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Qui est le M23, ce mouvement rebelle qui terrorise l’Est du Congo ?

Des drapeaux de la République démocratique du Congo entourés de cierges à Béni lors d’une veillée commémorative des massacres des 29 et 30 novembre – 131 victimes – attribués au M23.

© Sébastien Kitsa Musayi – AFP

Par Pascal Bustamante

Depuis un an, le mouvement M23 a repris les armes et fait à nouveau régner la terreur au Kivu congolais. Selon le gouvernement congolais, il se serait rendu coupable de massacres de centaines de civils fin novembre, à Kishishe et Bambo, dans la province du Nord-Kivu en République démocratique du Congo. Une enquête préliminaire des Nations-Unies confirme les massacres et reconnaît 131 victimes.

C’est un retour en force de cet acteur qui avait mis un frein à ses actions en 2013. Mais qu’est ce mouvement du M23 ? Quelles sont ses origines ? Nous nous sommes entretenus avec Bob Kabamba, professeur de science politique à l’ULiège, spécialiste de la politique africaine.

Origines du M23

Le courant qui a donné naissance au mouvement M23 plonge ses racines dans une problématique communautaire. Celle des populations rwandophones présentes dans l’Est du Congo. Bob Kabamba :

"Cette problématique découle du fait qu’il fut un moment où on a dénié la nationalité congolaise à une partie de cette communauté rwandophone. Alors, pour défendre leurs droits, ces communautés se sont regroupées en groupes armés pour essayer de revendiquer leurs droits d’être Congolais. Et il y a eu plusieurs mouvements. Notamment au Sud-Kivu. Et les plus forts, ceux qui ont pu avoir un ancrage local, ce sont ceux du Nord-Kivu".

"Le premier qui va naître sera celui de Laurent Nkunda, le CNDP, le Conseil national pour le développement et le progrès. Ce mouvement va être défait par les militaires congolais".

Après l’arrestation du général Nkunda, un traité de paix est signé entre le CNDP et le gouvernement de la République démocratique du Congo, le 23 mars 2009.

En 2012, des soldats issus du CNDP se mutinent sous prétexte que les fameux accords du 23 mars 2009 tardent à produire leurs effets. Le mouvement va prendre cette date, M23, pour nom. Il poursuit ses activités sous le commandement du général Bosco Ntanganda. Ce dernier a été depuis lors condamné à 30 ans de prison par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Ce mouvement va ainsi croître jusqu’à pouvoir occuper des territoires et même la ville de Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu.

Première fin du M23

"Ces faits d’armes majeurs vont alerter au niveau international et on va arriver à se mobiliser pour mettre fin à cette dynamique conflictuelle perpétuelle. La communauté internationale, via une brigade d’intervention va permettre avec les Congolais de mettre fin à l’aventure du M23. On signe des accords, en 2013 censés mettre fin à cette préoccupation et à la revendication fondamentale de la nationalité congolaise et l’appartenance à la nation Congo. Avec comme conséquence, encore une fois, le retard dans la mise en œuvre de ces accords qui va faire en sorte que le M23 ressuscite, mais avec une nouvelle donne. Le M 23 devient pratiquement un enjeu régional".

Le M23 a repris ses opérations militaires il y a un an, plus près de la frontière avec l’Ouganda, avec une intensification des dernières semaines.

Soutien du Rwanda

Le gouvernement de la République démocratique du Congo et des rapports d’experts de l’ONU indiquent que derrière les activités du M23, c’est le Rwanda qui agit. Un avis partagé par Bob Kabamba :

"Oui, ça c’est indéniable. Quand on connaît la région, il est pratiquement difficile pour un groupe armé de contrôler un espace aussi grand. Le M23, en termes de territoire, occupe un espace quasiment équivalent à la totalité du Rwanda. Ce n’est pas un mouvement rebelle quelconque qui peut être en mesure de réaliser cela. Il faut des moyens lourds, c’est-à-dire de l’armement de guerre, de l’armement lourd qui permet de résister aussi bien à la Monusco (Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation en République démocratique du Congo – ndlr) qu’aux troupes congolaises".

Mise en cause américaine

Lors d'un appel, le 4 décembre dernier, le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a exhorté le président rwandais de cesser tout soutien à des factions rebelles congolaises. Son porte-parole, Ned Price a résumé:

Tout soutien externe à des groupes armés non-étatiques en RDC doit cesser, y compris le soutien du Rwanda au M23.

Une manière pour les Américains d'attester ce soutien, toujours nié par Kigali. 

L’opposition entre le Rwanda et la RDC

Mais quel serait alors l’intérêt du Rwanda de soutenir un mouvement comme le M23 ? Pour Bob Kabamba, derrière la motivation politique de soutenir un groupe ethnique Tutsi, semblable à l’ethnie au pouvoir au Rwanda, il faut discerner l’intérêt économique.

"Quand on dit "peser sur la dynamique politique", il faut toujours avoir à l’idée les intérêts économiques qui sous-tendent la volonté de piloter une mainmise sur la dynamique politique. Alors, enjeu économique : il y a maintenant des filières d’exportation de matières premières et de ressources naturelles qui sont identifiées. Elles viennent du Congo et doivent passer par le Rwanda pour se retrouver sur le marché international. Alors, le Rwanda a capitalisé de manière claire sur ces couloirs. Le commerce va donner une plus-value à ces matières premières. Le coltan qui quitte par exemple la province du Nord-Kivu à l’état brut. Il arrive au Rwanda. Le Rwanda a construit une usine de raffinage du coltan cassitérite pour pouvoir améliorer cette ressource naturelle et lui donner une plus-value sur le marché international. Ça rapporte à l’économie rwandaise. On a aussi le cas de l’or qui quitte le Congo vers le marché international. C’est de l’or brut. Il doit être raffiné. Et le Rwanda a mis en place une usine pour raffiner cet or. Maintenant, dans cette dynamique, vous avez l’Ouganda qui intervient pour aussi prendre sa part. Une part que l’Ouganda prend sur le quota, si je peux m’exprimer ainsi du Rwanda. Alors, pour casser cette dynamique, on ressuscite le M23 et ainsi, il devient un supplétif qui va faire en sorte que ces couloirs commerciaux continuent d’être sécurisés non plus par le Congo mais par le M23".

Négociations

Des négociations sont en cours, entre le Rwanda et le Congo, à Luanda. Sur un autre plan, le gouvernement de la RDC est autour de la table de négociation à Nairobi, avec divers mouvements armés actifs sur son territoire. Mais à Luanda, le M23 n’est pas concerné. Bob Kabamba :

"Il s’agit de négociations directes entre le Rwanda et le Congo qui ne concernent pas le M23. Donc, le M23, à chaque fois, dit qu’ils ne sont pas concernés par cette dynamique régionale. Eux, ils sont congolais, ils revendiquent d’être dans une dynamique nationale, une dynamique locale et de ne pas être intégré dans la dynamique régionale. Le Rwanda avance alors son argument : Oui, je suis prêt à négocier avec Kinshasa mais Kinshasa doit aussi négocier avec ses rebelles pour résoudre les problèmes qui se posent à l’est du pays. D’où, l’autre dynamique qui se passe à Nairobi, qui concerne les groupes nationaux congolais. Le Congo refuse que le M23 participé à cette dynamique nationale et qui est différente de la dynamique régionale qui se passe à Luanda. Alors, on tourne en rond et comme on tourne en rond, il n’y a pas de solution et la première victime c’est toujours la population civile qui se déplace par milliers et qui est victime des différentes exactions".

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