Salaires, pénurie, études… Infirmièr(e), carnet de santé d'un métier en pénurie

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Qu’est-ce que le métier d’infirmière/infirmier en 2021 ? Quelles études avec quelles différences ? Y a-t-il suffisamment d’inscrits ? Pour quel salaire / barème une fois dans le métier ? Le cadre dans les hôpitaux du pays est-il suffisant ? Voilà une série de questions pour tenter de comprendre l’un des métiers mis en avant par la crise sanitaire, mais aussi par les différents mouvements de grogne depuis quelques années pour des raisons liées notamment aux conditions de travail, à une pénurie de personnel ou plus récemment encore en raison du nouveau modèle salarial déjà en vigueur dans le secteur privé et qui est aussi implanté depuis le mois de juillet dans le secteur public.


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Deux types d’études

Les études pour accéder au métier d’infirmière/infirmier sont organisées à deux niveaux. Le premier est un bachelier d’une durée de 4 ans et le deuxième est le brevet qui se fait en 3 ½. Ces durées d’études ont été imposées à partir de l’année académique 2016-2017 par une directive européenne qui parle, elle, de 4600 heures de formation. A cela peut s’ajouter des spécialités dans différents domaines. Les premiers étudiants brevetés ayant suivi cette nouvelle formation sont sortis en janvier 2020. Les bacheliers sont quant à eux sortis au mois de juin 2020.

© rtbf / Bertrand Massart

Historiquement, on parle d’études plus théoriques pour le bachelier et plus pratiques pour le brevet, mais la directive européenne impose à présent un certain nombre d’heures de théorie et de pratique. Il ne devrait donc plus y avoir, en principe, de différences à ce niveau. "En pratique", nous dit Arnaud Bruyneel, infirmier depuis 13 ans aux soins intensifs du C.H.U. Tivoli et doctorant en Santé publique à l’Université Libre de Bruxelles, "le breveté reste un peu plus pragmatique et moins théorique… Ça reste un sujet qui est très sensible".

Les infirmiers brevetés sont plus nombreux au nord du pays et il y a donc plus d’infirmières avec un bachelier au sud. Au niveau du métier, les infirmières brevetées ne peuvent théoriquement pas travailler dans les services spécialisés (le quartier opératoire, la pédiatrie, les soins intensifs, etc.). Mais la pénurie actuelle du personnel fait qu’il arrive que des infirmières brevetées se retrouvent dans des services spécialisés.

Arnaud Bruyneel pense qu’il ne devrait y avoir qu’une formation unique car cela reste un motif de division au sein de la profession. Une filière de formation, c’est aussi ce que souhaitent les associations professionnelles, précise Adrien Dufour, directeur du département infirmier, paramédical & services associés à la Clinique Saint-Luc Bouge et président de la fédération nationale des infirmières de Belgique (FNIB).


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Les inscriptions ont baissé, mais elles semblent remonter

Toujours selon Arnaud Bruyneel, il y a une diminution des inscriptions depuis que la durée des études a été augmentée : "Ça c’est indéniable", dit-il. Après vérification auprès de l’ARES, l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur, on peut effectivement constater une baisse des inscriptions à partir de l’année académique 2017-2018. Ces chiffres ne concernent cependant que les étudiants bacheliers.

Pour Adrien Dufour, il semblerait après quelques coups de sonde, que les inscriptions augmentent à nouveau cette année, du moins dans certaines écoles. De notre côté, les quelques appels que nous avons réalisés parlent d’un statu quo au niveau des inscriptions.

A l’heure d’écrire ces lignes, il est difficile de confirmer ces éléments car les chiffres des inscriptions ne sont pas encore disponibles côté francophone. Ajoutons à cela que les inscriptions tardives sont encore possibles après des secondes sessions, le concours en médecine, etc.

Côté néerlandophone, le Nieuwsblad expliquait il y a quelques jours, qu’il y avait jusqu’à 50% d’inscriptions en plus pour les études d’infirmières dans certaines écoles.

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Les salaires

Ces deux niveaux d’études conduisent aussi à des différences au niveau du salaire et cela y compris après la nouvelle classification IFIC que nous détaillons dans l’article suivant :


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Ces différences de salaire sont vraies pour ceux qui auront choisi, par exemple, des unités de chirurgie ou de médecine. Par contre, au niveau des soins intensifs, on peut avoir 3 catégories d’infirmiers (bacheliers, bacheliers + spécialisation et brevetés) et avec la nouvelle classification IFIC, "la base est que tout le monde gagne la même rémunération […] on va dire que certains se spécialisent et sont valorisés comme quelqu’un qui ne s’est pas spécialisé", explique Adrien Dufour.

