Les talibans, leur ministère de la Promotion de la vertu et de la Répression du vice – c’est le nom complet — a édicté il y a quelques semaines des sortes de directives religieuses concernant les médias. Par exemple, ils disaient que les femmes présentatrices qui passaient à la télé se devaient de porter un voile. C’est par exemple une règle, mais dans la rédaction de TOLOnews, on disait que ça n’avait aucun sens car jamais une femme n’est arrivée non voilée dans la rédaction pour passer à l’écran. Toujours dans ces directives, par exemple, les talibans ont dit qu’il ne pourrait plus y avoir d’actrices à la télé, mais pour le moment, c’est encore le cas.
Zirak Faheem, rédacteur en chef de TOLOnews, chaîne afghane d’infos en continu, nous explique un peu les modalités du journalisme local en Afghanistan en 2021 sous les talibans. "Il y a un grand changement entre aujourd’hui et avant. Avant, nous utilisions le mot taliban, mais maintenant, ils nous ordonnent de les appeler l’Émirat islamique. C’est la réalité. Maintenant, ils sont au pouvoir. Il y a d’autres expressions et mots que nous utilisons pour ne pas être contre eux. Le monde sait que les talibans ont tout maintenant, le pouvoir et l’autorité. Et il y a des règles que nous devons suivre. Jusqu’à présent, nous n’avons pas perdu notre indépendance et nous continuons notre travail sur base de la liberté que nous avons."
En tout cas, Tahmina Osmani n’hésite pas à être assez critique envers le régime taliban dans ses journaux, comme lorsqu’elle dit "Quatre mois après le retour au pouvoir des talibans, leur Émirat islamique n’a pas été reconnu par la communauté internationale, mais ils insistent que les pays étrangers ne vont pas avoir le choix et vont devoir le faire. Mais qu’en est-il du peuple qui va s’occuper de leurs défis à eux ?" Un autre exemple est une invitée, activiste féministe afghane, qui critiquait vertement les talibans pour avoir suspendu l’éducation secondaire pour les filles du pays. Pour rappel, depuis trois mois, les jeunes Afghanes, les adolescentes ne peuvent plus aller à l’école, elles ont été obligées de créer des écoles secrètes pour pallier cette suspension.
J’aime toujours autant l’Afghanistan, mais je ne me sens plus chez moi ici
Tahmina Osmani redoute-t-elle une forme de répression de la part des talibans ? Elle prend beaucoup de précautions pour ne pas être reconnue : avant de sortir de la rédaction, chaque jour, elle prend soin de se démaquiller, elle rentre dans un véhicule privé de la compagnie, elle ne se balade pas dans la rue et elle porte toujours un masque chirurgical pour se protéger du Covid, bien sûr, mais surtout pour qu’on ne puisse pas la reconnaître en rue. Pour Tahmina Osmani, c’est aussi une question de principe, de faire en sorte qu’il y ait toujours des femmes à l’écran en Afghanistan, mais aussi des questions de nécessité, c’est-à-dire qu’il y a une crise économique très grave qui frappe le pays depuis le retrait de la communauté internationale, depuis le retour au pouvoir des talibans, et dans sa famille, elle est la seule à encore avoir un travail.
"Il ne fait aucun doute que ma famille a peur et s’inquiète pour moi, mais ils sont aussi d’accord avec moi que si nous arrêtons de travailler et d’apparaître à la télévision, alors la représentation des femmes dans les médias disparaîtra et les autres filles n’auront pas le courage de continuer dans cette voie-là. L’existence des talibans est très effrayante, mais nous faisons de notre mieux pour continuer notre travail et prouver que lorsque les femmes exigent de ne pas être effacées de la société, nous pouvons réussir. Malgré les risques, je tente de ne pas disparaître." explique-t-elle à Wilson Fache. Et quand il lui demande si elle a l’impression, en tant que journaliste, que le pays lui appartient encore : "C’est une question à laquelle il est difficile de répondre, je ne sais pas quoi dire. Avant ces changements, je pensais que j’appartenais à ce pays et j’avais l’espoir d’avoir un avenir brillant ici, mais malheureusement, ces événements m’ont fait perdre mon sentiment d’appartenance. J’aime toujours autant l’Afghanistan, mais je ne me sens plus chez moi ici."
Tahmina Osmani, 22 ans, nouveau visage de l’info en Afghanistan, n’est pas particulièrement optimiste pour la question des droits des femmes, qui sont chaque jour un peu plus réduits, mais aussi cette crise économique très grave qui est en train de se transformer en crise humanitaire. Aujourd’hui, l’Afghanistan serait au seuil de l’une des pires crises humanitaires au monde.