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Sans crèche pour son enfant, Malya craint de ne pas pouvoir reprendre le travail

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Par Camille Wernaers pour Les Grenades

"Tout a commencé par un incident ridicule ". C’est comme cela que Malya (prénom d’emprunt) raconte le début de ses déboires avec la crèche gérée par le CPAS de Mettet, une commune wallonne. "Un jour, en le ramenant de la crèche, j’ai découvert que mon fils avait les fesses très rouges. Je suis aide-soignante, je sais quand des rougeurs sont graves ou non. Le lendemain, j’ai simplement demandé qu’on change son lange plus souvent. La puéricultrice et la directrice ont été blessées et ont estimé que je ne leur faisais pas confiance", raconte Malya.

Un mois passe, et elle reçoit un mot de la crèche. "Elles me demandaient d’amener un nouveau tube de crème hydratante." Malya s’étonne car il est impossible, selon elle, que le tube précédent soit déjà vidé. "J’ai juste posé la question, je me demandais où était passé le premier. Et là, c’est parti en vrille : la directrice m’est tombée dessus en disant que je faisais encore des vagues."

La situation se dégrade

Malya explique qu’elle se sent alors comme "une cible à abattre". "Pour moi, l’histoire était terminée. Mais j’ai été à nouveau convoquée à la crèche, comme une enfant. Mon mari était en congé, il m’a donc accompagnée. La directrice m’a demandé de ne plus interagir avec le personnel, et que seul mon mari, qui est blanc, pouvait discuter avec eux. La directrice m’a menacée ce jour-là de ne pas prendre mon futur enfant dans sa crèche. Je suis enceinte et c’est la seule crèche proche de chez nous. Je ne me vois pas reprendre le travail et devoir déposer mes bébés dans deux établissements différents. Et puis, avec le prix de l’essence…", souligne Malya.

Je découvre la violence psychologique avec cette affaire et je souffre beaucoup, au point que je m’inquiète pour l’impact sur mon fœtus.Je ne savais pas que des mots pouvaient faire aussi mal.

"Mon mari est sorti de là, choqué, car la directrice a été très condescendante. Il m’a dit : ‘C’est comme ça qu’on te parle tout le temps ?’ Moi, je ne m’en rends même plus compte, j’ai l’habitude que l’on me parle sur ce ton. Mon mari a dès lors pris la décision de reprendre notre petit garçon à la maison, du moins en attendant que la situation s’apaise. Nous avons envoyé un courrier à la crèche pour signifier que nous ne renoncions pas à sa place, mais que nous estimions qu’il fallait désescalader la situation avant qu’il ne revienne."

En octobre 2022, la crèche rompt le contrat d’accueil aux motifs d"atteinte morale sur le personnel de la crèche", ainsi que du "non-respect du projet d’accueil et du contrat d’accueil". Malya n’a plus de solution de garde pour son fils. "Nous avons reçu une lettre recommandée nous signifiant la rupture unilatérale et arbitraire du contrat de garde de mon enfant. Tout ça sans préavis, avec effet immédiat."

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Dans des documents que nous nous sommes procurés, l’ONE, qui a été sollicité par Malya, explique quela continuité de l’accueil de l’enfant doit en effet être préservée, car la priorité doit être donnée à ses intérêts, selon l’Arrêté du 2 mai 2019.

Une réunion avec Malya, les représentant·es de la crèche, les représentant·es du CPAS et ceux de l’ONE a été proposée, une réunion qui sera déclinée par le CPAS, selon les documents que nous avons pu lire.

En novembre 2022, l’ONE met la crèche en demeure de régulariser la situation endéans les 15 jours, sous peine de suspension de leurs subventions. "Après cette mise en demeure, la réunion a pu avoir lieu en décembre 2022 et mon fils est enfin retourné à la crèche. Cela se passe bien avec les puéricultrices." Dans un mail que nous avons pu lire, Malya remercie la crèche pour cette réunion et écrit : " Mon seul désir est de renouer une relation saine, respectueuse et apaisée."

