Politique

Qui sont les députés francophones du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui voyagent le plus et leurs missions sont-elles justifiées ?

Photo de la page Facebook de l’APF internationale prise lors de la 44e session de l’APF à Québec en juillet 2018

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Par Aubry Touriel

Ce mercredi, le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (PFWB) organise une conférence-débat sur la diplomatie parlementaire. Avec près de 200 missions en huit ans, cette assemblée est particulièrement active en diplomatie parlementaire. Qui sont les députés qui voyagent le plus et leurs missions sont-elles justifiées ?


L’essentiel

  • Les députés francophones sont partis 342 fois à l’étranger dans le cadre de 196 missions parlementaires pour le PFWB ou l’APF depuis 2014. Cela représente environ 42 voyages par an.
  • Philippe Courard (PS), Jean-Charles Luperto (PS) et Jean-Paul Wahl (MR) sont les députés qui voyagent le plus. Les voyages des parlementaires et du greffier du PFWB sont sous-estimés étant donné que les rapports d’activité ne sont pas exhaustifs.
  • Les députés du PFWB participent à des missions d’observation électorale alors qu’ils ne sont pas experts. Ils sont aussi présents à des réunions où ils ne sont pas censés être.
  • Pour ne pas s’exposer aux critiques médiatiques, plusieurs députés et fonctionnaires ont annulé leur présence au dernier bureau de l’APF à Papeete en Polynésie française.

Selon notre enquête, les députés francophones sont partis 342 fois à l’étranger depuis mai 2014. Et ce, dans le cadre de 196 missions pour l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) ou d’autres missions internationales du PFWB. En tenant compte d’une pause Covid d’une petite année, cela représente environ 42 voyages par an.

Le député Philippe Courard (PS) arrive loin devant avec 69 missions recensées. Président de la Communauté française entre 2014 et 2019 mais également rapporteur de la commission politique de l’APF depuis 2015, le mandataire socialiste a passé au total 257 jours à l’étranger depuis 2014.

Jean-Charles Luperto (PS) arrive en deuxième position avec 49 missions qui ont duré 175 jours en tout. Il était le prédécesseur de Philippe Courard à la présidence du PFWB. Entre 2014 et 2019, il exerçait la fonction de vice-président au siège de l’APF. Il a ensuite échangé son poste avec celui de Jean-Paul Wahl pour devenir Chargé Mission Europe de l’APF. Jean Charles-Luperto a refusé de répondre à nos questions face caméra.

Retrouvez la liste des parlementaires et des fonctionnaires qui ont le plus voyagé pour des missions de diplomatie parlementaires à l’étranger :

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La majorité des membres de la section belge de l’APF occupent une fonction au sein des commissions de l’APF. On peut citer le cas de Philippe Courard : rapporteur de la commission politique depuis 2014. De son côté, René Collin (les Engagés) est vice-président de la Commission de l’éducation, de la communication et des affaires culturelles (CECAC). Françoise Schepmans (MR) est quant à elle première vice-présidente du Réseau des femmes.

Comme membre de ces commissions, les députés francophones sont invités systématiquement à différentes réunions chaque année. Ces commissions se réunissent deux à trois fois par an. Le bureau de l’APF est convoqué au minimum deux fois par an, sans parler de l’Assemblée générale. Un poste dans une commission de l’APF est donc souvent synonyme de quelques missions à l’étranger par an.

Nombre de missions sous-estimé

Bien qu’il ne soit pas parlementaire, Xavier Baeselen a au moins participé à 41 missions depuis 2014. Greffier du PFWB, il accompagne régulièrement les présidents de son assemblée en mission.

Étant donné son statut de fonctionnaire, il ne figure pas systématiquement dans les rapports, ce qui ne nous a pas permis de répertorier ses missions de manière exhaustive. Contacté par nos soins, il refuse de s’exprimer face caméra. Il ne souhaite pas non plus communiquer la liste des missions qu’il a effectuées en tant que greffier : "Nous ne communiquons pas de listing des missions ou réunions de travail effectués par des travailleurs-fonctionnaires."

