Tendances Première

[REFLEXION] Burn-out : il touche plus de 30% des sages-femmes. Une analyse qui nous concerne

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Par Christian Rousseau

On en parle partout, tout le monde s’en plaint, il fait de nombreuses victimes dans toutes les catégories d’âge et sociales…. En réalité, Aline Schoentjes, sage-femme chez Amalia choisit d'analyser le burn-out chez les sages-femmes. Le sujet a une portée un peu limitée, me direz-vous, et pourtant, il prête à une réflexion plus vaste sur notre humanité. En tout cas, c’est ce qu’il m’a semblé. 

 

Commençons donc par quelques chiffres. Dans son rapport de juin 2020, le Conseil National des Sages-femmes de France rapportait que le burn-out concernait 40% des SF salariées, 31% des SF libérales et 37,5% des SF enseignantes.

Des chiffres quand même vaguement inquiétants dans un métier de soin. Qui nous poussent à vouloir les comprendre et ensuite trouver une solution. 

 

Pour réfléchir à tout cela ensemble, je me suis entre autres largement inspirée du livre du père Pascal Ide, La maladie du don, et une magnifique contribution à notre revue professionnelle signée par Jean-Michel Longneaux, philosophe, enseignant et conseiller en éthique de la santé que vous avez déjà accueilli à ce micro.  

 

Le phénomène du burn-out peut s’expliquer à la fois au niveau de l’individu et au niveau du système dans lequel il évolue.

Commençons par cette première facette: l’individu

C’est toujours bien de commencer par balayer devant sa porte. Non pas pour nous rajouter une dose de culpabilité mais au contraire pour sortir d’un cercle un peu vicieux. 

Comme bon nombre de soignants, les sages-femmes ont, elles aussi, une tradition d’idéal sacrificiel, où il faut donner beaucoup de soi, dans un monde  obstétrical d’une certaine violence, où on lutte pour défendre les droits des femmes et des bébés.

Et tout ça, en renonçant au confort matériel parce qu’il faut rester accessible au plus grand nombre. Il semble, en plus, que nous partagions certains traits de personnalité, comme une grande générosité, un sentiment poussé d’amabilité et d’agréabilité qui sont autant de facteurs prédisposants.

L’empathie et l’hypersensibilité reviennent, elles aussi, dans ce hit-parade. Il faut dire qu’elles sont tellement valorisantes et valorisées, ces qualités humaines-là. En soi, rien de mal, bien au contraire. Mais quand cela va trop loin, qu’on dépasse les limites, nos limites, c’est là que cela pose problème, que cela devient une pathologie de l’idéal, un don de soi mal compris, comme dit Pascal Ide. Jean-Michel Longneaux, lui, va même plus loin.

Il évoque un désir de toute-puissance quasi-infantile qui nous pousse à faire preuve en toutes circonstances de force et de courage pour rendre les autres heureux, à tout supporter avec sang-froid, à répondre à toutes les demandes et résoudre toutes les difficultés.

Le tout en étant bien sûr irréprochables, certainement dans un métier qui engage la santé des femmes et des bébés, en étant bien sûr toujours au taquet. Avec de préférence un minimum de reconnaissance de la part de notre environnement, même si nous ne sommes pas toujours conscientes de cette demande émotionnelle.

Une reconnaissance qui n’est d’ailleurs pas toujours au rendez-vous, y compris au niveau matériel.  

S’ajoute à cela que nous vivons dans monde où nous avons l’illusion d’avoir pris le contrôle sur tout, où tout serait possible, sans limites. Du coup, nous avons cette attente impérieuse que la vie nous obéisse, selon des règles d’ordre que nous avons décidées.

Même si récemment, on a pu se rendre compte que ça ne fonctionne pas tout à fait ainsi. Comme le dit si bien Eloi Laurent dans son ouvrage Et si la santé guidait le monde, les lois du grand foyer naturel finissent toujours par s'imposer aux règles du petit foyer humain. 

Amère désillusion donc: la vie, c’est un certain chaos imprévisible.

Et plus on est monté haut dans l’idéal, plus la chute fait mal, dit Pascal Ide. JM Longneaux parle carrément d’une bulle spéculative qui se crashe et qui nous rappelle notre finitude, nos limites, notre mortalité tout simplement. Il faut dire qu’avec l’avènement du progrès, on a un brin oublié que nous étions mortels et limités. On a cru qu’on échappait à cette loi-là aussi. 

Pourtant, observez un peu de près un truc tout simple, du basique de chez basique: la respiration. Quand on a inspire, il faut bien s’arrêter à un moment, il va bien falloir expirer à un moment, ne serait-ce que pour pouvoir prendre une nouvelle inspiration.

Il est donc très vivant et vital d’avoir des phases d’activité, de créativité, d’action, de don, de lien qui vont alterner avec des phases de ralentissement, de repli sur soi, de digestion, de repos, de confrontation à notre solitude essentielle. 

Or la phase d’action, d’inspiration est la seule valorisée dans notre société, la seule monétarisée.

