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Saint DX : "Bosser en studio avec Damso, c’était une leçon"

© Pauline Caranton

Par Guillaume Scheunders via

"Paco, Prinzly, Saint D, tout est aligné" rapait Damso sur D’JA ROULÉ, issu de son album QALF. Un disque qui a propulsé Saint DX dans le monde du hip-hop, lui qui officie généralement aux antipodes du rap game. Car lorsqu’il enlève sa casquette de producteur, Aurélien Hamm est musicien, chanteur et interprète. En 2019, après avoir fait partie du band de Charlotte Gainsbourg lors de sa dernière tournée mondiale, il a sorti son premier EP, SDX. Il s’apprête aujourd’hui à dévoiler le second, Unmixtape (sortie prévue le 1er octobre), construit lors du premier confinement et parsemé de belles collaborations avec des artistes qui l’inspirent, comme David Numwami, avec qui il partagera une date des Nuits Botanique ce 19 septembre. Rencontre avec un producteur de talent à la personnalité attachante.

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Salut Aurélien ! Pour ceux qui ne te connaitraient pas encore, comment décrirais-tu ta musique ?
C’est dur. À chaque fois qu’on me pose la question, je demande à la personne à côté de moi. Là, je suis un peu seul chez moi donc c’est difficile. Disons que c’est une musique qui a du groove, même si je n’aime pas ce mot, et pop car je me sers du format pop de mon enfance, des années 80, pour écrire. On m’a également beaucoup dit qu’elle était sensuelle, même si je ne suis pas sûr d’être le plus sensuel dans la vie de tous les jours.

C’était quand ton premier contact avec un synthé ?

Mon premier vrai contact, c’est le Yamaha DX7. C’est celui qui m’a le plus marqué et c’est d’ailleurs pour cela que je me suis appelé Saint DX. J’étais obnubilé par le jeu de basse de la chanson Take My Breath Away de Berlin, la B.O. de Top Gun. Et Google m’a renseigné en me disant qu’elle avait été faite au DX7, donc je suis allé sur Leboncoin et j’en ai trouvé un à cinquante balles. Le synthé était extrêmement lourd, toutes les touches sont plombées. Je l’ai emmené deux fois en concert avant d’abandonner et de le laisser pour le studio.

Tu es fasciné par les synthés des années 80, c’est ça ?

Je l’ai beaucoup été, puis comme toute chose que tu goûtes un peu trop, je m’en suis un peu lassé et j’essaye d’en mettre un peu moins dans ma musique ces temps-ci.

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Tu t’apprêtes à sortir un nouvel EP où l’on ressent tes diverses influences, restant dans une mouvance groove et électro-pop. Quel a été le processus de création de celui-ci ?

Je n’avais rien en tête à l’époque, puis on a tous été frappés par le confinement. J’ai dû me retrouver dans ma chambre d’adolescent, chez ma mère, avec quelques synthés et mon ordinateur. Sachant que le monde s’était totalement arrêté, je me suis senti libre de tout expérimenter et de le partager aux gens qui me suivent sur les réseaux. À chaque fois que je finissais une démo, pas mixée, je l’appelais “Unmixed”, puis je la balançais sur Instagram pour m’en délivrer. J’ai fait une dizaine de chansons comme ça pendant le confinement. Moi qui suis très timide, je me suis mis à contacter des amis qui m’ont tous répondu. Je suis d’habitude quelqu’un de très solitaire dans la composition et là, je me suis ouvert. J’ai demandé à mon ami Voyou, à David Numwami, à Clara Nowhere (Agar Agar), à Joseph Schiano Di Lombo… Tout le monde a répondu à l’appel. À la fin du confinement, je ne savais pas trop quoi faire de ces chansons. Mon label m’a dit de les mixer un peu pour les polir, puis de les sortir sous le nom Unmixtape.

C’est parce que c’étaient des personnes qui t’inspiraient à ce moment-là que tu leur as envoyé un message ?

Oui, et surtout des personnes qui étaient proches de moi, avec qui je parlais. Des amis avec qui j’ai vécu des choses, avec qui j’avais fait de la musique… J’ai très peur de la réaction des autres, du “non”, des râteaux en fait, mais vu que tout le monde était confiné à ce moment-là, il n’y avait pas d’excuses. Tu pouvais contacter n’importe qui, tu savais qu’il était obligé de te répondre car il était forcément chez lui. Donc soit il te disait non et tu comprenais qu’il ne voulait vraiment pas, soit il te disait oui et ça embrayait sur quelque chose.

Dimanche, tu partages ta date aux Nuits Botanique avec David Numwami, que tu connais très bien car vous étiez tous les deux musiciens sur la tournée de Charlotte Gainsbourg. Vous venez de sortir un son ensemble, comment ça s’est mis en place ?

