Le Premier ministre français a annoncé jeudi que la France "défendrait au niveau européen" l'interdiction des OGM, si leur dangerosité était prouvée. A l'origine, une étude scientifique publiée dans la revue américaine Food and Chemical Toxicology et reprise par Le Nouvel Observateur.
Menée sur des rats par Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'université de Caen, elle prouverait l'extrême dangerosité des OGM : les rats nourris avec des OGM meurent beaucoup plus vite que ceux nourris sans OGM. Ils ont en outre souffert de lourdes pathologies et notamment des tumeurs.
"L'indépendance" de l'étude remise en question
Seulement voilà, les résultats de l'étude sont depuis mercredi sous le feu des critiques. D'abord, dans la publication américaine, les auteurs remercient le CRIIGEN, soit le Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le génie Génétique.
Or d'après le blog de Michel Alberganti, journaliste scientifique et producteur de l'émission Science Publique sur France Culture, le CRIIGEN, qui se présente comme "apolitique et non-militant d’expertise, de conseil, indépendant des producteurs d’OGM", n'en est pas moins militant. Le comité combat ouvertement les OGM dans l'agriculture. Le président du comité scientifique du CRIIGEN n'est d'ailleurs personne d'autre que Gilles-Eric Séralini, l'auteur de l'étude.
"Bien entendu, l'objectivité scientifique n'existe pas", avance l'auteur dans un article nuancé qui prend du recul sur l'étude. Michel Alberganti prend néanmoins le temps de noter que la parution de l'article du Nouvel Observateur intervient juste avant la sortie du livre de Gilles-Eric Séralini, du film adapté de ce livre et d'un autre ouvrage signé Corinne Lepage, elle aussi membre du CRIIGEN, en faveur de nouvelles études sur les OGM.
Les scientifiques sceptiques
Le directeur du département des sciences nutritionnelles au King's College de Londres, Tom Sanders a tenu à rappeler que la race de rat utilisée dans l'étude était "particulièrement sujette aux tumeurs mammaires lorsque les ingestions de nourriture ne sont pas contrôlées".
Une attaque un peu plus virulente vient de l'Association Française des Biotechnologies Végétales (AFBV). Elle tacle la nouveauté mise en avant par l'étude : ce serait la première fois qu'une étude portant sur les effets des OGM est menée pendant deux ans, au lieu des trois mois habituels.
Pourtant, d'après l'AFBV, "contrairement à ce qui est affirmé, la dernière étude du CRIIGEN n’est pas la première à avoir évalué les effets à long terme des OGM sur la santé. Il existe en effet de nombreuses études toxicologiques qui ont évalué les effets à long terme des OGM sur la santé des animaux".
L'AFBV affirme que ces autres études "n’ont jamais révélé d’effets toxiques des OGM".
Des critiques pas vraiment neutres
Mais, si on admet que Gilles-Henri Séralini n'est pas indépendant et milite contre les OGM, la question doit aussi être posée à propos de ses critiques.
Le HuffingtonPost rappelle que "l'AFBV réunit des scientifiques et des experts... ouvertement favorables aux OGM". D'après le site d'information, l'association a adressé pendant la campagne présidentielle une lettre ouverte aux candidats, où elle demandait "l'autorisation de procéder à des "essais de cultures de plantes génétiquement modifiées dans les champs à des fins de recherche"".
En 2001, l'AFBV a été condamnée pour avoir diffamé Gilles-Eric Séralini, alors qu'il travaillait sur "les maïs transgéniques de Monsanto, remettant en cause leur innocuité. Leur parole est donc à prendre avec des pincettes", conclut le site.
De son côté, Monsanto joue la carte de la prudence. La firme a ainsi déclaré qu'il était "trop tôt" pour prendre position sur l'étude. "Il faut évaluer la publication. Dès qu'elle sera disponible, nos experts se pencheront dessus pour l'évaluer scientifiquement."
Cécile Andrzejewski