Belgique

Réouverture des discothèques : le mouvement #BalanceTonBar attend des mesures rapides

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Ce 18 février, et sous quelques conditions, les discothèques peuvent à nouveau ouvrir leurs portes partout dans le pays. Bien que le monde de la nuit soit soulagé de cette décision, d'autres voix font un constat un peu plus inquiétant.

La collective UFIA, l’Union Féministe Inclusive Autogérée, à l'origine du mouvement #BalanceTonBar estime que trop peu semble avoir été fait pour prévenir ou gérer les oppressions et les agressions sexuelles dans les bars, discothèques et autres lieux de divertissement nocturnes. Des actes commis le plus souvent sur des femmes et dénoncés par le mouvement. Cela avait fait réagir en force partout en Belgique, et même dans le monde entier.

Laura Baiwir, co-fondatrice de la collective UFIA
Laura Baiwir, co-fondatrice de la collective UFIA © Tous droits réservés

On attend du monde de la nuit des réponses beaucoup plus claires

C'est ce que nous explique Laura Baiwir, co-fondatrice de la collective UFIA, l’Union Féministe Inclusive Autogérée :

"4 mois après, on voit que les choses avancent, mais très lentement. Il y a des budgets qui ont été débloqués. Notre rôle aujourd’hui ce sera d’être vigilantes et vigilants […] Comment ces budgets vont être utilisés ? On attend du monde de la nuit des réponses beaucoup plus claires. Si des plans d’action sont mis en place, qu’ils soient publics, publiés, et que la clientèle soit informée".

D'après elle, sur le terrain, on ne ressent pas encore d'effets concrets :

"On n’a pas vraiment vu d’avancée, de prise de contact, de plan, de proposition de plan d’action, pour d’une part améliorer la prévention, surtout, pour qu’il n’y ait plus d’agression. Et d’autre part la gestion quand il y a des agressions dans les clubs. On est bien conscient que ce n’est pas une période facile avec le Covid, les fermetures, etc. Mais il n’en est pas moins que c’est plus de la moitié de la clientèle qui est concernée par toutes ces agressions et ces oppressions. Et qu’il est grand temps que [les tenanciers] se responsabilisent par rapport à tout ça".

Un problème qui ne touche pas que le milieu de la nuit

Toujours selon la co-fondatrice de l'UFIA, le problème est loin de se cantonner aux discothèques ou aux bars. C'est bien à une oppression systémique à laquelle on assiste depuis trop longtemps :

"On est en train de le constater maintenant avec ce qu’il se passe dans les milieux universitaires. Et c’est ce qu’on disait dans la rétrospective l’année passée, on ne va pas s’amuser à faire des hashtags à chaque fois qu’il y a un problème. En fait, il est temps que la question soit prise au niveau régional, voire fédéral, qu’on se rende compte qu’il y a un problème systémique, même dans les administrations, à tous niveaux de pouvoirs. Et donc c’est là-dessus que nous avons attaqué le monde de la nuit, et on ne s’arrêtera pas là. Et on compte vraiment arriver à faire en sorte que la société en elle-même se remette en question et se déconstruise. (…) Selon nous, cela passe avant tout par l’éducation. Et dès le plus jeune âge, expliquer la notion de consentement par exemple. C’est vraiment comme ça qu’on va pouvoir travailler sur du long terme et avoir un impact sur le futur aussi"

Ludivine de Magnanville, présidente de la fédération Horeca Bruxelles
Ludivine de Magnanville, présidente de la fédération Horeca Bruxelles © Tous droits réservés

Un constat que partage Ludivine de Magnanville, la nouvelle présidente de la fédération Horeca Bruxelles :

"Mon avis en tant que femme c’est qu’il ne faut pas s’arrêter là, ne sensibiliser que la clientèle, il faut savoir sensibiliser tout le monde. Et ça passe d’un serveur à un patron de restaurant, à une jeune femme qui passe dans la rue, à un chauffeur de tram… Il faut passer par tout le monde et pas uniquement dans notre secteur."

Elle parle de son implication personnelle dans cette problématique :

"Mes objectifs sont clairs. Ce qui est arrivé ne devrait plus arriver. Et moi j’ai remercié des tonnes de fois les personnes qui ont parlé car c’est grâce à elles qu’on a mis en lumière ce qu’il s’est passé. Et aujourd’hui c’est la banalisation de la violence qui doit s’arrêter(…)".

Nous sommes dans un monde où les gens peuvent être alcoolisés, où certaines drogues circulent

Quant à la lenteur des mesures prises jusqu'à présent, la présidente de la fédération Horeca Bruxelles s'en défend : 

"Très clairement : la Nuit a fermé ! Comment peut-on aujourd’hui mettre en application des choses concrètes si le monde de la nuit ferme ? Ce n’est pas possible ! Donc on rouvre vendredi, on a des réunions cet après-midi (jeudi) à propos de ça. Mais on ne peut pas travailler sur quelque chose qui n’est pas du concret et qui n’est pas du quotidien".

"Il y a déjà des affiches qui sont prévues pour la ville de Bruxelles. Donc, normalement, la campagne devrait sortir dans pas très longtemps. Et au niveau de la Région, c’est en cours pour savoir par quel bout on va aborder le problème, concrètement. Tout a déjà été travaillé, le plan a été fait, les budgets ont été alloués, ça y est. Et on va partir dans le concret rapidement".

