Economie

"Satisfaits de notre service ?" : entreprises et enquêtes de satisfaction, une façon de garder la mauvaise humeur en interne

Le marché matinal

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Par Anne Poncelet via

Vous avez sans doute déjà vécu cette expérience à de nombreuses reprises. Vous réceptionnez un colis et, le livreur à peine parti, la porte à peine refermée, un mail vous attend : êtes-vous satisfait de votre expérience de livraison ? Et c’est pareil pour vos achats dans de nombreux magasins : les formulaires de satisfaction se multiplient. Et si cela vous énerve ou vous agace, prenez votre mal en patience, cela devrait encore s’accentuer.

"En effet, ce n’est que le début, confirme Cécile Delcourt, professeure de marketing à HEC Liège. Ce phénomène de collecte, de culture du feedback vient des Etats-Unis. Là-bas, ça fait partie du service d’envoyer un questionnaire de satisfaction suite à une transaction avec l’entreprise, même suite à de petites transactions. En Europe, la culture du feedback client est et sera de plus en plus présente."

Garder le contrôle sur la mauvaise humeur du client

C’est donc une tendance qui se généralise. Télécoms, livraisons, magasins, agence de voyages, coiffeur, resto, tout le monde aujourd’hui veut connaître votre avis, vous le consommateur qui reviendra (ou pas) dans ce magasin, qui refera appel (ou pas) à cette société de services. "Les enquêtes de satisfaction sont vraiment un formidable outil de mesure pour l’entreprise puisque cet outil leur permet vraiment d’évaluer et de piloter la santé de leur entreprise en continu et en temps réel, observe Cécile Delcourt. En fait, la satisfaction, c’est un indicateur clé parce qu’elle prédit différents comportements chez le client, comme la confiance, l’engagement, la fidélité, etc. Et la fidélité des clients s’exprime notamment par le bouche à oreille, les intentions d’achat, la sensibilité aux prix, etc.

L’idée, c’est vraiment de maîtriser le feedback négatif des clients en les invitant à introduire leur plainte auprès de l’entreprise elle-même, et non pas diffuser du feedback négatif sur les réseaux sociaux.

Ce qui intéresse l’entreprise, ce n’est pas la masse des indifférents qui ne répondent pas. Ce qu’elle désire, c’est un peu ceux qui sont enthousiastes et le disent, mais ce sont surtout les râleurs que les entreprises veulent capter, pour maîtriser une éventuelle mauvaise humeur des clients.

Dans un environnement où les réseaux sociaux sont devenus le centre de l’expression publique, l’emballement de commentaires négatifs peut rapidement nuire à une réputation. "Ce que cherche vraiment l’entreprise en envoyant un questionnaire d’évaluation au client, c’est de récolter son feedback, d’identifier des problèmes mineurs, mais aussi et surtout d’identifier et de corriger d’autres problèmes majeurs et donc de récolter les plaintes, confirme Cécile Delcourt. Ce qu’elles veulent, ces entreprises, c’est que le client se plaigne en interne, directement auprès de l’entreprise, et non pas en externe auprès d’un grand nombre de clients potentiels, notamment en diffusant des commentaires extrêmement négatifs sur les réseaux sociaux.

L’enquête de satisfaction devient donc pour l’entreprise une façon de contrôler son image, de maîtriser le feedback négatif.

Le client, après s’être remémoré des souvenirs positifs, va dépenser entre 8 et 33% de plus par rapport à un client qui n’aurait pas été invité à se remémorer ces moments positifs avec l’entreprise.

La façon de poser les questions peut aussi avoir son importance et même influencer le comportement du consommateur. "Par exemple, détaille Cécile Delcourt, c’est d’inviter le client à se remémorer les événements positifs durant l’expérience de service qu’il vient d’avoir. Et on constate en fait, selon les études, que le client, après s’être remémoré ces souvenirs positifs, va dépenser ultérieurement entre 8% et 33% de plus, par rapport à un client qui n’aurait pas été invité à se remémorer ces moments positifs avec l’entreprise."

Les hôtels et restos s’y mettent, poussés dans le dos par les réseaux

D’ailleurs, Cécile Delcourt le constate, les restaurants et les hôtels, habitués à subir les commentaires sur les sites spécialisés ou sur les réseaux sociaux, se mettent eux aussi à envoyer des questionnaires : "Pour les entreprises telles que les restaurants, les hôtels, ça permet évidemment d’inverser la tendance et de se dire : 'plutôt que de recevoir des commentaires spontanés des clients, on va aller chercher nous-mêmes le feedback et inviter les clients à répondre en direct, auprès de nous, et de partager son feedback négatif ou son feedback positif également.'"

Des enquêtes de satisfaction comme ADN de gestion de l’entreprise : les exemples de Carglass et Belfius

Certaines entreprises ont même placé ces enquêtes de satisfaction au cœur de leur gestion quotidienne. C’est le cas de Carglass, citée en exemple dans des écoles de commerces, qui considère que cette "expérience client" est hautement importante.

La société limbourgeoise, qui occupe 700 travailleurs, communique très ouvertement sur le sujet : "C’est dans notre ADN, explique Barbara Delvoye, insights manager chez Carglass. Nous travaillons beaucoup avec le score NPS (ndlr : le pourcentage de clients qui évaluent la probabilité de recommander une entreprise, un produit ou un service à un ami ou à un collègue). Selon la théorie, si vous donnez un 9 ou un 10, vous allez parler de l’entreprise avec vos amis. Notre score est aujourd’hui de 82%. Nous utilisons ce NPS depuis 2008 et auparavant, d’autres systèmes étaient déjà en place."