J’avais un bout de chanson et je l’ai appelé un jour. Je n’ai même pas eu le temps de lui demander s’il était chaud qu’il l’était déjà. Je lui ai envoyé une démo, le lendemain il me renvoyait sa guitare et ses voix et le surlendemain je mettais la chanson en ligne. Tout s’est fait de manière tellement fluide pour cet EP, ça a été extrêmement rapide. Après, j’ai quand même pas mal retravaillé la chanson pour la mettre dans le vinyle et dans le CD. Une chanson qui s’est faite très vite aussi, ce qui est extraordinaire parce que c’est la chanson la plus streamée, c’est No Love. J’ai demandé à Joseph de m’envoyer des boucles de piano. En une heure, j’avais fini le squelette de la chanson. Je l’ai envoyée à Clara qui m’a envoyé ses voix et le soir-même on avait la chanson. C’était formidable de travailler comme ça. Ça m’a tellement donné envie de travailler avec les autres et de ne plus trop retoucher l’émotion brute que tu peux avoir au début et que tu perds souvent au fur et à mesure des enregistrements. Damso, ça a été pareil. Pour une chanson comme 911, je suis arrivé à 17h en studio et à 21h elle était faite. Et j’ai appris par la suite qu’elle n’avait même pas été remixée pour l’album. Tu peux l’écouter sur le CD comme on l’a jouée, c’est de l’émotion brute figée dans le temps. Ce que j’ai voulu faire avec Unmixtape.

Tu t’occupais des séquences rythmiques pour la dernière tournée mondiale de Charlotte Gainsbourg, ça t’a appris quoi ?

C’est un ami à moi, Bastien Dorémus, qui a été réalisateur du live de Charlotte et qui a dû bosser en même temps sur le live de Christine and the Queens. Il m’a demandé si j’étais dispo pour le remplacer sur le live de Charlotte Gainsbourg, ce à quoi j’ai évidemment répondu oui. On est donc partis sur la route, ça a été une aventure de deux ans. C’était vraiment deux années avec des potes, qui sont devenus des amis, une colonie de vacances aux quatre coins du monde en gros. Peu de sommeil, peu de repos, mais une expérience unique. C’est un coup de fil qui a changé ma vie.

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Dans tes chansons, tu parles beaucoup d’amour. Pourquoi ce thème plutôt qu’un autre ?

En fait, pour moi c’est juste un moyen de pouvoir parler d’autres choses. Il y a beaucoup de chansons qui parlent de l’amitié aussi, qui peut être lié à un sentiment amoureux pour moi. J’ai eu des déceptions amoureuses dans ma vie, des personnes ont eu des déceptions amoureuses à cause de moi. Là, je suis très heureux en amour mais à d’autres moments ça l’a moins été. Le couple, le vivre-ensemble sont des choses qui me parlent énormément. Mais pour moi c’est un moyen d’exprimer de la colère, de l’espoir… Je ne pense pas à une personne en particulier quand je vais chanter ou écrire une chanson. Il y a forcément eu des clins d’œil à des moments que j’ai pu vivre, mais je ne suis pas sûr que les personnes puissent vraiment se reconnaître.

À partir de quand as-tu eu l’idée de poser ta voix sur tes productions ?

Ça n’a pas été inné du tout. J’ai commencé à faire de la guitare et je ne voyais pas être chanteur. On avait un groupe à l’époque avec un ami, Apes and Horses. On chantait à deux, puis je me suis mis à devenir plus chanteur et lui plus producteur. Mais même à ce moment-là, je ne connaissais pas encore ma voix. Ça a été un long processus avant de pouvoir m’écouter, de ne plus en avoir peur et d’assumer le fait d’être chanteur. Là, je pense que ça fait deux ou trois ans que quand on me demande ce que je fais principalement, je réponds chanteur-interprète. Ma voix, c’est ce qui me définit le plus, c’est le fil conducteur à tout ce que je vais faire. Je pourrais bosser avec n’importe quel producteur, me défaire complètement du DX7, faire des chansons qu’à la guitare, d’autres purement rythmiques ou symphoniques, ce qui fera l’identité de ce que je suis et de ce qu’est Saint DX, ce sera ma voix.

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Est-ce que tu as des artistes, que ce soit musicaux ou autres, qui t’ont vraiment influencé dans ta vie ou dans ta musique ?

Prince, dans son parcours, dans son génie. Il est intouchable. Les Beatles, forcément. Et une artiste que j’aime énormément, c’est Sade. Elle n’est pas seule évidemment, mais je la trouve tellement juste, pointilleuse, classe, puis en même temps elle dégage une émotion tellement forte que ça a été une grande influence. Il y a aussi des bouquins qui ont changé ma vie et qui m’inspirent tous les jours : À la recherche du temps perdu de Proust, même si c’est pompeux. Quand j’ai découvert Nietzsche également. C’est connecté à la vie. Prince, il m’a fait changer, Radiohead aussi. Ils ont bouleversé mon monde. Ce que j’attends de l’art et d’un artiste, c’est quand il arrive à tellement bien décrire son monde à lui, quand on voit qu’il est allé puiser tellement loin dans sa pensée et dans son art. Il y a un truc unique mais universel, c’est ça qui me bouleverse.