D'autre part, la spécificité des problèmes du monde de la nuit devraient selon elle n'être ni négligés ni banalisés :

"En tant que patronne d’établissement, j'aimerais qu'on arrive à dire qu’aujourd’hui nous sommes dans un monde où les gens peuvent être alcoolisés, où certaines drogues passent. Et donc il faudrait arriver à contrôler et à conscientiser ce genre de choses, et ne pas le banaliser".

Florence Wautelet, directrice-adjointe au cabinet de l’Egalité des chances de la Région bruxelloise
Florence Wautelet, directrice-adjointe au cabinet de l’Egalité des chances de la Région bruxelloise © Tous droits réservés

Du côté de la Région bruxelloise, les actions envisagées concernent autant l'Horeca que les associations de terrain. Florence Wautelet, directrice-adjointe au cabinet de l’Egalité des chances :

"Par rapport à la problématique de #BalanceTonBar, on a voulu prendre des mesures spécifiques, qui concernent d’une part la formation du personnel de l’Horeca, mais aussi sa sensibilisation, avec des protocoles pour chaque situation. Comme "Comment réagir lorsqu’on est témoin ?" "Qui prévenir ?" "Comment prendre en charge une victime ?"... Et il y a aussi évidemment un soutien prévu pour le secteur associatif, qui est en première ligne notamment sur ces questions-là sur le terrain"

Une action qui vise à faire du personnel Horeca un témoin actif et bienveillant dans le cadre des discriminations ou des violences sexuelles

Des mesures qui ont été chiffrées et pour lesquels des budgets ont été libérés : 

"Il y a 610.000 euros qui ont été débloqués au mois de décembre 2021 pour lutter spécifiquement contre ce phénomène. Avec 4 actions concrètes : une action qui vise à la sensibilisation du personnel Horeca, une action qui vise à faire du personnel Horeca un témoin actif et bienveillant dans le cadre des discriminations ou des violences sexuelles; il y a 200.000 euros qui sont prévus spécifiquement pour un appel à projets pour soutenir le secteur associatif et 200.000 euros également qui sont prévus pour une campagne de lutte contre les violences sexuelles dans le monde de la nuit".

Pour Florence Wautelet, les actions à envisager sont surtout sur le moyen et le long terme, ce qui expliquerait que rien n'est encore prévu officiellement pour ce vendredi :

"C’est plutôt un travail de longue haleine dans le cadre de la lutte contre les violences faites aux femmes. Et ici on est plutôt sur un travail à moyen terme, avec le secteur associatif, avec les partenaires du gouvernement. Il y a des actions qui s’articulent du mois de mars avec un appel à projets jusqu’au mois de novembre avec la campagne de sensibilisation".

Il faut sensibiliser la clientèle, le personnel, ainsi que les auteurs potentiels

Et quant au travail de sensibilisation en lui-même, elle ajoute : 

"Les actions sont complémentaires. Il faut sensibiliser la clientèle, le personnel, ainsi que les auteurs potentiels. Donc, la formation pour le personnel de l’Horeca ce sera très précisément des formations en ligne, pour permettre au personnel de réagir adéquatement. La campagne ce sera pour l’ensemble de la clientèle du secteur. Et le mode de réaction active ce sera pour le personnel au bar, notamment. A côté de "Comment faire un mojito ?" eh bien, par exemple "La technique des 5D", "Comment distraire un auteur potentiel ?", "Comment venir en aide à la victime?", les numéros d’urgence, etc."

Des actions trop lentes ?

L'UFIA regrette un manque de réactivité car selon elle, il est possible de prendre des actions très concrètes rapidement. Laura Baiwir veut interpeller les responsables d'établissements :

"Ce sont surtout des actions qui peuvent être prises dans des clubs, mais aussi dans les administrations où il y a moyen de mettre des choses en place et ce à tous les niveaux. Mais dans les clubs il y a des petits éléments qui peuvent être mis en place, comme des endroits où les personnes victimes d’agressions peuvent se réfugier, former des personnes de référence, il y a vraiment plein de pistes à mettre en place rapidement. Il suffit de le vouloir et d’être conscient de ce qu’il se passe dans les clubs".

Il ne faut pas oublier que c’est avant tout un changement de mentalités chez certaines personnes qu’il faut pouvoir insuffler

Sur les pistes de danse et aux bars, le résultat risque de ne pas être au rendez-vous dès ce soir. Florence Wautelet tempère :

"Il faut avancer main dans la main. C’est sûr que le secteur associatif est là pour nous sensibiliser. Et c’est en quelque sorte le secteur de première ligne sur ces questions-là. Le pouvoir politique doit arriver à les soutenir. D’une part, financièrement certainement, et d’autre part en modifiant son action politique en cours de route lorsqu’il y a des phénomènes qui apparaissent comme ceux-là. On reste à l’écoute. Les choses avancent, certainement, elles avancent peut-être un petit peu trop lentement, mais parce qu’elles s’inscrivent aussi dans un cadre budgétaire qui est compliqué au niveau de la Région bruxelloise. On travaille avec nos administrations, on travaille avec nos partenaires, pour pouvoir engranger des résultats le plus rapidement possible. Mais il ne faut pas oublier que c’est avant tout un changement de mentalités aussi chez certaines personnes qu’il faut pouvoir insuffler. Le politique est là pour soutenir ça, mais il n’est pas seul, évidemment, dans ce travail."

C'est donc très vraisemblablement un travail de longue haleine qui attend les acteurs de terrain. Reste à voir dans les mois à venir les effets concrets des mesures qui vont être prises pour endiguer un phénomène toujours très préoccupant.

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