Ecologie

Réchauffement climatique : de la nécessité d’une remise en question de notre société et de "courage politique", selon J-P van Ypersele

Par Kevin Dero, sur base d'une interview de Sophie Brems

Le pic de chaleur extrême sera donc attendu ce mardi sur la Belgique et l’Europe en général. Et certaines régions les plus touchées ne sont pas celles que l’on aurait imaginées… Ainsi, le Royaume-Uni est en alerte rouge pour la première fois de son histoire, tout comme la Bretagne en France.

L’éminent climatologue Jean-Pascal Van Ypersele, membre du GIEC, était l’invité de Sophie Brems en radio ce matin. Et la journaliste de lui poser la question tout de go : des régions comme la Normandie ou chez nous, la Bretagne… étaient considérées plutôt comme des havres de fraîcheur. Sont-elles en train de devenir une espèce de "Côte d’Azur de l’Ouest" ?

"Je vous laisse la responsabilité de votre expression" sourit Jean-Pascal van Ypersele. "Mais c’est vrai que personne n’est à l’abri du réchauffement et l’Europe de l’Ouest non plus. La différence avec des situations précédentes – comme celles qui se passaient parfois il y a des dizaines d’années, et certains se souviennent aussi de la terrible sécheresse de 1976, par exemple —, c’est qu’à ce moment-là, on avait une Europe qui était très chaude, mais le reste du monde qui ne l’était pas tant. Tandis qu’aujourd’hui l’Europe ne fait pas exception, il y a en ce moment d’autres régions du monde où il fait très chaud aussi".

L’explication à cette vague torride en Europe est aussi météorologique. C’est que nous avons pour le moment ce qu’on appelle "une goutte froide". Il s’agit d’une poche d’air froid qui, par rotation, fait remonter de l’air très très chaud. Ça arrive. Est-il vrai que le phénomène deviendrait de plus en plus fréquent, de plus en plus intense ? "effectivement", acquiesce le climatologue.


A lire aussi : Jean-Pascal van Ypersele : "Il est possible de protéger le climat, l’environnement, la biodiversité, tout en vivant mieux"


"On a d’une part cette goutte froide au large de l’Espagne et du Portugal qui fait remonter de l’air très chaud qui vient d’Afrique du Nord et du sud de l’Europe, mais c’est de l’air chaud qui vient se rajouter à une situation atmosphérique où on a un anticyclone assez fort qui est centré sur l’Europe de l’Ouest et à l’ouest du Royaume-Uni. Et c’est la combinaison des deux qui donne cette chaleur si importante parce qu’on sait quand il y a un anticyclone qui est stationné à un endroit donné. Mais c’est une période sans nuages avec le soleil qui donne à plein pour chauffer ce qui est en dessous. Et la combinaison des deux, donc l’apport de chaleur par le sud et le dôme de chaleur associé à l’anticyclone fait qu’il fait très chaud" explique-t-il. "Ce sont des situations qui vont devenir de plus en plus fréquentes, malheureusement, avec le réchauffement du climat".

 

Reportage JT du 18 juillet à Tournai :

Adaptation nécessaire

Sophie Brems de demander au climatologue, membre du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), quoi faire à présent. "Dans le dernier rapport du GIEC sorti en février dernier, vous aviez mentionné que le monde devait maintenant s’adapter aux vagues de chaleur, aux pénuries d’eau, aux inondations. La machine est enclenchée, c’est irréversible ?"

"Il faut certainement s’adapter, mais sans cesser un instant d’essayer de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Parce que si on ne le fait pas à un moment donné, l’adaptation ne deviendra plus possible ou sera extrêmement difficile. On ne peut pas s’adapter à tout, mais c’est sûr qu’il faut tout faire pour faciliter le travail de ceux qui travaillent dehors, par exemple les agriculteurs, les personnes qui travaillent sur les voies publiques, etc., et dont les conditions de travail sont rendues très difficiles par le réchauffement. Ce sont les personnes âgées dont on sait bien qu’on doit les protéger particulièrement, c’est l’importance de l’hydratation".

 

Des villes à modifier

Jean-Pascal van Ypersele de mettre aussi l’accent sur l’urbanisme. "C’est la conception des villes aussi, de manière que les îlots de chaleur qui aggravent la situation soient maîtrisés. Il faut rendre le plus grand nombre possible de surfaces blanches, par exemple, avec des toits davantage blancs que noires ou que sombres, de manière à renvoyer l’énergie solaire vers l’espace".

Toute une série de choses est possible pour s’adapter, mais, insiste le scientifique : "il ne faut surtout pas arrêter les efforts pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre, sinon on ne pourra plus s’adapter au climat qui devient trop chaud".

Mortelles canicules

Limiter les émissions polluantes et s’adapter, voilà la clef. Mais si la situation est plus que jamais à l’urgence, l’action politique, elle, semble lente à prendre des décisions fortes…

Il y a encore beaucoup de boulot à faire pour que de véritables mesures d’adaptation protègent les populations chez nous

"C’est toujours très frustrant. Elle ne suit pas aussi bien dans le domaine de la prévention par la diminution des émissions que dans le domaine de l’adaptation. Je n’en prendrai pour preuve que le fait que la terrible canicule de l’été 2003 a tué en Belgique 1200 personnes et que celle de l’été 2020, juste un an avant les terribles inondations de l’an dernier, a tué 1400, 200 de plus en Belgique, malgré les mesures d’adaptation. Donc, ça montre qu’il y a encore beaucoup de boulot à faire pour que de véritables mesures d’adaptation protègent les populations chez nous".

Comment s’adapter ?

On doit donc bâtir autrement. Mais s’adapter va aussi de pair avec un profond changement du système. Les villes, les sources d’énergie… Mais aussi nos forêts. On ne devrait plus planter de pins en Gironde, département actuellement ravagé par les flammes ? "Il faudrait surtout planter des arbres dans les villes et végétaliser un maximum de surfaces. Je ne dis pas qu’il faut plus planter de pins en Gironde, mais il y a certainement du travail à faire du côté de la gestion des forêts. On peut gérer les forêts de manière à diminuer quelque peu le risque d’incendie de forêt" analyse Jean-Pascal van Ypersele.

 

Incendies difficiles à maîtriser aussi en Espagne (sujet JT du lundi 18 juillet)

"Courage politique"

Une adaptation qui ne fera malgré tout que limiter le problème du réchauffement de la planète "dans une certaine mesure". "On ne fait que diminuer une partie du risque et on ne fait que le diminuer, mais on ne le supprime pas. C’est pour ça qu’il est si important de combiner mesures d’adaptation et mesures de réduction d’émissions de gaz à effet de serre" redit le professeur de l’UCLouvain. Quant aux rapports du GIEC et aux pistes qu’ils proposent "ce qu’il faut, c’est les lire, les mettre en œuvre, se mettre autour d’une table" enjoint-il.

On prête trop peu d’attention à la nécessité véritablement de remettre en question l’ensemble de notre manière de nous développer et la manière d’exploiter les ressources, de construire les villes, de nous déplacer, de nous alimenter.

Les décideurs, eux, ont ainsi reçu ce fameux dernier rapport. Les suites ont été décevantes pour le scientifique : "La suite est trop peu ambitieuse. On prête trop peu d’attention à la nécessité véritablement de remettre en question l’ensemble de notre manière de nous développer et la manière d’exploiter les ressources, de construire les villes, de nous déplacer, de nous alimenter. C’est tout ça qu’il faut revoir et ça demande du courage politique. Et c’est ça qui manque quelque part".

Se retrousser les manches, il faudra donc le faire plus que jamais dans un avenir proche.

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