Par ailleurs, il occupe également la fonction de secrétaire général administratif adjoint au siège de l’APF : "En cette qualité, je participe à des réunions de travail au siège de l’APF à Paris." Il participe aussi très régulièrement aux bureaux de l’APF internationale.

À la 5e position de notre recensement, on retrouve un autre fonctionnaire du PFWB détaché au siège de l’APF internationale à Paris.

1. Philippe Courard : 257 jours de mission

Même si la grande majorité des missions à l’étranger se déroulent dans le cadre de l’APF, les députés du PFWB peuvent aussi voyager pour d’autres assemblées interparlementaires, comme la Conférence des assemblées législatives des régions d’Europe (CALRE) ou le Conseil parlementaire interrégional.

Andorre, Madagascar, les Açores, le Cap Vert… En un peu plus d’un mois, Philippe Courard a par exemple cumulé 20 jours de missions à l’étranger en novembre 2018.

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Selon l’intéressé, ces voyages sont justifiés : "C’est mon travail. Je ne suis pas allé en vacances. Ce sont des réunions internationales qui se justifient. La plupart font l’objet de rapports, d’autres de rapports confidentiels. Je suis allé présider les élections à Madagascar. C’est quand même un élément important et il y a peu de Belges qui ont eu cette chance-là."

Quand Philippe Courard apprend qu’il est le parlementaire qui voyage le plus, il répond : "Je suis très fier de remplir des obligations internationales au nom de mon pays, au nom de mon parlement ou de la Francophonie, chaque fois de manière justifiée, chaque fois de manière transparente."

Philippe Courard: "Je suis très fier de remplir des obligations internationales au nom de mon pays"

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Voyages en temps de Covid

Alors que la Belgique était en niveau 4 d’alerte Covid en octobre 2020, Philippe Courard participait à "une mission de haut niveau" menée par l’OIF au Mali afin de rencontrer les représentants du gouvernement de transition. Il est resté sur place du 12 au 18 octobre. Le 23 octobre, il a participé à une mission de quatre jours à Ouagadougou (Burkina Faso). Objectif ? Signer un accord de partenariat de coopération entre le Comité interparlementaire des pays du G5 Sahel et l’Assemblée parlementaire de la Francophonie.

L’intéressé réagit : "Quand la situation l’impose, qu’il y a un coup d’Etat, qu’il y a une mission qui est diligentée par la secrétaire générale de l’OIF pour aller voir comment la situation évolue, pour éventuellement préparer un voyage. Le monde continue à fonctionner. Il faut évidemment prendre ses précautions, il faut se faire vacciner, il faut passer les tests, ce qui a été fait là-bas et ici, mais on doit continuer, évidemment la discussion et le dialogue. Et ce n’est pas par une visioconférence qu’on règle des problèmes."

De plus en plus de groupes d’entente

En parallèle des missions diplomatiques multilatérales, le Parlement de la Communauté française peut aussi nouer des relations bilatérales sous la forme de comités mixtes ou de groupes d’entente.

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Tunisie, Cambodge, Côte d’Ivoire, Madagascar, Ontario, Cap-Vert… Sous la présidence de Philippe Courard, le nombre de groupes d’entente avec d’autres assemblées parlementaires est passé de un à sept. Et chaque entente est synonyme de signature d’un mémorandum et donc d’une mission pour la préparation de cet accord.

C’est ainsi qu’une délégation constituée de quatre représentants de couleurs politiques différentes et du greffier s’est rendue quatre jours à Tunis pour signer le mémorandum d’entente avec l’Assemblée des représentants du peuple. Christos Doulkeridis (Ecolo), Hamza Fassi Fihri (cdH), Philippe Courard (PS), Valérie Du Bue (MR) composaient la délégation.

Ces groupes d’entente mis sur pied lors de la précédente législature ne sont plus très actifs. A part avec le groupe d’entente du Cambodge, il n’y a plus eu aucune rencontre entre le PFWB et les autres délégations dans le cadre de ces ententes depuis 2020.

