Santé & Bien-être

Santé : les pharmaciens pourront établir des plans de médication, les médecins dubitatifs

Par Pascale Bollekens avec Sarah Heinderyckx

Nous sommes de gros consommateurs de médicaments et même parmi les champions d’Europe en la matière, avec la Croatie, la Finlande et le Portugal. Plus de 55% de la population de plus de 15 ans a consommé au moins un médicament sous prescription pendant deux semaines en 2019. Par comparaison, en Italie ou en Roumanie, c’est moins de 40% des adultes. Pour tenter de renverser la tendance, dès ce premier avril, les pharmaciens pourront établir des plans de médication pour leurs clients qui prennent en routine plus de 5 médicaments sous prescription. Un service qui ne coûtera rien au patient. L’objectif de la mesure du ministre fédéral de la Santé, c’est de faire baisser la consommation de produits pharmaceutiques.

Vous êtes inquiet sur la quantité de médicaments différents que vous prenez, vous pourrez demander un bilan à votre pharmacien

Concrètement, vous prenez plus de cinq médicaments sur prescription et que vous vous posez des questions sur le nombre de gélules différentes, leur usage, ou leur combinaison, vous pourrez demander un avis à votre pharmacien. Cela permettra de faire un bilan de votre consommation, peut-être de repérer des mélanges nocifs, voire de remplacer certains médicaments par d’autres formules plus efficaces ou même de supprimer certains comprimés inutiles.

Ce sera toujours un plan d’action qui sera mis en œuvre en étroite collaboration avec les médecins traitants

Notre ministre fédéral de la Santé s’explique : " L’avantage du pharmacien, c’est qu’il connaît les médicaments et il a vraiment une vue d’ensemble que peut-être le médecin n’a pas réellement parce que peut-être une personne a eu des prescriptions de différents médecins ou peut-être la situation a changé ou il y a des alternatives possibles."

Mais Frank Vandenbroucke précise directement, "Ce sera toujours un plan d’action qui sera mis en œuvre en étroite collaboration avec les médecins traitants". Autrement dit, pas question pour le pharmacien de prescrire un médicament ou de changer une prescription. Dès qu’une question lui est posée par un client, il doit absolument en informer son médecin traitant.

Une bonne chose selon les pharmaciens

Dans son officine à Auderghem, Sophie Gysemberg applaudit : "C’est une belle valorisation pour notre profession. Nous ne sommes pas des vendeurs de boîtes. Je le remarque parfois, un généraliste prescrit un produit, or je sais que la patiente a des allergies ou qu’il y a une interaction avec des médicaments qu’elle prend déjà. Déjà maintenant, je prends mon téléphone et je contacte le médecin."

Et de poursuivre, "Cela concerne surtout des personnes âgées, ou des patients avec des lourdes pathologies, diabète, hypertension qui ont parfois beaucoup de médicaments à prendre et qui se perdent un peu dans leur traitement. On est là pour garantir la santé du patient pas pour le pousser à prendre plein de produits et qu’il en devienne malade."

C’est une belle valorisation pour notre profession

Les pharmaciens vont pouvoir faire des plans de médication
Les pharmaciens vont pouvoir faire des plans de médication © RTBF

Des personnes hospitalisées parce qu’elles ont utilisé certains produits pharma à mauvais escient

Le ministre n’en démord pas : "Les médicaments sont nécessaires mais en consommer trop, ou faire des mélanges, cela peut nuire à leur efficacité et parfois même poser un risque pour la santé. Certaines personnes doivent être hospitalisées à cause d’un mauvais usage. Il faut en prendre la bonne dose et les associer correctement avec d’autres médicaments."

Sur le fond, les médecins aussi sont plutôt d’accord. Mais pour Luc Herry, Vice-président de l’Absym, l’Association belge des Syndicats Médicaux, plusieurs questions se posent : "Qu’en est-il du droit du patient ? Il est libre de voir plusieurs médecins et n’est pas toujours d’accord que ses données personnelles circulent. Le pharmacien doit prévenir son client qu’en tant que référent, il a accès à toutes ses données. Si le patient accepte, pas de problème." Autre zone d’ombre selon l’Absym, c’est comment se fera le partage d’infos entre pharmaciens et médecins alors qu’apparemment les logiciels des uns et des autres ne sont pas compatibles. Cela ne marcherait pas. Le courrier ou le téléphone comme uniques moyens de communication pourraient rendre le nouveau plan d’action fastidieux.

Qu’en est-il du droit du patient ?

Des pharmaciens rémunérés pour faire ces plans de médication

Le nouveau règlement a été approuvé par l’INAMI. Frank Vandenbroucke a l’impression que les pharmaciens sont ravis de cette valorisation du métier et de leurs compétences, ils peuvent ainsi être davantage acteurs des soins de santé.

Et d’ajouter : "Cela va aussi aider les médecins qui n’ont peut-être pas une vue d’ensemble sur ce qu’un patient consomme (...) Pour cette prestation de service, le pharmacien doit investir du temps. Nous avons donc prévu 2.910.000 euros pour valoriser cette tâche, soit un honoraire d’environ 95 euros (TVA comprise) par patient, un honoraire qu’il va percevoir pour le temps qu’il investit dans ce qui est vraiment une prestation de soins."

Et des docteurs qui voient rouge

Là, les praticiens voient rouge. Le Docteur Herry s’insurge : "Cela va nous demander du temps également. Et le temps, c’est de l’argent. Le pharmacien va être honoré pour le travail effectué mais rien pour les médecins. On devra travailler bénévolement. C’est un oubli fondamental de cette mesure tant pour les généralistes que pour les spécialistes."

Et d’évoquer l’IA, l’intelligence artificielle : "Elle pourrait être incorporée dans nos logiciels et nous dire attention, vous avez prescrit tel produit avec tel autre, ce n’est pas compatible. Cela fonctionne déjà au Canada. Il faudra peut-être aussi évoluer avec cette IA".

C’est un oubli fondamental de cette mesure tant pour les généralistes que pour les spécialistes

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