins que ce dernier, au moment de sa prise de présidence de Rafaël le 19 juillet 2011, est encore membre de l’assemblée générale de l’Archevêché de Malines-Bruxelles et le sera jusqu’au 25 mai 2012 (documents consultables au greffe du tribunal de commerce de Malines).
Cela dit, ces deux hommes sont aussi membres du conseil d’administration de l’asbl Bethléem qui a pour but de promouvoir l’essor du logement social par l’Eglise. La rénovation du centre Rafaël s’inscrit dans cette dynamique. Au travers de ce projet impulsé par le cardinal Danneels et dont l’actuel numéro un de l’Archevêché de Malines-Bruxelles, Jozef De Kesel, a été également membre du conseil d’administration (du 17 décembre 2008 au 18 mai 2011), l’Eglise cherche des bâtiments pour les réaffecter en logements sociaux. Dans les statuts de l’asbl Bethléem, il est clairement indiqué que cette association a " pour but le développement de l’habitat social […] A cet effet, elle peut acquérir ou posséder en propriété ou autrement tous biens meubles ou immeubles ".
On notera que Marie-Françoise Boveroulle est la coordinatrice du projet Bethléem pour le vicariat de Bruxelles et qu’elle est entrée également dans le conseil d’administration de Rafaël le 22 juin 2016.
Dans le cas qui nous occupe, l’asbl Bethléem est donc une association intermédiaire entre l’Archevêché de Malines-Bruxelles et l’asbl Rafaël. Elle met les acteurs en contact et elle pousse ce projet de rénovation. Car, elle est en recherche permanente de nouveaux bâtiments à transformer en logements sociaux.
Or, si l’on consulte directement les documents comptables de l’asbl Bethléem on peut observer au greffe du tribunal de commerce de Bruxelles qu’ils sont imprimés sur du papier à en-tête de l’Archevêché. Les preuves de dépôt des comptes annuels de cette asbl sont directement envoyées à l’Archevêché de Malines-Bruxelles, ce qui montre que Bethléem est pilotée administrativement depuis l’Archevêché. C’est un peu comme une sorte de " filiale ". Si l’on regarde l’adresse mail du projet Bethléem, elle a le même nom de domaine que celui de l’Archevêché (@diomb.be). Ce qui met en évidence des liens non seulement de personnes entre l’Archevêché et l’asbl Bethléem mais aussi des liens structurels d’organisation (même papier à en-tête et serveur web). Dit de manière plus simple : être membre de l’asbl Bethléem, c’est aussi faire un peu partie de l’Archevêché.
Mgr Herman Cosijns est également secrétaire général de la Conférence épiscopale. Son supérieur hiérarchique direct n’est autre que le président de la conférence, à savoir le Cardinal Jozef De Kesel, lui-même archevêque de Malines-Bruxelles dont l’entité devient propriétaire du bâtiment.
Lors de l’assemblée générale de l’asbl Rafaël du 3 septembre 2020, Mgr Herman Cosijns et Marie-Françoise Boveroulle auraient dû signaler ces différentes fonctions et se déporter de la décision de cession gratuite du bâtiment à l’Archevêché. Ce qu’ils n’ont pas fait. Ils nous l’ont confirmé lors d’une interview filmée le 16 septembre 2021 dans les locaux de la Conférence épiscopale. Il s’agit là d’un conflit d’intérêts.
De nouveau, ce n’est pas un point de vue de journalistes, mais l’analyse d’un avocat spécialisé, Me Stéphane Rixhon (cabinet Oak Law et professeur de droit public). Bien entendu, on ne parle pas ici d’un enrichissement personnel de la part de Mgr Herman Cosijns ou de Marie-Françoise Boveroulle.
Néanmoins, le nouveau code des sociétés et des associations dont certaines dispositions impératives sont entrées en vigueur le 1er janvier 2020, prévoit une notion large du conflit d’intérêts, qu’il s’agisse d’avantages directs ou indirects. Le bâtiment ne va pas directement dans le patrimoine de Marie-Françoise Boveroulle, de Mgr Herman Cosijns ou de Patrick du Bois. Dans le cas précis, c’est l’asbl Archevêché de Malines-Bruxelles qui a été avantagée par le don de l’asbl Rafaël. Un don de 3,1 millions d’euros. Ce n’est pas un montant anodin d’autant que cette transaction met en péril la survie même de l’asbl.
Tous ces éléments font dire à Me Rixhon que les dispositions relatives aux conflits d’intérêts dans le cadre d’une asbl s’appliquent dans le cas présent.
Cette analyse est également appuyée par le témoignage de l’ancien administrateur délégué, le Père Charles Mbu qui nous a autorisés à utiliser ses déclarations. Il dit à propos de Mgr Herman Cosijns : " C’est lui qui a fait le relais entre le centre Rafaël et l’Eglise. C’est lui qui a fait passer l’asbl à l’Archevêché. Il m’avait demandé les documents notariés du centre Rafaël. Avant sa mort, Réginald (NDLR : le fondateur Réginald Rahoens) m’avait tout confié. Il me les a demandés et je les lui ai donnés. En fait, c’est lui l’acteur principal qui était assis sur deux chaises. D’un côté, il représente le centre. De l’autre, il représente l’Eglise. L’autre membre du Conseil, c’est Marie-Françoise Boveroulle qui est coordinatrice du projet Bethléem. Elle était contente de voir que, dans ses activités du projet Bethléem, elle aurait le centre Rafaël. C’est elle aussi qui a fait en sorte que le centre passe du projet Rafaël au projet de l’Eglise. Mais, l’Eglise va lui confier ça. Car, ce sera le projet Bethléem qui va piloter tout ça ".