Philippe Courard relativise : "Il ne s’agit que de 7 pays sur 90 dans la Francophonie. Ça ne débouche pas systématiquement par la suite sur des missions. Parfois, nous sommes en difficulté comme c’est le cas avec la Tunisie. Ça se fait en fonction de la volonté des assemblées, des présidents d’assemblée, etc. C’est à géométrie variable, mais pour moi c’est important : ça fait partie de l’ouverture que doivent avoir les parlementaires par rapport à leur mission."

Philippe Courard: "Les groupes d'entente ne débouchent pas systématiquement par la suite sur des missions"

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Pour les comités mixtes, les délégations partenaires sont censées s’inviter à tour de rôle chaque année. "La volonté, c’est d’aboutir sur des échanges parlementaires avec des parlementaires qui proposent des éléments de discussion, des éléments législatifs de part et d’autre pour faire avancer les choses", explique Philippe Courard.

En octobre 2019, une délégation belge composée de Matthieu Daele (Ecolo), Olivier Maroy (MR), Philippe Courard (PS), Xavier Baeselen (greffier) est par exemple partie cinq jours au Québec pour aborder trois thématiques :

  • Actualité politique et parlementaire
  • Liberté de presse et protection des sources
  • Trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH)

Avant 2015, ces réunions de comité mixte aboutissaient systématiquement à une résolution commune des deux assemblées. Depuis, plus aucun document parlementaire ne figure sur le site du PFWB à la suite de ces rencontres.

"Expert" en mission d’observation électorale ?

Parmi les différentes missions de diplomatie, l’APF se joint aussi à son pendant gouvernemental, l’OIF, depuis quelques années pour prendre part à des missions d’observation électorale. Et la section belge a déjà eu plusieurs fois l’occasion d’y participer.

Quelques mois après son entrée en fonction, le président de section belge de l’APF, Matthieu Daele, s’est par exemple rendu sept jours à l’occasion du second tour de l’élection présidentielle tunisienne : "Un parlementaire a l’habitude et la connaissance du fonctionnement électoral dans son pays et cela lui permet d’avoir aussi des observations qui peuvent être précises. Et donc à ce titre, j’ai posé ma candidature lorsqu’il y a eu un appel à candidature pour pouvoir participer à la mission d’observation de l’élection présidentielle et l’APF a jugé que mon profil était intéressant pour pouvoir avoir un apport."

Jean-Paul Wahl assure qu’on n’a pas d’expérience quand on se lance dans sa première mission d’observation :"La première fois qu’on fait une mission, on ne l’a pas, mais on essaie d’avoir des parlementaires qui ont déjà une expérience. Il y a aussi un problème de disponibilité : ça se passe parfois dans des délais extrêmement stricts. On essaie non seulement d’avoir des personnes d’expérience, mais avec les élections, ça se renouvelle et donc il faut former en permanence de nouveaux observateurs."

Jean-Paul Wahl: "On n'a pas d'expérience lors de la première mission d'observation électorale"

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Présence "exceptionnelle" aux bureaux

Les 28 et 29 janvier 2020, le Bureau de l’APF s’est réuni à Dakar et des membres de la délégation belge y étaient présents. Que ce soit dans le rapport d’activité du PFWB ou dans le rapport de la section belge, la mission est rapportée, mais on ne retrouve aucune trace du nom des participants.

Pour en savoir plus, nous avons consulté la page Facebook de l’APF. Il s’avère que trois représentants politiques belges se sont rendus à Dakar : Rudy Demotte (président du PFWB), Jean-Charles Luperto (Chargé mission Europe) et Matthieu Daele (président de la section belge de l’APF).

Dakar, Libreville, Kigali… Matthieu Daele était présent à tous les bureaux de l’APF. Pourtant, les statuts de l’APF prévoient : "Le Bureau peut également, et à titre exceptionnel, associer à ses réunions les Présidents de sections non représentées en son sein ou les chefs de délégation, avec voix consultative et sous forme de Bureau élargi".