Les mouvements de grogne actuels parmi le personnel soignant sont entre autres liés à cette nouvelle classification qui n’est pas du goût de beaucoup d’infirmières/infirmiers francophones, nous explique Arnaud Bruyneel.

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En début de carrière, l’infirmier breveté aura, selon les échelles barémiques de l’IFIC, un salaire mensuel brut de 2513 euros. Pour un bachelier, son premier salaire sera de 2718 euros, soit une différence d’un peu plus de 200 euros bruts.

Ces montants s’entendent sans les éventuels sursalaires en fonction de primes de fidélité, primes d’accroche, des heures de prestations la nuit, le week-end, etc. Des établissements valorisent également les spécialités avec deux années d’ancienneté en plus, par exemple.

Toujours concernant les salaires, dans un rapport publié par Statbel au mois de septembre, il ressort qu’avec un salaire moyen mensuel de 3652 euros brut, les infirmiers bacheliers "reçoivent un salaire inférieur à celui d’un travailleur moyen titulaire d’un bachelier" (3668 euros brut/mois).

La pénurie de personnel

Obtenir un cadastre précis du personnel infirmier en Belgique n’est pas évident. Cela s’explique en partie par le fait que les infirmières n’effectuent pas des prestations à l’acte comme les médecins, ce qui rend difficile le "traçage", nous explique Arnaud Bruyneel.

Des données existent au niveau du SPF Santé publique. Dans un rapport datant 2018, le nombre d’infirmières et infirmiers en droit d’exercer en Belgique était de plus de 214.000 ETP. Le problème dans ce calcul est de déterminer la part de ce personnel soignant qui est encore actif et exerce le métier. "Là, on est quasiment à 148.000" détaille le doctorant en Santé publique à l’Université Libre de Bruxelles.

En 2020, un nouveau rapport du SPF Santé publique annonce que le nombre d’ETP était de 202.513.

La pénurie s’explique donc par le manque de personnel sortant des écoles, mais aussi parce que les infirmières ne font pas une carrière complète et quittent la profession de manière précoce. Selon ce spécialiste, une infirmière de 5 à 10 ans de carrière dans les unités aiguës et à environ 15 ans pour les autres. Ces données proviennent de questionnaires réalisés sur le terrain, mais il ne s’agit donc pas de chiffres précis – à prendre avec des pincettes -, souligne-t-il.

Pourquoi les personnes quittent-elles la profession ? Pour Alain Dufour :"les gens ne remettent pas souvent en question le job, ils remettent en question les conditions de travail".


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Les règles d’encadrement

Les règles d’encadrement pour le personnel soignant sont régulièrement rappelées pour dénoncer le manque de personnel soignant. Le dernier rapport du KCE (le Centre fédéral d’expertise des soins de santé) indiquait en 2019, avant la crise sanitaire, qu’en moyenne un infirmier en Belgique s’occupait de 9,4 patients, alors que la norme de sécurité internationale est de 8. Selon ce rapport, il faudrait, sur 5 ans, engager 5500 infirmiers ETP pour les services de chirurgie, de médecine interne, de gériatrie, de revalidation et de pédiatrie. Pour le Conseil fédéral des établissements hospitaliers (CFEH), pour atteindre cette norme dans l’ensemble des structures hospitalières, il faudrait pratiquement tripler (19.250 ETP) le chiffre du KCE.

Dans une autre étude réalisée en 2018 par l’asbl SIZ Nursing dans 16 hôpitaux en Fédération Wallonie-Bruxelles et focalisée sur les soins intensifs, il ressort que les infirmiers des unités de soins intensifs subissent une charge de travail deux fois supérieure à la norme prévue pour le personnel.

Alain Dufour note cependant que le Fonds Blouses Blanches est un premier pas et permet de donner une réponse partielle aux conclusions du rapport du KCE en compensant plus ou moins 50% des efforts à réaliser.

L’évolution du métier

Comment a évolué le métier ? Pour Arnaud Bruyneel, infirmier depuis 13 ans, le métier est toujours passionnant. Il estime que les infirmières et infirmiers ont de plus en plus de compétences, d’autonomie et que la majorité des soins tournent autour d’eux. Le souci avec ces changements, ce sont les conditions de travail qui se dégradent. Il rappelle que les durées de séjour en hôpital sont de plus en plus courtes et que l’activité est donc plus soutenue. Il est donc, selon lui, urgent d’adapter les conditions de travail. La pénurie d’infirmières est un problème de Santé publique. "On sait très bien que le nombre d’infirmières influence la qualité des soins et la mortalité des patients […] La pénurie d’infirmières est de plus en plus marquée et la pandémie a accentué une situation qui était déjà présente avant".

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