La couleur des idées

Raphaël Enthoven : « Rien n’est plus facile qu’être radical parce que ça permet le désengagement »

Le philosophe Raphaël Enthoven

© DR

Par Tania Markovic via

Ce samedi dans la Couleur des Idées, Simon Brunfaut reçoit le philosophe, essayiste et écrivain Raphaël Enthoven pour son nouveau récit, "Krasnaïa", paru aux éditions de l’Observatoire. Une fable animalière dans laquelle l’auteur revisite "La Ferme des animaux", le célèbre roman de George Orwell, à la différence que là où Orwell présentait une satire du totalitarisme soviétique, Raphaël Enthoven s’attaque quant à lui aux "despotismes sournois" qu’évoque Tocqueville, à l’œuvre, selon lui, au sein même de nos démocraties.

Il y épingle les travers de nos sociétés "hyperdémocratiques" en abordant en filigrane les thèmes de la "cancel culture", du "racialisme antiraciste", du "wokisme", mais aussi les phénomènes de meutes sur les réseaux sociaux. Le résultat est un livre qui se trouve au carrefour de plusieurs genres : entre l’essai philosophique et le thriller, le récit animalier jubilatoire et la fable politique. "Krasnaïa" contient tout un bestiaire. On y croise des hirondelles, un chat, des hermines, des renards, un loup, un ours, un âne, une taupe, un cheval ou encore un boa… Sous les pelages et sous les plumes, on croit reconnaître des figures bien connues de la scène politique française. Mais au-delà de cet aspect, c’est surtout les idéologies identitaires de notre époque que Raphaël Enthoven s’amuse à mettre en scène, ce qu’il nomme, par exemple, le "femellisme" (féminisme), l’ "albinisme"(antiracisme), l’animalisme (nationalisme, voire suprémacisme), le "fraterno-ragisme" (islamo-gauchisme) ou encore le "plusfortisme" et le "totalisme". Malgré ces thèmes pas forcément réjouissants au premier abord, "Kraisnaïa" est un récit très drôle. Raphaël Enthoven nous a confié avoir éprouvé beaucoup de plaisir à l’écrire, citant son "vieux maître" au passage, le philosophe Lucien Jerphagnon décédé en 2011 qui lui disait :

Raphaël, vous pouvez faire ce que vous voulez quand vous dites la vérité, vous pouvez dire n’importe quoi mais, et surtout, vous n’avez pas le droit d’emmerder un lecteur qui ne vous a rien fait ! C’est une civilité essentielle.

« Avec les animaux, j’ai voulu instruire les hommes » – La Fontaine

Raphaël Enthoven explique que la figure des animaux s’est imposée à lui. La lecture des Fables de la Fontaine, du texte d’Orwell ou encore les films d’animations d’Hayao Miyazaki comme Princesse Mononoké (qui met en scène une princesse vivant dans la forêt avec les loups parmi lesquels elle a grandi) ont formé comme une "pelote" le poussant à choisir la forme du récit animalier dont il a découvert par la suite une de ses vertus collatérales qu’il exprime ainsi :

Quand vous parlez d’animaux, vous pouvez tout dire, vous pouvez tout montrer, on ne vous reprochera pas de montrer de la pornographie, de la fornication, de la violence, des meurtres, et cetera, parce que ce sont des animaux, de sorte que l’animalité est aussi le cache-sexe de l’impudeur.

Dans "Krasnaïa", à la suite de l’explosion d’une centrale nucléaire, les humains s’exilent, abandonnant un terrain aux pattes et aux griffes des bêtes, l’occasion de faire "table rase" du passé ! Les animaux s’organisent alors en communauté plus ou moins égalitaire, élisant un "animat". Aux prémices de ce nouveau monde, la discussion est absolument essentielle, devant permettre de rendre possible la cohabitation entre carnivores et herbivores, d’ "organiser les différends".  Mais au fur et à mesure que le temps passe, les animaux sont mués du désir de "brailler leurs opinions" …  Raphaël Enthoven effectue un rapprochement avec notre monde contemporain où règne sur les réseaux sociaux ce que Tocqueville appelle "la tyrannie de la majorité". Le philosophe pointe une contradiction : "La démocratie fait grand cas du débat et pourtant elle le menace en permanence". Ces mêmes "huiles politiques" qui se présentent comme défenseurs de la démocratie l’empêchent en s’invectivant sur les plateaux télévisés, ne permettant pas à autrui de s’exprimer s’il n’est pas du même avis. Seul ce que l’on croit est perçu comme vérité. Raphaël Enthoven nous invite à "penser contre nous-même" car "apprendre à penser contre soi-même, c’est défendre la liberté". Et de mettre en garde :

Rien n’est plus facile qu’être radical parce que ça permet le désengagement. 

 

Un entretien mené par Simon Brunfaut à écouter ci-dessous ce samedi 12 février dès 11 heures.

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