Santé & Bien-être

Santé mentale : Il vaut mieux s’appeler "Dubois" que"Alaoui" pour être pris en charge par son généraliste

© Gettyimages

Les médecins généralistes belges traitent-ils de la même façon les patients issus de l’immigration et les patients autochtones, lorsqu’ils présentent un problème de santé mentale ? A quoi cela serait-il dû ? Ce sont les questions auxquelles ont voulu répondre des chercheurs et chercheuses de l’Institut de Recherche Santé et Société (IRSS) de l’UCLouvain. La doctorante Camille Duveau et ses coauteurs ont obtenu l’assentiment de 864 médecins généralistes de Bruxelles et de Wallonie pour participer à cette étude, financée par Belspo. Au bout du compte, un peu moins de 800 (797) ont rempli les questionnaires.

Les généralistes ont reçu une vidéo accompagnée d’un petit texte d’introduction. La vidéo simulait une conversation entre un médecin généraliste en voix off et un patient filmé, joué par un acteur, parfois d’origine immigrée, parfois pas.

La moitié des généralistes répondants ont été exposés à la vidéo d’un patient natif (400) et l’autre moitié à un patient migrant (397). Dans la moitié des cas, pour chaque groupe, un texte écrit complémentaire accompagnait la vidéo avec des informations sur l’histoire de vie du patient, pour favoriser une humanisation. Les vidéos étaient similaires en tous points, à l’exception du statut migratoire du patient.

Après avoir visionné la vidéo (attribuée au hasard), les généralistes participants ont rempli un questionnaire en ligne sur les diagnostics potentiels (dépression, anxiété et syndrome de stress post-traumatique), l’évaluation de la sévérité des symptômes, les traitements (non médicamenteux, médicamenteux ou les deux) et les décisions d’orienter pour leur patient.

Différences systématiques

Les auteurs ont trouvé des différences omniprésentes et défavorables au patient migrant du patient, tant dans le diagnostic, que dans l’évaluation de la sévérité des symptômes, le traitement ou l’orientation vers les services de santé mentale. Ils concluent qu’il existe une association significative entre le statut migratoire et les décisions médicales. Ces différences corroborent des études antérieures, qui ont aussi constaté que les décisions médicales étaient influencées par l’origine ethnique d’un patient. L’originalité de cette étude est d’avoir ajouté des éléments d’humanisation du patient, pour voir si cela jouait sur les décisions médicales. Camille Duveau, première auteure et doctorante à l’Institut de Recherche Santé et Société (IRSS) de l’UCLouvain : " On a ajouté dans certains cas des détails sur l’histoire de vie du patient qui était dans la vignette vidéo. On voulait savoir si le fait de donner plus de détails qui humanisent le patient – comme le fait qu’il ait 2 enfants, qu’il joue au football, par exemple, ou qu’il venait de se séparer de sa femme il y a 7 mois – avait une influence dans la prise en charge du patient et si la discrimination apparaissait moins lorsqu’on donnait plus de détails sur la vie du patient." C’est l’originalité de cette étude, par rapport aux études antérieures.

Même en étant exposés à l’histoire de vie du patient (le texte d’humanisation), les médecins continuaient en majorité à pratiquer cette discrimination non intentionnelle. La conclusion des auteurs est que leur étude révèle une discrimination ethnique non intentionnelle dans l’évaluation de la gravité des symptômes, le diagnostic, le traitement et l’orientation des problèmes de santé mentale par les médecins généralistes belges. Mais rien n’indique qu’un manque d’humanisation soit le principal moteur de ces pratiques discriminatoires. Une limite à cette interprétation est le fait qu’il s’agissait de patients fictifs : " Peut-être que cette humanisation n’a pas été bien perçue par le médecin généraliste", explique la doctorante. Puisqu’il s’agissait d’un texte introductif. "On aurait peut-être dû insérer l’histoire de vie du patient dans la vidéo directement. Cela aurait peut-être eu un effet différent."

Cependant, le fait de savoir qu’il y a des différences comme l’évaluation de la sévérité des symptômes, ou le traitement prescrit, selon le statut culturel du patient, est très révélateur.

Une autre limite de cette étude est qu’elle ne reproduit pas l’expérience d’une réelle consultation d’un médecin généraliste, puisqu’elle utilise des vignettes vidéo. Cela peut conduire à un biais de désirabilité sociale, dans les réponses des médecins, et sous-estimer la discrimination qui pourrait se produire en situation réelle.

La recherche a le mérite de sensibiliser les médecins généralistes aux biais liés à la diversité : "L’objectif final de notre étude, c’est de sensibiliser les généralistes", explique Camille Duveau. "Parce qu’on sait que déjà le fait d’être conscient qu’on a des biais implicites, des biais culturels, peut déjà réduire ces différences de traitement et ces discriminations non intentionnelles des médecins généralistes." La prise de conscience, c’est la première étape du changement.

Cette étude est publiée et accessible ici.

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