Petite parenthèse à deux sous comme je les aime: Je ne sais même plus si c’est vraiment une caricature lorsqu’on dit que nous ne sommes plus que des moyens de production quand, et je cite à nouveau Eloi Laurent, “le nombre d’actes et de patients s’impose comme une boussole en lieu et place du temps et de la qualité du soin”. C’est la monétarisation du vivant. Et ça, ça l’épuise, le vivant. Fin de ma petite parenthèse. 

 

Alors, pourquoi au fond est-ce donc si difficile de lâcher ce fichu mode de fonctionnement qui nous brûle de l’intérieur?

 

Je trouve bien intéressante la piste proposée par notre philosophe du jour. Peut-être bien parce que d’abord, c’est agréable de sentir cette énergie de la toute-puissance, aussi illusoire soit-elle.

Se shooter à l’adrénaline et l’ocytocine d’une naissance, se shooter à la reconnaissance des parents, cela permet de survivre à la banalité apparente de notre vie quotidienne, aux limites très humaines de notre propre personne, au décalage entre nos valeurs personnelles et celles de la société, à la peur d’un avenir incertain, cela peut donner l’impression de servir à quelque chose, d’aider à changer le monde.

On en vient ainsi à la deuxième facette du problème. Non seulement, nous sommes accro à cette illusion, mais en plus tout notre environnement concourt à ce que surtout, nous ne changions pas, que ce soit la société en général, les employeurs, les collègues, les patientes, les exigences d’hyperdisponibilité, hyperconnectivité, d’hyperperformance, la pression administrative croissante, nos croyances économiques. 

Et dès que nous osons reconnaître nos limites, nous passons pour faibles à nos propres yeux, aux yeux de nos pairs et du monde, lorsque nous osons poser des limites, nous avons peur de ne plus être un membre utile à la communauté, avec un sentiment de honte et d’isolement, une peur du rejet. 

C’est ce dont témoignent mes collègues en burn-out: à quoi je sers si je ne travaille plus, si je ne suis plus au service? C’est qu’en réalité, notre finalité humaine, qui est de vivre et de s’accomplir humainement est rabaissée à un objectif de rentabilité, comme l’affirme JMichel Longneaux.

C’est donc tout notre système de valeurs et de croyances qui peut être remis en question si nous voulons surmonter ce fléau. Une personne existe comme une fin en soi et non pas comme un moyen que telle ou telle volonté peut utiliser à son gré, disait déjà Kant à l’époque. Dites, en passant, vous croyez que la philosophie, ça se monétarise aussi? 

 On se trouve donc coincé entre notre difficulté à lâcher notre illusion de toute-puissance et un système qui surtout ne veut pas qu’on change, même si on va droit dans le mur. 

Et puis là, dans ma tête, j’ai entendu Cédric me dire: et on fait quoi concrètement?

Et puis là, toujours dans cette caboche un peu cabossée, il y a eu comme un déclic parce qu’en réalité, au fur et à mesure que je relisais ma petite bafouille du jour, je prenais conscience à quel point je m’enferrais dans mon propre élan trop idéaliste, dans mon propre désir de trop bien faire, d’être à la hauteur et irréprochable, à quel point je me coinçais dans cet idéal de changer la naissance pour changer le monde à ma mesure et sans mesures à la fois. Bref, je me suis rendu compte que j’étais totalement arrivée au bout de mon inspiration et qu’il était grand temps d’expirer un bon coup. 

Alors très concrètement, j’ai fermé mon ordinateur, mes articles, mes bouquins, j’ai bazardé mes références savantes et mes données statistiques et je me suis prise dans les bras. Avec beaucoup de douceur et de bienveillance. Et je me suis foutu la paix. Du mieux, que j’ai pu, j’ai fait la paix avec ma déception de n’être que moi, avec mes limites, mes imperfections et mes aveuglements. Je me suis dit que peut-être bien, je pouvais me traiter comme une amie, avec tendresse, humour et une solide dose d’autodérision. J’ai fait la paix avec ma colère devant l’injustice et la violence du monde, avec mon impatience devant la lenteur des changements. J’ai fait la paix avec ma peur de faillir, de décevoir. J’ai fait la paix avec le fait que c’était très difficile de faire la paix et de lâcher l’affaire… et alors doucement, l’inspiration est revenue. Et avec elle toute ma gratitude, pour vous, pour cet espace d’expression, toute ma gratitude pour ceux et celles qui chaque jour œuvrent à un monde meilleur. Et avec elle, mon souhait à toutes les personnes qui prennent soin des autres de prendre soin d'elles.-mêmes Elles sont infiniment précieuses tels qu'elles sont. Ni plus ni moins. 

 

 A lire

 

Ide, P., Le burn-out, une maladie du don, Quasars Editions, 2015, 192 p. 

Laurent, E., Et si la santé guidait le monde, Ed. Les liens qui libèrent, 2020, 183 p. 

 

Tendances Première : Les Tribus

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