C’est quelque chose que tu as envie de reproduire avec ta musique ?

Je ne pense pas y être encore arrivé. Mais c’est quelque chose auquel je pense, cette patience et cette intégrité de toujours garder un cap, ne jamais dévier de sa course, prendre énormément de ce que nous apportent les autres et de ne pas faire ce que tu ne sens pas. Avant de lancer Saint DX, j’ai eu une grande période de doute. J’ai regardé une interview d’Étienne Daho qui disait qu’il avait toujours suivi son instinct, que dès qu’il sentait qu’il y avait une chose qu’il ne devait pas faire, il ne la faisait pas. C’est ce que je m’efforce de faire en musique et dans la vie.

Tu as des parents bouddhistes. Est-ce que ça a influencé quelque chose dans ton approche musicale, ou ta vie en général ?

Plus jeune, j’étais extrêmement angoissé, j’avais beaucoup de pensées assez lugubres et c’est quelque chose qui m’a permis de m’ouvrir et, je pense, de survivre à un moment donné. Ça imprègne forcément ma façon de vivre et ma façon d’être. Mais ça ne veut surtout pas dire que je suis parfait, que je n’ai jamais fait de mal aux autres. Mais c’est quelque chose qui est en moi en tout cas.

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Saint DX, c’est maintenant un nom connu dans le rap aussi, avec Myth Syzer, Squidji et évidemment Damso. C’est un genre que tu affectionnes ?

J’écoute très peu la scène hip-hop francophone. J’ai dû découvrir Damso avec un son de Batterie Faible, puis j’étais très fan de son album Ipséité, mais je n’ai jamais vraiment suivi sa carrière ni celle d’autres rappeurs. Je suis tellement attaché à la production musicale plus qu’aux textes. Je me suis un peu retrouvé propulsé là-dedans par hasard, ça me fait drôle. Mais par contre, j’écoute énormément ce qui se passe aux États-Unis et en Angleterre depuis des années. Mais c’est parce qu’il se passe un truc très fort en production musicale là-bas. Tous ces producteurs qui les entourent, leur manière de créer dont tout le monde s’inspire maintenant. Aujourd’hui, tout le monde fait des séminaires, que ce soit en France ou dans le monde, où ils regroupent plein d’artistes dans une même pièce et ils les font travailler sur leurs laptops ou sur leurs synthés ou leurs guitares. Ils joignent plein d’univers différents. C’est comme ça que je me suis retrouvé à travailler avec Squidji et Damso. Ils ont eu raison de le faire car ça a super bien marché. Moi, c’était quelque chose que je voyais de loin. J’étais très fan des productions de Ponko pour Hamza et de Dioscures pour Laylow sur son album Trinity. J’avais suivi un peu Prinzly, mais à part ça, je n’y connaissais rien.

C’était comment d’être en studio avec Damso ?

Franchement, c’était une leçon. Peut-être que je me trompe, mais je ne suis pas sûr de revivre un moment aussi fort. On a fait une dizaine de titres de l’album QALF en une semaine, à raison de deux titres par jour. De le voir créer, ne rien lâcher de 15h à 7-8h du matin tous les jours. De voir un artiste qui arrive à pondre des textes pareils… Il ne faisait qu’une prise à chaque fois, ça n’existe pas normalement, j’avais affaire à un truc… C’était lunaire. Je n’arrivais même pas à croire que je puisse être là à ce moment-là. C’est un artiste de dingue qui a su s’entourer, qui sait écouter les autres.

Tu crois qu’être cité dans un de ses sons (NDLR : D’Ja Roulé), ça a boosté ta carrière ?

Depuis, je n’ai quasiment plus de trous dans mon emploi du temps. En vrai, c’est trop kiffant, mais je ne le vois pas comme un boost de carrière car je vois ma carrière de producteur et Saint DX comme deux choses à part. Ce sont deux univers complètement différents. D’ailleurs, je fais de moins en moins de production, j’ai plus envie de me concentrer sur ce que je fais moi, sur mes chansons.

Dans le futur, tu comptes continuer à produire dans le rap, ou vraiment te concentrer sur Saint DX ?

Quand c’est pour retrouver des gens que j’aime à la production, si c’est pour travailler avec Prinzly, Ponko ou Paco avec qui j’ai vécu des choses très fortes, oui. Mais je ne sais plus si j’ai encore la force de faire des séminaires. Je préfère avoir un son dans un album qui me fait trop kiffer, mais je crois que je n’ai pas l’étoffe pour l’instant d’être un réalisateur de disques de rap. C’est toujours chouette de faire des rencontres, donc c’est souvent difficile de dire non, mais je ne me vois pas faire carrière là-dedans.

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