Football

Rencontre avec Ouissem Belgacem : "J’ai dû choisir entre ma carrière professionnelle et assumer mon orientation sexuelle"

Ouissem Belgacem avec le logo de la campagne

© RBFA: Jonathan Vanooteghem

Par Jonathan Van de Velde

L’union belge de football a lancé le mois "Come Together", une action lancée il y a un an pour lutter contre les discriminations. S’il y a bien un sujet tabou dans le monde du foot, c’est l’homosexualité. Pour sensibiliser les acteurs de ce monde, l’union belge accueille Ouissem Belgacem, le premier joueur français à avoir osé faire son coming out. Nous l’avons rencontré.

"Faire son coming out est encore trop dangereux"

Ouissem Belgacem a compris tout petit qu’il était "différent". Mais il a aussi très vite pris conscience que dans le milieu où il grandissait (une banlieue d’Aix-en-Provence) et dans le milieu du foot, c’est très mal vu. Arabe, musulman et homosexuel, il a connu toute sorte de discrimination mais l’homophobie est taboue et est encore trop dangereuse dans le foot, "J’ai un ami qui évolue aujourd’hui en Ligue 1 (Division 1 Française), qui est homosexuel et qui a une femme et des enfants. S’il veut vivre son rêve, il n’a pas le choix. Un footballeur, c’est aussi un actif financier. Si un joueur fait son coming out, sa valeur marchande chuterait parce que personne ne voudra le recruter, et pour une bonne raison. Une chose importante dans une équipe de foot, c’est la stabilité du groupe, les coachs n’aiment pas les fauteurs de troubles. Si tu mets un homo dans un vestiaire et que le vestiaire n’est pas prêt à le recevoir, malgré lui il va déranger le vestiaire. J’ai entendu dans mes interventions, certains qui m’ont dit que s’il y a un joueur homo, il ne prend pas la douche avec lui, il ne prend pas l’avion ou ne s’assied pas avec lui. Dans le niveau d’homophobie actuel dans le foot, je comprends qu’il n’y ait pas de joueurs out".

Lors de la sortie de son livre, Patrice Evra est aussi allé dans ce sens, "Dans le monde du football, c’est simple, tout est fermé. Si tu le dis, c’est fini."

Ouissem Belgacem
Ouissem Belgacem © RBFA : Jonathan Vanooteghem

"Etre homophobe était vu comme quelque chose de normal dans mon centre de formation"

Ouissem Belgacem a dû, très vite, cacher son homosexualité et se créer une carapace, selon ses mots, il a dû "s’hétérosexualiser". A 13 ans, il part pour continuer sa formation à Toulouse. Il voit ça comme une opportunité de quitter sa vie et espère trouver un havre de paix où il pourra être lui-même. Mais il comprend vite que c’est pareil là aussi. Il est convaincu qu’il peut faire le choix de ne pas être gay, "J’ai tout essayé pour changer, je priais tous les jours pour ne plus être gay le lendemain mais au réveil, c’était toujours le même cauchemar. A côté du centre de formation, il y avait un bois qui était un lieu de rencontre pour homosexuel. Avec d’autres joueurs, nous avons créé une brigade anti-gay. Nous allions dans le bois pour les déloger, les intimider, jusqu’à porter des coups. Quand on revenait au centre et qu’on expliquait ce qu’on avait fait, nous étions des héros. Cette période-là, m’a détruit."

"J’ai dû choisir entre mon rêve et assumer qui je suis"

Pendant plus de 10 ans, il a fait semblant, il a caché son homosexualité. Tous les week-ends il entendait des mots homophobes de la part de ses coéquipiers et de ses coachs. Il ne pouvait plus supporter ces mots qui le blessaient et qui ont eu raison de son ambition de faire une grande carrière dans le monde du football, "J’étais en centre de formation, j’avais un certain potentiel, c’était mon rêve et je voulais en vivre. Mais il y a un moment dans ma vie, j’ai dû faire un choix entre mon épanouissement personnel, pour ma santé mentale, ou ma carrière professionnelle. Je ne veux pas qu’un ado ou un jeune adulte ait à faire ce choix. […] J’avais 20 ans, j’étais aux US et je me disais : "Ouissem, faisons un point. Est-ce que tu te vois repartir 15 ans, c’est long 15 ans, j’avais fait ça pendant 10 ans déjà, à la fin j’étais épuisé. Est-ce que tu te revois mentir à tous tes coéquipiers, mentir à ton coach ?" J’ai rendu les armes, je me suis dit, c’est bon, j’en peux plus, le football ça va me tuer."

Ouissem Belgacem et l'action de l'union belge contre les discriminations "Come Together"
Ouissem Belgacem et l'action de l'union belge contre les discriminations "Come Together" © RBFA : Jonathan Vanooteghem

"Mon but est de créer un environnement dans lequel plus personne n’aura à se cacher"

La sortie de son livre est aussi le moment de son coming out public. Beaucoup de connaissances dans le football se sont désolidarisées de lui, elles ne veulent pas être associées à une personne homosexuelle. Mais aujourd’hui, Ouissem Belgacem n’a plus envie de se cacher, "Je reçois des menaces de mort mais je m’en fiche. Je ne souffrirai jamais autant que lorsque je cachais qui j’étais vraiment. Je suis arrivé à un stade de ma vie maintenant où j’ai tellement de respect pour toutes les luttes qui ont été menées par la communauté LGBT, qu’il y a des trucs que je ne peux plus accepter. Je ne suis pas allé à la Coupe du Monde en Russie pour cela, alors que des amis jouaient sûrement leur dernier match."

Ouissem Belgacem
Ouissem Belgacem © RBFA : Jonathan Vanooteghem

"En France, on ne peut pas stopper un match pour des chants homophobes"

Aujourd’hui, Ouissem Belgacem veut faire avancer les choses dans le monde du foot, libérer la parole et faire en sorte qu’il y ait autant de moyen mis dans la lutte contre l’homophobie que dans la lutte contre le racisme, "En France, un arbitre peut arrêter un match pour des chants racistes, pas pour des chants homophobes. Ce n’est pas normal. Il faut mettre les mêmes moyens que pour le racisme. Quand je vois les campagnes que l’on fait pour contrer le racisme, les campagnes de la FIFA "NO to Racism", avec Pogba, des affiches immenses et quand je vois les campagnes contre l’homophobie, ça me rend furieux. Dans le foot, il y a un aspect financier important. Dans le volley, par exemple, le financement dépend à 50% de l’Etat, donc quand on leur demande de faire une campagne contre l’homophobie, ils disent oui. Dans le foot, ça ne représente que 2%. […] Il faut travailler avec tout le monde, c’est un travail collectif. Quand je vois des clubs comme Monaco qui me disent qu’ils vont travailler des passages de mon livre avec les jeunes en cours de Français, j’ai de l’espoir. Je suis d’ailleurs en pourparlers avec plusieurs clubs pour instaurer une clause dans les contrats des joueurs qui stipule qu’au moins une fois par an, ils doivent participer à une campagne contre l’homophobie. Mais actuellement dans le foot, les joueurs ne veulent pas s’exprimer sur le sujet."

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Tous les sujets de l'article

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous