Après une escale en Espagne, le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane repartira en Arabie Saoudite. En voyage en Occident pour un mois, il aura mené une offensive diplomatique, une véritable opération séduction.
Le prince est passé par Londres, resté trois semaines aux États Unis, passé rapidement par Paris et Madrid. Une tournée particulièrement longue pour celui que l'on surnomme MBS pour Mohammed ben Salmane.
Réformiste au pays de l'islam rigoriste, novice en politique internationale, guerrier. Qui est le prince Mohammed ben Salmane ? L'analyse de Vincent Eiffling, chercheur associé au CECRI, le centre d'études des crises et des conflits internationaux de l'UCL :
Qu'est venu chercher Mohammed ben Salmane en Occident ?
"Toute une série de choses. Premièrement, cette tournée c'est l'occasion pour lui, qui n'est encore, entre guillemets, que prince héritier de se construire une stature internationale, de créer des contacts personnels qui sont importants en diplomatie, c'est également un moyen pour lui de tenter de faire la promotion de sa vision de l'Arabie saoudite d'essayer de dédiaboliser un petit peu cette image négative qu'a l'Arabie saoudite, en disant : 'Voilà, regardez, c'est nous qui sommes le partenaire avec lequel vous devez faire affaires au Moyen-Orient, j'essaie en tant que prince héritier de modifier les rapports de force à l'intérieur du pays, de mettre fin au népotisme, à la corruption, de m'attaquer à l'islam radical, etc. Bref, il veut vraiment donner l'image une Arabie saoudite qui est moderne et sur la voie des progrès socio-économiques".
Le besoin de "sortir de cette économie rentière axée uniquement sur le pétrole"
"Il a besoin de consolider sa relation avec l'Occident pour mener à bien sa politique régionale en matière de politique étrangère. Il a également besoin de consolider sa relation avec l'Occident afin de favoriser les investissements directs étrangers en Arabie saoudite, dont l'économie est encore une économie rentière. Or, il a mis en place un grand plan, qui est le plan Vision 2030 pour l'Arabie saoudite, qui vise justement à sortir de cette économie rentière axée uniquement sur le pétrole".
Sortir de cette dépendance au pétrole, "c'est exactement ça. Et donc, là on a besoin des investissements étrangers, des investissements occidentaux au sens large. Donc pour que les investisseurs veuillent aller mettre leur argent en Arabie saoudite, il faut d'abord que l'Arabie saoudite soit un partenaire qui est fréquentable et qui donne aussi une image de stabilité, car sans stabilité il n'y a pas d'investissement".
Des contrats d'armement ?
"Il y a eu des discussions autour des contrats d'armement. Avec les États unis, il y a eu effectivement des contrats pour plusieurs milliards qui ont été signés. Avec la France, pour l'instant, je n'ai pas encore vu passer cette information. Mais c'est toujours une question sensible, puisque vous savez que l'Arabie saoudite est impliquée dans toute une série de conflits, notamment au Yémen. C'est le conflit le plus médiatisé, c'est la crise humanitaire la plus grave, selon les Nations unies. Il y a aussi les risques de tensions avec l'Iran, enfin les tensions sont déjà bien réelles, mais un risque d'escalade. Or, plus vous vendez d'armes à des pays dans une région crisogène (qui provoque, ou peut provoquer, une crise, ndlr), alors en plus, vous avez un risque d'aboutir à une course à l'armement qui elle-même pourrait bien déboucher sur un conflit".
Une guerre par territoire interposé avec l'Iran ?
"Si, tout à fait, c'est une guerre par territoire interposé avec l'Iran, et il n'y a pas que le Yémen qui est le théâtre de ce type de conflits. Vous avez l'Irak aussi qu'on peut mentionner, même si ce n'est pas avec la même intensité militaire, loin de là, c'est plus sur le plan politique et diplomatique. Mais vous avez également la crise avec le Qatar, vous avez la question libanaise, tout à fait, où la France justement essaie un petit peu de jouer un rôle d'intermédiaire. Il y a toute une série de conflits armés ou de conflits politiques au sein du Moyen-Orient où vous avez vraiment cette rivalité irano-saoudienne qui s'exprime déjà dans les faits".
Les politiques iranienne et saoudienne sont-elles irréconciliables ?
"Pour l'instant, en tout cas, elles ne sont pas du tout conciliables. Il faut bien se rendre compte que ces deux acteurs sont dans une logique de jeu à somme nulle. Ce sont deux pays qui ont un potentiel pour s'affirmer en tant que première puissance régionale de la région. Le problème c'est qu'il n'y a qu'une seule première place. Et donc, ils sont vraiment dans cette logique de confrontation systématique, et tant que les deux acteurs ne choisiront pas simultanément de sortir de cette logique de jeu à somme nulle, il n'y aura absolument aucun espoir de parvenir à une paix durable, une stabilisation du Moyen-Orient".
Une absence d'un mois, un signe de la solidité du pouvoir saoudien ?
"On peut voir les choses comme cela, mais vous savez, même si c'est rare, ce n'est pas forcément tout à fait exceptionnel quand on regarde l'histoire diplomatique des dernières décennies. Ça arrive quand même relativement fréquemment que vous ayez des personnalités importantes dans ce type de régime qui s'éloignent pendant plusieurs semaines pour des tournées auprès des partenaires étrangers, surtout quand on recherche justement à acquérir des contrats, à avoir des investissements en provenance de ces pays-là. Parce qu'on est dans une logique d'opération séduction".
Un prince réformiste pour une politique des petits pas vers un certain modernisme ?
"C'est encore un petit peu trop tôt pour le dire, il ne faut pas oublier quand même qu'il est sérieusement aux affaires uniquement depuis 2015. Quoi qu'il en soit-on ne peut que se féliciter de ces maigres progrès, qui sont encore maigres, il va falloir attendre un petit peu dans la durée pour voir ce qui va en ressortir plus concrètement. Mais d'un autre côté, ces maigres progrès ne doivent pas faire oublier l'ampleur du chantier qui demeure, puisque vous avez encore ce système de tutelle des femmes en Arabie saoudite, elles sont soumises à la tutelle des hommes de leur famille, et tant que ce système ne sera pas abrogé, on ne pourra pas vraiment parler d'égalité".