Guerre en Ukraine

Qui est Valery Gerasimov, le nouveau commandant russe de l’intervention en Ukraine ?

Le chef d’état-major général des forces armées russes, Valery Gerasimov, assiste à la cérémonie officielle d’accueil du président russe Vladimir Poutine (non vu) au complexe présidentiel à Ankara, en Turquie, le 3 avril 2018.

© 2018 Anadolu Agency

Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choigou, a annoncé ce mardi un nouveau remaniement au sein du commandement des troupes russes. Par communiqué, il a annoncé la désignation d’un nouveau commandant de l'"opération militaire spéciale" en Ukraine. Il s’agit de Valery Gerasimov, un militaire nommé en 2012 chef d’état-major de l’armée russe par Vladimir Poutine. Ce sera le troisième à prendre cette responsabilité en moins d’un an de guerre.

Valery Gerasimov succède à Sergueï Sourovikine qui avait été nommé en octobre dernier pour superviser l’offensive en Ukraine à la suite de contre-offensives des troupes ukrainiennes. Rétrogradé à présent au rang d’adjoint, M. Sourovikine, n’aura donc dirigé les opérations que pendant trois mois.

La raison pour laquelle le ministère russe de la défense a pris la décision de procéder à ce remaniement n’est pas claire. Le communiqué du ministre de la Défense précise seulement que ces changements sont destinés à renforcer l’efficacité des opérations en Ukraine "en lien avec l’ampleur accrue de la tâche" sur le terrain, citant notamment la nécessité d'"organiser des contacts plus étroits entre les différentes branches de l’armée et d’améliorer l’efficacité de la gestion des troupes russes".

Cette nomination intervient dans un contexte tendu avec les cercles du pouvoir russe qui critiquent les revers subis par l’armée sur les lignes de front et l’incapacité de leur pays  à remporter une campagne que le Kremlin imaginait rapide. Deux hommes sont notamment dans le viseur de ces commentateurs russes conservateurs : Sergueï Choigou et Valery Gerasimov.

Il pourrait donc s’agir d’une stratégie offensive pour reprendre la main et répondre directement à leurs détracteurs.

En effet, le général russe sera au premier plan de la guerre en Ukraine et combine à présent le commandement direct de la campagne ukrainienne avec celui d’interlocuteur principal avec les États-Unis sur des questions telles que la "désescalade" militaire, comme l’indique CNN.

Mais qui est Valery Gerasimov ?

De l’école militaire de Kazan au cercle rapproché de Poutine

Valery Gerasimov est né dans la ville de Kazan (à l'est de Moscou), le 8 septembre 1955. Après avoir empoché plusieurs diplômes dans des écoles militaires, il prend le commandement d’un peloton, d’une compagnie et d’un bataillon d’infanterie mécanisée du district militaire d’Extrême-Orient.

Plus tard, il devient chef d’état-major d’un régiment de chars, puis d’une division de fusiliers motorisés dans le district militaire de la Baltique. De 1993 à 1995, il est le commandant de la 144e division de fusiliers motorisés de la Garde dans le district militaire de la Baltique, puis du groupe de forces du Nord-Ouest.

Après avoir obtenu son diplôme de l’Académie d’état-major général, il devient le premier commandant adjoint de l’armée du district militaire de Moscou.

Des nominations qui se succèdent

Pendant la deuxième guerre de Tchétchénie, Valery Gerasimov est commandant de la 58e armée dans le district militaire du Caucase du Nord entre février 2001 et mars 2003.

La BBC estime que durant son passage en Tchétchénie, il a personnellement participé à l’arrestation de Yury Budanov, un colonel de l’armée russe qui a ensuite été condamné pour le meurtre d’une jeune Tchétchène. Cela a conduit la journaliste Anna Politkovskaïa, critique virulente du conflit tchétchène et assassinée en 2006, à le décrire comme "un homme qui a su préserver l’honneur d’un officier" pendant la guerre.

En 2006, il prend le commandement du district militaire de Leningrad. Trois ans plus tard, il est nommé commandant du district militaire de Moscou. Le 23 décembre 2010, il monte encore en grade et devient le chef adjoint de l’état-major général.

En 2012, il est nommé commandant du district militaire central et c’est lui qui est à la tête du défilé annuel du "Jour de la Victoire" sur la Place Rouge entre 2009 et 2012.

Le président russe Vladimir Poutine (R) salue le chef d’état-major général des forces armées Valery Gerasimov (L) lors de la visite du Centre de défense nationale à Moscou, en Russie, le 11 mars 2016.
Le président russe Vladimir Poutine (R) salue le chef d’état-major général des forces armées Valery Gerasimov (L) lors de la visite du Centre de défense nationale à Moscou, en Russie, le 11 mars 2016. © Mikhail Svetlov/Getty Images

Chef d’état-major général

La carrière du militaire prend une dimension supplémentaire quand il est nommé chef d’état-major général après le limogeage du ministre de la Défense Anatoly Serdyukov, le 6 novembre 2012.

