Un lac en montagne. Il est parti nager après leurs ébats illicites. Il n'en est pas revenu. Il est mort, là, étendu sur le sol du chalet qu'ils avaient secrètement loué pour le weekend. A sa femme, il avait sans doute prétendu être en séminaire. Elle le contemple, à sa merci. Lui qui n'avait jamais été totalement à elle de son vivant, elle le possède dans la mort. Alors, elle décide de le garder et de lui donner sépulture. Mais aussi d'écrire à sa femme, pour lui dire qui il était avec elle. "Il vous aimait, il n'y a pas à en douter. Je ne sais pas ce qu'il vous racontait pour justifier ses absences, nous n'en parlions pas. Il avait honte sans doute, et moi aussi." Adeline Dieudonné est l'invitée de 'Entrez sans frapper' pour son nouveau roman 'Reste' aux éditions L'iconoclaste.
Un vie de femme orientée par les injonctions sociétales
" Je ne crains pas les hommes, je crains mon propre penchant à la subordination "
Le personnage féminin du roman, la petite quarantaine, se retrouve seule face à son amant décédé. Un secret bien gardé durant huit ans, jusqu'à ce jour funeste. Elle plonge dans une introspection où elle fait l'autopsie de ses histoires de couples passées. Adeline Dieudonné nous résume l'état d'esprit de S, son héroïne.
" Avec l’âge qu’elle a, le recul et aussi après le mouvement #Metoo, elle réalise qu’elle a obéi à un certain nombre d’injonctions. Il y a ce qui devrait changer selon elle dans le comportement des hommes, mais il y a aussi ce qu’elle observe chez elle-même, et son propre penchant pour la subordination. A quel point elle a été conditionnée en tant que femme. Pour l’instant, elle n’arrive pas à se libérer de ces injonctions-là. C’est plus facile de vivre sans homme chez elle que de vivre avec eux. Elle observe que dans sa famille, on a toujours attendu l’homme providentiel. Même si on était capable de se débrouiller seule, c’était toujours comme une sorte d’intérim, d’assumer leur poste et leurs responsabilités en attendant que l’homme providentiel vienne prendre sa place. "
La liberté de choisir qui on aime et comment l'aimer
S. est débarrassée de la question de la maternité, puisqu’elle a une une fille qui est assez grande, et elle sait qu’elle n’aura pas d’autres enfants. Elle peut décider de construire ses relations sentimentales autrement, car elle a atteint une certaine maturité. Elle veut sortir du schéma classique, de l'amour de type conjugal.
" C’est ce qui lui convient. Elle peut échapper à ce couple normatif. Elle n’a pas forcément envie qu’il quitte sa femme, qu’il vive avec elle. Elle dit :
‘J’adore les soirées seule à la maison, j’adore assumer une partie de ma sexualité toute seule, j’adore ce que l’on présente comme des repoussoirs chez les femmes célibataires. C’est un espace de grande liberté et je n’ai pas envie d’autre chose'.
"Elle ressent un vrai bonheur à être avec un homme marié, de partager cet homme avec une autre femme qu’elle ne connait pas. Cette position dans laquelle se place mon héroïne est discutable, car il y a du mensonge. Il y a une autre femme qui est 'flouée' . Elle dit: ‘Nous ne sommes pas rivales’ , mais c’est son point de vue à elle, on ne sait pas ce que l’épouse légitime en penserait. Il n’y a pas de morale à cette histoire, ce n’est pas une histoire morale. Elle se place dans une sororité avec cette femme qui arrange bien sa conscience."
Un road trip avec la mort dans les bagages
L'auteur de 'La vraie vie', qui a été vendu à 250 000 exemplaires, a du combattre la pression de l'écriture d'un second roman. Avec son style cash, elle aborde un thème grave, omniprésent dans le roman: la mort. Le roman est construit comme un road trip du deuil. S. emmène le corps de son aimé vers la plus belle des sépulture. Sauf qu'elle ignore où ce chemin la mènera, tant sur la route que dans ses réflexions.
" Elle veut désinstitutionnaliser ses funérailles. Il est mort, il doit retourner à terre et elle n’a pas du tout envie qu’il aille dans un cercueil à moitié fait de plastique, ni dans un crématorium où on va le brûler en 20 minutes. En fait, quand quelqu’un meurt, on a besoin de temps. Du temps avec le corps, de pouvoir le toucher, lui parler. Et puis seulement du temps pour la cérémonie en tant que telle. La mort ne fait plus partie de nos vies. Aujourd'hui, on a droit à trois jours puis il faut retourner travailler, être productif, c’est capitaliste. Veiller le corps et prendre le temps de le garder parmi nous pendant quelques jours c’est une étape importante."