Week-end Première

Sans abrisme : "C’est ça qui a changé : on donne d’abord un logement"

© Pixabay

Par RTBF La Première via

Les résultats du dernier dénombrement des sans-abri sont tombés cette semaine et le phénomène s’avère plus important que ce qu’on pensait. Comment apporter une solution globale à cet enjeu de société, face à des situations si différentes ? Explications avec le sociologue Martin Wagener. 

L’étude récente encadrée par Martin Wagener, sociologue, professeur en analyse des politiques sociales et chercheur à l’UCLouvain, spécialiste de la question du sans abrisme, fait notamment apparaître l'étendue de la situation et l’extrême diversité des situations que recouvrent le sans abrisme (ne pas avoir d’endroit où dormir) et le sans chez-soirisme (dormir dans des structures d’accueil ou chez des amis).

Ce nouveau recensement, réalisé en parallèle avec la Flandre, fait état de femmes victimes de violence, de migrants, de personnes qui sortent de prison, mais aussi d'un nombre effrayant d’enfants à la rue ! Il montre aussi que les sans-abri sont aussi nombreux à mourir dans la rue en été qu’en hiver.

Le dénombrement a été fait sur Vilvoorde et Courtrai du côté flamand, Namur et Charleroi du côté wallon. Les chiffres sur ces 4 villes donnent déjà une idée de la situation, mais pas pour l'ensemble de la Belgique. D'autres villes seront étudiées au cours des prochaines années.

On pourrait déjà dire qu'on a un taux de 6 personnes sur 1000 dans les grandes villes, et dans les territoires plus ruraux et comparables, on a 1/2 à 1 personne sur 1000 avec un problème de sans abrisme.

 

Une nouvelle méthode beaucoup plus complète

Outre les sans abri, qu'on voit dans la rue, et il y a les sans chez soi, qui peuvent avoir un endroit où aller, mais qui n'ont pas de chez eux. Ils constituent la face cachée de la situation.

Pour les dénombrer, on prend contact avec la ville : les relais sociaux, les regroupements des acteurs de l'aide au sans abrisme, la politique de cohésion sociale, les CPAS, explique Martin Wagener.

Après une formation sur la thématique, tous les travailleurs sociaux d'une ville, au jour J, consultent leurs dossiers, pour voir si les personnes sont réellement à la rue, dans un abri quelconque, ou sont hébergés temporairement chez des amis. 

"On fait vraiment appel aux savoirs des travailleurs sociaux pour savoir où ces personnes dorment dans la ville. S'ils ne savent pas concrètement , on les invite à contacter les personnes pour être sûrs de l'endroit où ils ont passé la nuit."

L'avantage de cette méthode, c'est qu'elle ne recense pas que les personnes dans les services d'hébergement mais également celles qui ont trouvé un logement temporaire chez des amis, ce qui représente 30 à 40% des personnes.

Cela veut dire que les chiffres classiques de sans abrisme qu'on a connus avant cette méthode-là sous-évaluent énormément les chiffres, parce qu'il y a toute une catégorie de personnes qui ne rentre pas dedans.

26% d’enfants !

Parmi les sans abri, on relève 26% d'enfants. Comment expliquer ce chiffre ? Il est dû à la précarité qui fait qu'on perd un logement, explique Martin Wagener. Il y a les conflits conjugaux, la violence conjugale qui poussent les femmes vers une maison d'accueil, appelée auparavant un refuge pour femmes battues, pour une moitié d'entre elles. L'autre moitié trouve une solution via des solidarités familiales ou amicales. Le nombre d'enfants concernés reprend ces deux cas de figure.

"Un seul enfant a été recensé en rue, c'était une mère qui venait juste de se séparer et les services sociaux ont trouvé une solution. Sinon, les enfants se trouvent soit dans les services agréés pour cela, soit dans les ménages. Il faut dire que les enfants dont on parle sont des enfants qui accompagnent leurs parents. On a aussi quelques enfants qui sont seuls, eux-mêmes sans abri, autonomes, mais ils font l'objet d'une autre étude en ce moment."

Des profils très divers

Pour connaître les profils de ces personnes, divers filtres sont envisagés.

Il faut regarder les trajectoires des hommes et des femmes. Les hommes ont des plus longues durées de séjour, ils sont rarement seuls avec des enfants, ils ont plus de problèmes d'assuétudes, en fonction de l'âge et de la durée de rue.

1/20 des sans abri sont dans la catégorie des 18-25 ans. Cela condense des personnes avec des trajectoires très précaires. Dans le passé, on pensait qu'il s'agissait surtout de jeunes venant d'institutions d'aide à la jeunesse - placés par le juge, sous protection judiciaire - qui seraient mal préparés ou trop marqués par les difficultés de la vie pour démarrer une vie d'adultes autonomes. C'est un peu 'les perdus de l'aide à la jeunesse', ou 'les incasables' comme ils se nomment parfois eux-mêmes à Bruxelles, parce qu'ils ne rentrent dans aucune case, ni dans l'aide à la jeunesse ni dans les services pour jeunes adultes, explique Martin Wagener.

Mais finalement, ces jeunes ne représentent que 10 à 20% dans l'échantillon, ce qui veut dire que 80% ne viennent pas de l'aide à la jeunesse. Il faut donc se demander quelles sont les grandes causes qui poussent tant de jeunes à perdre le contact avec leur famille et avec leur entourage, pour se retrouver dans l'aide aux sans abri. Sans compter tous ces jeunes qui trouvent asile chez des amis.

Comment apporter une réponse globale pour des profils si différents ?

Par le passé, on a bien vu que des programmes comme Housing First ou d'autres projets bruxellois comparables, qui ont accordé à des sans abri un logement et un accompagnement multidisciplinaire, ont obtenu, un an après, un résultat positif pour 90% des personnes, même avec les problématiques les plus lourdes. Elles sont restées dans le logement.

Les Etats-Unis ont d'ailleurs étudié que cela coûte même moins cher d'accorder aux sans abri un logement que de faire toutes ces interventions sociales, médicales ou policières en rue. Et c'est éthiquement plus correct.

Cette excuse de ces clochards qui ne veulent pas se faire aider, cela ne fonctionne plus. Cela veut dire qu'il y a une responsabilité politique différente.

"C'est clair qu'il faut des réponses différentes pour une personne qui a passé 10 ans dans les rues ou sous une tente, un jeune de 18 ans qui vient d'être lâché par sa famille ou de fuir des violences familiales, ou une femme monoparentale de 40 ans, avec 3 enfants. Il faut une panoplie de solutions à proposer, une bonne coordination et concertation entre ces différentes aides à mettre en place."

Il faut répondre à un problème de logement par un logement. Cela semble assez simple, mais ce n'était pas suffisamment le cas jusqu'à présent.

Dans le passé, on pensait qu'une personne qui a un problème d'alcoolisme devait d'abord être traitée avant d'avoir une place d'accueil longue durée, qu'il fallait d'abord une prise en charge, des rendez-vous avec le psychiatre,... et finalement on tournait en rond. Et c'est ça qui a changé, on dit : on donne d'abord un logement.

Ecoutez ici l’intégralité de l’entretien

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