Le député écologiste justifie sa présence aux bureaux par l’implication financière de la Belgique dans le Programme d’action de coopération : "Les bureaux déterminent quelles seront ces actions de coopération. Et à ce titre-là, la section belge qui participe vraiment de manière importante à ces programmes, est donc invitée. C’est l’endroit où on en décide et on a un apport particulier. Donc, effectivement, en tant que président de section, je suis amené à pouvoir donner l’avis de la section belge sur ce programme auquel elle participe énormément."

Matthieu Daele: "Je suis amené à pouvoir donner l'avis de la section belge au bureau de l'APF"

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"Les déplacements de parlementaires font l’objet de légitimes interrogations."

Dans le procès-verbal du bureau de la section belge de l’APF du 10 janvier 2023, on lit que Matthieu Daele était "mandaté" afin de se rendre à Papeete en Polynésie française le 30 janvier 2023 "pour proposer la candidature de Bruxelles comme lieu de bureau" pour 2024.

Une semaine après cette réunion, La Libre publie un article qui fait état "d’opacité problématique" des missions organisées dans le cadre de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie.

Finalement, seul Jean-Paul Wahl partira en Polynésie française. Sans fonctionnaire. Pourtant, lors des précédents bureaux de l’APF, la délégation belge est généralement composée de 3 à 5 politiques et de 2 à 3 fonctionnaires. Jean-Paul Wahl (vice-président de l’APF), Jean-Charles Luperto (Chargé de mission Europe) et Xavier Baeselen (secrétaire général administratif adjoint de l’APF) sont par ailleurs invités d’office au bureau de par leurs fonctions.

Matthieu Daele justifie son absence pour des raisons privées : "Je ne sais pas si ça apparaît dans l’article de La Libre que vous avez mentionné, mais j’avais dit au journaliste qu’il était dommage que je ne participe pas à cette réunion parce qu’il y a effectivement un apport. Malheureusement, je n’ai pas pu y participer."

Matthieu Daele: "C'est dommage que je n'aie pas pu participer à cette réunion"

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Jean-Paul Wahl évoque quant à lui explicitement la pression médiatique : "J’étais le seul parlementaire, il n’y avait pas de fonctionnaire. Très honnêtement, parce que je pense que les circonstances aussi ne s’y sont pas prêtées. Il y avait aussi un contexte où je pense que certains fonctionnaires n’ont pas voulu être exposés à la critique. […] Les déplacements de parlementaires font l’objet de légitimes interrogations. Et donc moi, j’assume, je l’ai assumé, je vais continuer à assumer. Je ne peux pas forcer un fonctionnaire à l’assumer. D’autant plus qu’il y avait également des problèmes de calendrier pour plusieurs d’entre eux. Ça ne peut plus arriver dans toute la mesure du possible."

Jean-Paul Wahl: "Les déplacements de parlementaires font l'objet de légitimes interrogations."

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Conclusion

Les anciens présidents du PFWB Philippe Courard et Jean-Charles Luperto (PS) sont les mandataires politiques qui ont le plus voyagé depuis 2014. En tant que greffier, Xavier Baeselen les a régulièrement accompagnés. Étant donné son statut de fonctionnaire, il ne figure pas systématiquement dans les rapports et il refuse de communiquer la liste de ses missions en tant que greffier.  

Cumul de fonctions, participation à des missions d’observation électorale sans expérience, création de nombreux groupes d'entente, participation à des réunions où ils ne sont pas censés être en théorie... les missions des députés font l'objet d'interrogations.  

À la suite d'un article dans La Libre, plusieurs députés et fonctionnaires ont annulé leur présence au dernier bureau de l’APF à Papeete en Polynésie française. Jean-Paul Wahl s'est retrouvé seul, sans fonctionnaire. L'absence des autres mandataires et fonctionnaires remet en question l'utilité d'envoyer des délégations aussi nombreuses pour représenter la section belge de l'APF. 

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