"Techniquement, il n’y pas de problème avec ces centrales-là, affirme Willy De Roovere, également ancien directeur de la centrale de Doel. Mais il faut de toute façon tenir compte de l’expérience qui existe, de l’expérience des accidents survenus tels que Fukushima, mais aussi les examens menés dans d’autres circonstances. Il faut retenir les leçons du passé et, à la limite, adapter ces centrales existantes en fonction."
Ces centrales nucléaires ont été construites en 1975, et on disait à l’époque qu’elles étaient là pour trente ans. On se disait ensuite qu’on pouvait les garder pour quatre décénnies. Maintenant, la durée de vie potentielle évoquée, c’est cinquante ans. Tihange 1 a par exemple déjà été prolongée suite à la décision du gouvernement sortant. Les normes de sécurité ont tout même bien évolué depuis.
"Disons que les centrales ont été adaptées continuellement. Pour prendre un exemple : il ne faut pas oublier qu’il y a des centrales aux États-Unis qui sont prévues maintenant pour tenir soixante ans. Dans la pratique, il est possible de remplacer des pièces – de grosses pièces même – comme cela se fait pour les avions par exemple. Dans les vieux Boeing 737, je ne sais pas s’il y a encore ne fut-ce qu’un seul boulon d’origine…"
La cuve du réacteur : cœur du problème
Il n’est cependant pas envisageable de tout changer dans une centrale nucléaire. La cuve du réacteur notamment ne peut pas être changée alors qu’il s’agit de la partie la plus dangereuse d’une centrale.
"Je ne pense pas qu'une cuve de réacteur ait déjà été changé dans le monde, je ne sais pas si c’est possible, mais il s’agit clairement d’une pièce à surveiller en continu. Les tests qui se font sur les matériaux de la cuve permettent d’anticiper les problèmes. Grâce à ces tests, on sait aujourd’hui que les cuves en question peuvent tenir soixante ans sans problème, mais il faut continuer à les suivre."
Avant d’éventuellement relancer un réacteur, tel que Tihange 2 ou Doel 3, des modélisations sont faites et des pièces similaires sont exposées à des radiations accélérées… Mais il est impossible d’analyser l’acier de la cuve elle-même. S’agit-il donc d’un travail mené dans l’inconnu ?
"Pas complètement, parce que des échantillons des cuves sont utilisés dans des laboratoires spécialisés pour déterminer si les matériaux vieillissent correctement. Dans le cas de Doel 3 et de Tihange 2, c’est un problème spécifique. Il y a des fissures parallèles à la surface dans une partie inférieure de la cuve. Cela ne touche pas le matériau de base, mais il faut maintenant voir si la présence de ces fissures-là est acceptable. Le matériau de base est en principe réputé comme étant sain, mais doit être suivi dans le temps tout en tenant compte de l’irradiation suite aux neutrons qui attaquent la cuve."
Des fissures d'origine
Les microfissures, précise Willy De Roovere, "existaient depuis la période de construction", elles étaient présentes "au moment zéro". Quant aux analyses des cuves qui permettent leur suivi, elles se font sur des échantillons d’origine qui vivent exactement les mêmes conditions que lesdites cuves.
Ces éléments permettent d’envisager un prolongement de la durée d’utilisation des centrales. Mais jusqu’où peut-on aller ? Soixante ans, c’est "techniquement faisable". Et pourquoi pas septante alors ? "C’est un peu loin, on n’en sait pas encore assez."
Et il faut tenir compte des coûts importants liés à cet allongement de la durée de vie des centrales. Les adaptations à réaliser demanderaient plusieurs centaines de millions d’euros. Ces investissements peuvent s’avérer avantageux sur le long terme pour l’exploitant, mais, s’il a l’autorisation de prolonger, c’est à lui à décider de franchir le pas ou non.
"Ce serait assez difficile de forcer un propriétaire de continuer à faire fonctionner une usine qui ne rapporte pas ou pas assez d’argent", commente Willy De Roovere.
Construire de nouvelles centrales ?
La solution pourrait alors être la construction de nouvelles centrales nucléaires. Une idée à laquelle pense la N-VA. "Pour l’avenir, je suis assez réticent quant à la construction de nouvelles centrales, notamment vu l’opposition qui existe chez nous. Mais faut-il encore trouver un exploitant intéressé de les prendre en charge."
"Une nouvelle centrale, c’est jusqu’à dix ans de construction, puis peut-être trente ou quarante ans de fonctionnement. Cette longue période demande une stabilité de décision : si venait à être validée la construction d’une nouvelle centrale, il faut que les gouvernements qui suivent ne changent pas l’accord, ni les lois, ce qui permettrait un business plan qui tient la route."
Mais au vu des catastrophes de Tchernobyl ou, plus récemment, de Fukushima, il devient difficile de justifier la construction de nouvelles centrales de ce type.
"Il nous faut de l’électricité. L’énergie verte a sa place, et, personnellement, je ne suis pas 100% favorable au nucléaire s’il n’y a pas de réflexion. Mais je pense qu’il a tout de même sa place dans les différents moyens de production."
À long terme ou de manière transitoire ? "Tout est transitoire, répond Willy De Roovere. À un moment, il n’y aura plus de pétrole, plus de gaz, plus d’uranium… C’est donc toujours transitoirement."
Blackout en hiver ?
Les différents réacteurs mis à l’arrêt semblent, dans notre quotidien, ne pas avoir d’impact sur la quantité d’électricité disponible, mais le risque de blackout n’est pourtant pas exclu en cas d’hiver rude.
"Tout dépend de l’hiver en question. S’il fait très froid, aussi bien en Belgique que dans les pays environnants, il peut y avoir un problème. C’est tout de même un gros ‘paquet’ qui manque avec ces réacteurs à l’arrêt. Il faut donc aller chercher l’énergie en dehors de notre pays. Mais si les États voisins ont besoin de cette électricité, et ne peuvent pas nous la vendre, je ne suis effectivement pas certain que ce sera une vie facile durant cette période…"
RTBF