Lors de la première guerre d’Ukraine, le Service de sécurité de l’Ukraine, estime que c’était lui le commandant général de tous les éléments des forces russes et des insurgés pro-russes lors de leur victoire stratégique décisive dans la bataille d’Ilovaisk en 2014, lors de laquelle plus de 1000 soldats ukrainiens ont été tués.

En avril 2014, M. Gerasimov est ajouté à la liste des personnalités russes contre lesquelles l’Union européenne a pris des sanctions.

Le 15 septembre 2016, il mène une délégation russe lors d’une rencontre avec le chef d’état-major turc, le général Hulusi Akar, autour de l’avenir de la Syrie au siège des forces armées turques à Ankara.

La "doctrine Gerasimov" de la "guerre hybride"

Valery Gerasimov est aussi soupçonné d’avoir conçu ce qui est appelé la "doctrine Gerasimov". Tirée d’un discours prononcé par le chef d'Etat major russe, celle-ci consisterait à combiner des tactiques militaires, technologiques, informationnelles, diplomatiques, économiques, culturelles et autres pour atteindre des objectifs stratégiques.

La "doctrine Gerasimov" prévoyait que les forces ennemies ne devaient pas être combattues par une confrontation militaire directe, mais affaiblies de l'intérieur, en usant de moyens détournés comme la désinformation, les cyberattaques et les actions ciblées des forces spéciales. Les bases de ce qui est communément appelé une "guerre hybride".

L’auteur du document original, le politologue britannique Mark Galeotti, s’est finalement rétracté. Il a affirmé que sa théorie était tirée d’un discours prononcé par le chef d’état-major russe qui, en raison d’erreurs de traduction, a été interprété à tort par certains observateurs. Ceux-ci y voyait une position stratégique belliqueuse alors qu’il s’agissait d’un discours porteur d’observations générales faites par le Kremlin sur la façon dont il estimait que Washington était impliqué dans plusieurs phénomènes de soulèvements populaires, comme ceux des printemps arabes ou de la place Maidan à Kiev.

À la base de la décision d’envahir l’Ukraine

Selon plusieurs sources, M. Gerasimov a participé à la planification de l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022. Selon ces mêmes sources, dont la BBC, il faisait donc partie du groupe restreint autour de Vladimir Poutine qui a pris la décision d’envahir l’Ukraine en février 2022.

Deux mois plus tôt, il avait émis un avertissement au gouvernement ukrainien contre toute tentative de régler la guerre du Donbass par la force. Il estimait (1), début décembre 2021, que "les informations sur la prétendue invasion imminente de l’Ukraine par la Russie sont un mensonge." Le sexagénaire estimait également que (2) : "Kiev ne respecte pas les accords de Minsk. Les forces armées ukrainiennes se vantent d’avoir commencé à utiliser des systèmes de missiles antichars Javelin fournis par les États-Unis dans le Donbass et d’utiliser également des drones de reconnaissance/de frappe turcs. En conséquence, la situation déjà tendue dans l’est de ce pays se détériore encore davantage."

Le 25 février 2022, moins d’un mois après le début de l’invasion russe en Ukraine, il est ajouté à une liste des ressortissants russes qui empêche toute personne ou entreprise américaine, de commercer avec lui, étant donné qu’il est considéré comme une menace pour la sécurité américaine.

Selon plusieurs sources, il se serait rendu plusieurs fois sur le terrain ukrainien, notamment à Izioum en avril 2022. Il pourrait d’ailleurs avoir été blessé à la jambe droite par un éclat d’obus. Ce que des sources russes ont réfuté.

Une nomination pour tenter d’inverser la tendance sur le terrain

Après le début de la guerre, M. Gerasimov a par ailleurs suscité des interrogations car il a passé plusieurs semaines sans apparaître en public. Il n’a d’ailleurs pas été vu lors du défilé du jour de la Victoire à Moscou l’année dernière, ce qui a donné lieu à des spéculations sur sa position.

De retour au premier plan, il est considéré comme un représentant de l'ancienne garde russe. Et à 67 ans, il aura fort à faire sur le terrain alors que, selon le Guardian, Moscou s’apprête à mobiliser 500.000 recrues supplémentaires pour son "opération spéciale" en Ukraine.

Selon le ministère britannique de la Défense, la nomination de Gerasimov est un signe que "la campagne de la Russie n'atteint pas ses objectifs stratégiques". Combien de temps le Kremlin lui accordera t-il pour tenter d'inverser la tendance ?

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