Les Etats-Unis réclament l’extradition de Julian Assange pour piratage informatique. Ses proches s’inquiètent pour son état de santé et parlent de torture psychologique. Le procès en extradition de Julian Assange s’ouvre à Londres ce lundi. Pour qui, pour quel idéal se bat réellement le fondateur de WikiLeaks ? Faut-il soutenir celui qui risque la prison à vie aux Etats-Unis ? Le journaliste Olivier Tesquet a mené l’enquête.
Olivier Tesquet est le co-auteur avec Guillaume Ledit de l’essai Dans la tête de Julian Assange (SOLIN/ACTES SUD).
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"Merci à Julian Assange pour cette curieuse et trépidante aventure" écrivent les auteurs en fin d’ouvrage. Julian Assange a en effet accompagné leurs premiers pas professionnels pour le site OVNI. fr, qui traitait des cultures numériques. Ils ont dans ce cadre collaboré avec WikiLeaks à l’époque. Ces premiers émois les ont suivis pendant de longues années. Aujourd’hui, cela fait plus de 10 ans qu’ils travaillent sur le sujet.
"Ce n’est pas une reconnaissance du ventre, parce que le personnage est évidemment plein de facettes et de complexité et qu’il faut le regarder avec la bonne distance. C’est difficile de trouver la bonne distance d’ailleurs par rapport à Julian Assange. Mais ça me semblait assez naturel de le faire figurer de cette manière-là."
Une continuité dans l’action
"Pour nombre d’observateurs, la pensée d’Assange s’est parfois égarée", écrivent les auteurs.
Olivier Tesquet voit une vraie distorsion, une tension, entre son activité du début en 2010, lorsqu’il collaborait, comme journaliste, avec les grands médias internationaux, le New York Times, le Guardian, le Spiegel, le Monde,… pour révéler des secrets d’État, et son activité plus récente, de 2016.
Il était alors reclus dans l’ambassade d’Équateur à Londres, et il a été accusé, pour son activité pendant la campagne américaine de 2016, d’être une agence de renseignement non-gouvernementale, hostile, accusation lancée par les autorités américaines, mais aussi par bon nombre d’observateurs et de médias avec lesquels il avait collaboré. Il a alors été désigné comme un ennemi des États-Unis, pour avoir dit son aversion pour Hillary Clinton, alors Secrétaire d’État. Elle incarne à ses yeux ces réseaux de népotisme, qui affaiblissent le jeu démocratique, et la conspiration comme mode de gouvernement.
Olivier Tesquet voyait donc une vraie rupture entre ces deux facettes de Julian Assange, mais plus le temps passe et plus il voit une forme de continuité, qu’il qualifie de contre-intuitive, dans son action.
Son activité journalistique ou para-journalistique de 2010, qui lui a valu un prix, lui vaut aussi les poursuites actuelles, pour avoir publié des informations de grandes bases de données, de documents confidentiels. Mais la question est de savoir ce qu’il était en 2016, où la situation est bien différente : il y a eu des accusations pour avoir publié des emails piratés du parti démocrate, puis les emails de campagne de John Podesta, emails transmis par le renseignement militaire russe, à travers des identités fictives.
Olivier Tesquet estime paradoxal qu’il soit poursuivi pour son activité journalistique de 2010 et pas pour son activité de parasitage, d’ingérence de 2016.
"Il y a chez Assange cette forme de continuité dans l’action : cette ingérence totale et cette vision très mathématique du monde. Il n’envisage pas le monde sous l’angle du rapport de force politique."
On lui a aussi souvent reproché de ne pas avoir assez protégé ses informateurs, dès les débuts au sein de WikiLeaks, en n’expurgeant pas les documents, en ne retirant pas certains noms, mettant ainsi en danger la vie de soldats américains, d’informateurs sur le terrain, notamment en Irak ou en Afghanistan.
Cela tient à une forme d’absolutisme chez Assange, qui estime que la valeur de l’information réside dans le fait de la publier dans son intégralité.
Faut-il le soutenir ?
Julian Assange n’est pas un personnage sympathique, il ne cherche pas du tout à plaire, il a même toujours tout fait pour se rendre désagréable.
Mais aujourd’hui, il risque 175 ans de prison, pour 18 chefs d’accusation, il est poursuivi pour une activité journalistique, au nom de l’Espionnage Act, ce qui est sans précédent aux Etats-Unis. L’Espionnage Act est un texte qui date de 1917 ; il punit les activités anti-américaines et a beaucoup été utilisé pendant la guerre froide et, ces dernières années, contre les lanceurs d’alerte. On est ici face à une administration qui poursuit quelqu’un qui n’est pas un lanceur d’alerte. En l’occurrence, celle qui a lancé l’alerte, c’est Chelsea Manning, cette analyste de l’armée qui a transmis les documents à WikiLeaks en 2010 : la vidéo d’une bavure américaine en Irak, les rapports de guerre afghans et irakiens, et les télégrammes diplomatiques.
Il y a une impérieuse nécessité à soutenir Julian Assange parce qu’il faut lutter contre l’extension du domaine du secret, affirme Reporters sans frontières.
"Aujourd’hui, s’il est extradé, jugé et condamné, le message envoyé aux journalistes et en particulier aux journalistes d’investigation est que peut-être que demain, ce seront eux qui seront à la place de Julian Assange."
Les journaux qui ont collaboré avec lui et se sont fâchés avec lui commencent d’ailleurs à réagir pour alerter sur les dangers de son extradition. Les rangs se resserrent autour de lui face à ce danger.