"L’humiliation continue"

En janvier 2023, une nouvelle décision tombe : la crèche notifie à Malya que l’inscription de son enfant à naitre est refusée. Motif : absence de place dans la crèche et incompatibilité de la demande avec le projet d’accueil. "Toute la procédure a trainé en longueur, il n’y avait pas de problème de place dans la crèche auparavant. J’ai demandé des précisions sur ce motif d’incompatibilité de la demande mais je n’en ai jamais reçues. Selon moi, elles ont mis leur menace à exécution. Cela me met dans une situation intenable car je suis à deux mois de mon accouchement. L’humiliation continue", assure Malya qui poursuit : "On connait le stéréotype de la Angry Black Woman, s’il y a un nom pour cela, cela signifie que c’est arrivé à d’autres femmes. Ce qui est simplement perçu comme de l’assertivité venant d’une maman blanche est perçu comme une menace venant de moi. Mais peu importe notre couleur de peau, la base du problème, qui nous rassemble toutes, c’est le sexisme. Je découvre la violence psychologique avec cette affaire et je souffre beaucoup, au point que je m’inquiète pour l’impact sur mon fœtus.Je ne savais pas que des mots pouvaient faire aussi mal."

Ce milieu d’accueil n’a jamais posé problème.

Le stéréotype de la femme noire agressive (en anglais : Angry Black Woman) dont parle Malya consiste à penser que les femmes noires seraient mal élevées et agressives. "Dans tous les courriers, on ne cesse de parler de mon attitude mais pourquoi personne ne parle de mon état ? Je suis une femme enceinte fatiguée ! Ces stéréotypes me collent à la peau. Comment voulez-vous que je puisse ignorer les commentaires et les allusions avec l’utilisation de mots comme 'menaçant', 'attitude', 'un comportement violent', 'atteinte à la morale sur personne'… Je n’ai jamais été une femme violente. J’ai une bonne éducation, je connais le savoir-vivre je suis polie et courtoise. Ma mère m’a bien élevée ! Elle m’a appris à être indépendante financièrement. Aujourd’hui, c’est toute ma vie qui est bouleversée si je ne trouve pas de crèche pour mon enfant. J’avais des projets et des rêves !"

"Un conflit de communication"

Contacté par Les Grenades, l’ONE confirme qu’il y a un "un conflit de communication entre les parents et l’équipe du milieu d’accueil". Sylvie Anzalone, porte-parole de l’ONE ajoute que "ce milieu d’accueil n’a jamais posé problème. Il est connu de nos services parce qu’il donne entière satisfaction depuis des années, c’est important de le dire. Par ailleurs, les équipes de la crèche ont été malmenées par cette affaire. Il y a eu une perte de confiance envers ces parents. Cela a engendré du stress, notamment lorsque l’enfant a dû revenir à la crèche. Nous n’avons par contre constaté aucune discrimination de la part de ce milieu d’accueil."

Du côté du CPAS de Mettet, la directrice générale Sigrid Reff confirme que "Conformément à l’article 47 § 2 du Règlement ONE du 1er février 2017 relatif à l’autorisation d’accueil, la demande [pour l’accueil du deuxième fils de Malya, ndlr] a bien été prise en compte mais refusée actuellement par manque de place jusqu’en 2024, notre crèche étant fortement sollicitée vu son accueil de qualité." Elle n’a pas souhaité s’exprimer sur d’autres points.

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Les jeunes mamans discriminées sur le marché de l’emploi

Malya quant à elle s’inquiète de ne pas pouvoir reprendre son activité professionnelle à la fin de son congé de maternité. "A cause des décisions de ces institutions, je risque d’être dépendante financièrement de mon mari. Si on se sépare, il pourra prouver qu’il a travaillé, qu’il rembourse les prêts, ce ne sera pas mon cas. Et que l’on ne me parle pas de l’expression congé de maternité, pour moi, un congé, c’est un cocktail sur une plage du Bahamas ! Pas se réveiller quatre fois par nuit. Je vais devoir justifier s’il y a un trou dans mon CV. C’est un risque qui pèse sur mon emploi, pas sur celui de mon mari." Malya envisage désormais la voie judiciaire.

Aujourd’hui, c’est toute ma vie qui est bouleversée si je ne trouve pas de crèche pour mon enfant. J’avais des projets et des rêves !

Une crainte confirmée par une étude de l’UGent sur la discrimination sexuelle sur le marché du travail, publiée en 2022. Les femmes qui travaillent moins pendant un certain temps, notamment pour s’occuper des enfants, doivent lutter contre les préjugés négatifs supplémentaires lors de leur retour sur le marché du travail.

Selon cette étude, les femmes qui ont un trou dans leur CV parce qu’elles se sont occupées de leur enfant "sont considérées par les recruteurs comme moins assertives et moins capables physiquement". "Les femmes paient donc un prix élevé pour la maternité", conclut Hannah Van Borm, l’une des chercheuses de cette étude. L’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) a également cité le faible taux d’emploi des jeunes mères dans son rapport consacré aux inégalités dans notre pays l’année dernière.

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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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