Les clients reçoivent donc un questionnaire après leur visite dans un centre de réparation. Le taux de réponse est d’environ 25%. Les résultats de ces enquêtes sont communiqués chaque semaine. Les responsables des centres locaux de l’enseigne sont priés d’en prendre connaissance et d’adapter au besoin leurs pratiques.

Des avantages financiers sont aussi liés au score récolté lors de ces enquêtes de satisfaction. L’outil est donc pleinement ancré dans les pratiques de l’entreprise.

"Non seulement l’entreprise communique un classement hebdomadaire, mais les résultats sont également utilisés pour calculer la prime d’équipe des employés des centres d’accueil, rapporte une étude menée en 2013 par la Vlérick School. Les équipes de ces centres sont récompensées sur la base des scores de satisfaction des clients et des scores de qualité, et non sur la base des résultats financiers."

Et cela amène aussi l’entreprise à changer ses pratiques : "l’an dernier, nous avons introduit un formulaire d’après plainte, pour mesurer la satisfaction après le traitement des plaintes. Nous avons aussi un questionnaire pour les clients qui ne nous choisissent pas."

Un outil de communication vers l’extérieur

Le résultat de l’enquête de satisfaction, pour autant qu’il soit positif est également un outil de promotion et de communication. "Nous travaillons avec nos partenaires, les assureurs, les sociétés de leasing par exemple, précise Barbara Delvoye, et nous communiquons deux fois par an les scores que leurs clients nous ont attribués."

Autre exemple : chez Belfius, le résultat d’enquêtes de satisfaction a donné lieu en 2014 à une large campagne publicitaire, sous le slogan "95% de clients satisfaits, on se donne à 100% pour y arriver".

A l’époque, le CEO de Belfius avait déclaré à nos confrères du Vif que "Le taux de satisfaction sera désormais un indicateur clef pour l’entreprise. Avant, c’était le marché qui était au centre de cette maison. Je veux à présent que ce soit le client, avait annoncé Marc Raisière.

Et effectivement, depuis lors, la banque s’est pleinement engagée dans cette politique. Le taux de satisfaction client deviendra un pilier de la stratégie de Belfius et l’un des critères pesant sur une partie de la rémunération variable de certains membres du personnel, essentiellement les cadres et le comité de direction. ​​​

Depuis 2014, nous avons contacté quatre millions de clients et reçu environ 520.000 réponses. C’est une mine d’or pour s’améliorer.

Il faut dire que les crises sont passées par là. 2008 puis 2011 ont laissé des traces et de la méfiance chez les clients, échaudés par la faillite de Dexia.

Belfius devait marquer la distance, rassurer, et montrer qu’elle n’était plus, comme Dexia, une banque dédiée surtout à ses actionnaires mais bien à ses clients, quels qu’ils soient.

"Nous sommes la banque des petites et moyennes entreprises, des CPAS, des clients individuels comme des grosses sociétés" tient à rappeler Mieke Debeerst, responsable Brand, Experience & communication chez Belfius.

"Depuis 2014, nous avons contacté quatre millions de clients, rapporte Mieke Debeerst, et reçu environ 520.000 réponses. C’est une mine d’or pour s’améliorer. Ça renforce en interne la place donnée au client. Et notre enquête concerne tous les clients ; un client est un client, qu’il rapporte beaucoup ou moins pour Belfius. Et nous avons aussi des enquêtes sur papier car nous avons des clients moins digitaux."

Aujourd’hui, ce taux de satisfaction est entré dans "usual business". "Depuis l’an dernier, ce taux n’est plus dans l’objectif central car on considère qu’il a bien été intégré. En revanche, on le décline dans d’autres domaines plus ponctuels par exemple, dans nos calls centers."​​

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La digitalisation permet aux petites entreprises de lancer facilement des questionnaires de satisfaction

On le constate, ces enquêtes sont souvent utilisées par les grosses entreprises, dotées de départements marketing très actifs et de capacité financière suffisamment importante pour mener des études à très large échelle.

Mais les petites entreprises, aidées par la digitalisation des services, s’y mettent aussi.

Flavio Parinello gère un salon de coiffure à Seraing, dans lequel travaillent neuf personnes. Depuis l’ouverture il y a quatre ans, chaque client reçoit un mail avec une demande de bref feedback. Tout cela sans trop de complications pour le jeune patron. "Cette enquête est liée à notre programme d’agenda en ligne. C’est très simple à gérer, les retours sont très faciles à lire aussi et on peut répondre personnellement à chaque client. Et on a aussi les avis Google qui sont très intéressants."

Pourquoi ces enquêtes dans un service où le commerçant a pourtant un contact direct et privilégié avec son client ? "Une fois que le service est terminé et qu’on demande si tout s’est bien passé, je pense que par politesse, les clients vont dire que tout s’est très bien passé. Mais peut-être qu’il y a eu quelque chose : j’ai un peu trop attendu ou la coloration, ça n’a pas été, peu importe, je pense que le petit message à la fin du service, c’est mieux."

Des choses ont-elles changé ? Évidemment, on a déjà changé l’ambiance générale de la musique, le confort de certains postes de travail, le temps d’application sur certains services. Et aussi, on a pu développer aussi un service de café. On a un métier de service, on est là pour servir les clients et un client satisfait, c’est un client qui va revenir et sûrement en parler aussi autour de lui."

Et c’est bien là la clé : faire savoir au client que l'entreprise compte créer un lien, si possible affectif, avec lui pour évidemment le satisfaire mais aussi pour qu’il le fasse savoir.

Car la recommandation d’un client à un autre client potentiel, ça n’a pas de prix.

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