Des mesures trop facilement contournables ?
C’est toute la difficulté. C’est connu, les riches dissimulent souvent leur patrimoine, et donc on a affaire soit à des factotums, des prête-noms, soit des montages financiers extrêmement complexes, souvent offshore d’ailleurs. Selon Le Monde, par exemple, Vladimir Poutine lui-même ne détient quasiment pas de patrimoine en son nom propre, alors qu’il est considéré comme l’homme le plus riche du monde.
Alors est-ce que c’est totalement inefficace pour autant ? Selon un avocat fiscaliste que nous avons contacté, qui défend des clients visés par des sanctions internationales, cela a une efficacité tout de même sur le terrain de l’image, de la réputation. Les entités visées se retrouvent sur des listes que se partagent l’ONU, les États, l’Union Européenne. Avoir son nom et figurer sur tous les répertoires de ce qu’on considère comme des parias, ce n’est tout de même pas rien, notamment si vous voulez étendre vos activités dans d’autres pays…
Comment quantifier les avoirs de ces oligarques ?
C’est l’autre problème. Prenons un exemple : cette note de la branche britannique de l’ONG Transparency International, et ce n’est pas anodin puisqu’on sait que Londres a souvent la réputation d’être le paradis des résidences secondaires pour oligarques russes.
La plupart des biens sont détenus par des sociétés offshore secrètes
Selon sa dernière analyse, Transparency International a listé au moins 1 milliard 800 millions d’euros de biens britanniques qui appartiennent en fait à des Russes accusés de crimes financiers ou ayant des liens avec le Kremlin. Mais voilà, la plupart de ces biens sont détenus par des sociétés offshore secrètes. L’ONG décompte aussi 90.000 propriétés à travers le Royaume-Uni qui appartiennent à des sociétés opaques russes.
Vous l’avez compris, saisir 3 yachts et deux villas sur la Riviera, ça paraît plutôt facile, mais démasquer la totalité des actifs s’apparente à long parcours du combattant. Sauf si la communauté internationale s’accorde (enfin ?) à réduire le crime financier mondial organisé, mais alors ça ne concernera sans doute pas que les milliardaires russes.
Ces sanctions, un tournant ?
Oui, surtout dans leur proportion. Ces listes vont s’étendre, s’élargir aux familles des oligarques russes. Il faut relire la déclaration conjointe de la Commission européenne, de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, du Royaume-Uni, du Canada et des Etats-unis. Je vous en lis un extrait : "Nous nous engageons à inaugurer cette semaine une task force transatlantique qui garantira la mise en œuvre effective de nos sanctions financières en inventoriant et en gelant les avoirs des personnes et des entreprises sanctionnées présentes sur nos territoires. Dans le cadre de cet effort, nous nous engageons à appliquer des sanctions et d’autres mesures financières et répressives contre d’autres fonctionnaires et élites russes proches du gouvernement russe, ainsi que leurs familles, et à recourir à des instruments connexes pour inventorier et geler les avoirs qu’ils détiennent sur nos territoires."
Selon notre expert, cet élément est totalement inédit. Mais attention, il met tout de même en garde face à ce catalogue de bonnes intentions : on est ici dans le pur déclaratif. Tant qu’il n’y a pas de sanctions onusiennes, il n’y a aucun cadre légal à cela, pas de cadre international légal. Le seul cadre juridique qui pourrait être utilisé pour l’instant, ce sont des accords bilatéraux entre les membres de cette task force transatlantique, mais ce sont donc bien des accords bilatéraux.
Néanmoins si ça s’applique, l’avocat fiscaliste reconnaît qu’un cap est franchi.
Une personne listée peut-elle le contester ?
C’est une vraie question, car c’est la base en droit : tout accusé a droit à l’accès au dossier et à une défense. Ce n’est pas toujours le cas ici. L’avocat fiscaliste que nous avons joint va même jusqu’à parler de manquement du droit international, certes dicté par l’urgence de la situation, mais tout de même.
"C’est très difficile de contester ce listing, seule la Cour de justice de l’Union Européenne peut être saisie, et encore : les plaignants n’ont bien souvent pas accès aux informations", souligne-t-il.
Un dernier point tout de même pour conclure : on pourrait aussi se dire que se positionner comme chevalier blanc, c’est bien. Mais il faut savoir que l’Occident achète chaque jour plus de 600 millions d’euros d’hydrocarbures à la Russie. Alors, évidemment, ça remet le débat sur notre dépendance énergétique, mais ne plus se fournir en Russie étranglerait sans doute le pays d’un cran supplémentaire.