S'informer via le réseau social Facebook est un réflexe de plus en plus courant. Contrairement à un journal classique, Facebook a la réputation d'isoler l'internaute-lecteur dans un confort d'idées qui lui correspondent. Les différents grands rendez-vous électoraux ont montré comment peser sur l'opinion publique en investissant massivement sur les réseaux sociaux. Ils ont aussi montré comment les discours extrêmes parvenaient à se faire une place de choix. Les médias traditionnels ont-ils perdu la main sur la façon dont se forgent les opinions ?
Explications avec Laura Calabrese, professeure d’analyse de discours et communication à l’ULB, et Nicolas Baygert, docteur en sciences de l’information et de la communication et enseignant.
La politisation de Facebook
Facebook s'est-il politisé ? Les politiques ont-ils investi Facebook ?
Les partis politiques ont bien compris qu'il faut investir massivement sur Facebook. Le danger est que les partis et les personnalités politiques sont en campagne permanente sur ces réseaux sociaux. Cela rompt avec les règles classiques de la propagande politique. Les gens sont exposés en permanence à un discours politique, à un discours militant, qui confirme ce qu'ils pensent déjà, précise Laura Calabrese.
Pour la pensée, c'est dangereux. Sur Facebook, les informations ne sont pas produites par des professionnels du métier, les choix, qu'ils soient politiques ou marketing, ne sont pas informés : on a des fake news, de la désinformation, des bulles de filtrage qui permettent de ne pas être exposé à des idées différentes.
Comment fonctionne Facebook
Facebook, à travers une série d'algorithmes, stocke des informations qui nous concernent, avec l'idée de nous alimenter en continu avec du contenu qui est censé nous correspondre. Il faut savoir qu'on donne énormément de données à Facebook avec nos likes, nos clics, nos commentaires,... Facebook nous cloisonne en fonction de nos opinions, puis nous envoie des contenus, vrais ou non, qui fonctionnent principalement sur l'émotion, pour qu'on puisse hystériser notre conviction.
Les réseaux sociaux fonctionnent tous de la même manière, d'autant plus qu'Instagram, WhatsApp font partie de la même entreprise Facebook. Même Google fonctionne avec des bulles de filtrage. "On ne voit pas la même réalité, vous et moi. On peut faire la même requête sur Google, on ne va pas trouver la même chose", observe Laura Calabrese.
Le danger du biais de confirmation
Facebook est devenu un ensemble d'agoras politiques. "Ce n'est pas une agora dans la mesure où ces espaces juxtaposés, avec des personnes qui partagent vos opinions, vont avoir tendance à fonctionner en système clos, ce qui crée un biais de confirmation. Vous avez l'impression d'être entouré d'interlocuteurs qui partagent vos opinions et vos valeurs et donc d'être dans la majorité", explique Nicolas Baygert.
Facebook n'est donc pas une agora politique traditionnelle et réellement démocratique parce qu'il manque cette confrontation des idées. Si quelqu'un nous contredit, il est expulsé, selon une logique algorithmique, ou décrédibilisé.
Nicolas Baygert met en garde contre ce biais de confirmation, qui provoque un discours davantage désinhibé, avec une radicalisation possible. Car lorsqu'on est conforté dans son point de vue, on a tendance à aller un peu plus loin. Une forme d'hystérisation du débat public se met en place.
Il faut aussi tenir compte du fait que dans une campagne permanente, les politiques sont devenus des community managers. Ils doivent en permanence nous alimenter avec du contenu. S'ils ne maintiennent pas cet effort, on les oublie. On a donc un mélange de contenu purement politique et d'éléments plus personnels.
Quelle influence sur les élections ?
On entend souvent que les réseaux sociaux et Facebook en particulier ont joué un rôle essentiel dans les élections, qu'il s'agisse de Trump, du Brexit, du Brésil, de Marine Le Pen aux élections européennes. Mais en a-t-on confirmation ?
Pour Laura Calabrese, la réponse est nuancée. Dans le cas du Brexit et des élections aux États-Unis en 2016, Facebook a clairement joué un rôle par le biais des fake news, de la désinformation en général, de l'ingérence étrangère dans les campagnes.
"Mais d'un autre côté, il n'y pas que le média qui joue un rôle. Il y a un impact d'autres institutions publiques, l'école, l'université,... Pour la Belgique, on ne peut pas dire que c'est à cause de Facebook que le Vlaams Belang a eu un score impressionnant. Là, je pense qu'il faut se poser un autre type de questions et pas toujours se focaliser sur les médias, parce que ce sont des gens qui utilisent ces médias."
Le Vlaams Belang a investi des sommes considérables dans la communication sur les réseaux sociaux. Ses membres sont assez jeunes, ce sont des digital natives, ils sont en quelque sorte des symboles de cette ère numérique nouvelle.
Le cordon sanitaire ne s'applique pas sur les réseaux sociaux, précise Nicolas Baygert. Il n'y a donc aucun discours critique, aucun cadre d'interprétation ou framing, sur le discours du Vlaams Belang entre autres. Les interlocuteurs s'adressent directement, sans intermédiaire, à leur électorat.
Dans l'univers virtuel, l'adversaire politique se transforme en véritable ennemi. A partir du moment où on est confirmé dans ses valeurs et ses convictions, il y a une forme d'hystérisation des contre-récits, une radicalisation de la pensée, et il n'y plus de dialogue ni de gentleman agreement possible.
Le Fact Checking contre les fake news ou les photo-montages ?
Les journalistes ont souvent recours au Fact Checking pour distinguer le vrai du faux.
Mais sur les réseaux sociaux, le fact checking ne fonctionne pas, affirme Nicolas Baygert, et cela pour les raisons suivantes :
- la mise en cause des institutions ou médias fact checkers eux-mêmes, dont l'objectivité est questionnée.
- une certaine nonchalance de chacun par rapport aux sources : on se sent dépassé.
- on partage parfois des fake news simplement par plaisir, parce qu'on a envie de rire au détriment d'un adversaire, ou de critiquer. Il peut y avoir aussi une forme de fidélité, de militantisme, qui va l'emporter sur la véracité de l'information.
Les médias traditionnels ont un rôle important à jouer pour le maintien d'une forme de pluralisme et la confrontation d'idées. Les États de leur côté doivent d'urgence agir pour réguler cette mécanique.
Pour aller plus loin
RDV sur la plateforme Spicee.com pour y découvrir La Fabrique de l'Opinion, un documentaire interpellant sur l'influence des réseaux sociaux.
A lire : un article du Vif L'Express avec Nicolas Baygert - Comment Facebook empoisonne la démocratie.
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