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Quelle politique de sécurité après les attentats de Bruxelles du 22 mars ?

Quelle politique de sécurité après les attentats de Bruxelles du 22 mars ?

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Par Christophe Wasinski

Ce mardi 22 mars, Bruxelles a été frappé par des attentats d'une grande brutalité. Les attaques menées contre des villes ne sont malheureusement pas une nouveauté. Depuis 2001, New York, Londres, Madrid, Paris, Tunis, Grand Bassam, Bamako, Istanbul ou encore Ankara ont également été visées. Dans ce texte, nous nous interrogeons sur l'impact des politiques de sécurité qui ont été mises en œuvre afin de faire face à ce type de menace sur la scène internationale.

Les politiques de sécurité mises en œuvre depuis une quinzaine d'années pour lutter contre la menace terroriste ont été durablement influencées par les décisions américaines faisant suite aux attentats du 11 septembre 2001. Les Etats-Unis, suivis avec plus ou moins de zèle et de rapidité par nombre de leurs alliés, se lancent alors dans une "guerre globale contre le terrorisme". Au cœur de cette initiative, la conviction que le recours aux forces armées s'imposait. Le discours de François Hollande déclarant que la France se trouvait dans une situation de guerre, 3 jours après les attentats de Paris du 13 novembre 2015, a confirmé ce phénomène. Sur un plan opérationnel, cette préférence pour l’option coercitive se concrétise entre autres par des déploiement de militaires américains, britanniques, danois, français, italiens, néerlandais en Afghanistan, en Irak, en Libye, au Mali, en Syrie, ou en Tunisie. Ajoutons que la Belgique participe à cette lutte militarisée. Ces dernières années, nos chasseurs-bombardiers F-16 ont ainsi été envoyés en Afghanistan et en Irak pour combattre, respectivement, les Talibans et Daech. Récemment, on a également appris qu'à la demande des Etats-Unis, le gouvernement pourrait autoriser ses pilotes à mener des bombardements en Syrie dans les mois qui viennent.

Cela fait donc une quinzaine d’années que les Etats-Unis et nombre de leurs alliés sont militairement engagés dans des opérations de lutte contre le terrorisme à travers le monde. Malgré cette durée et les moyens consacrés à cet effort, la menace n’a pas pu être éradiquée. Tout aussi problématique, le fait que l'apparition de la menace terroriste découle pour partie des conséquences d'interventions militaires menées par les Etats qui affirment lutter contre le phénomène. A cet égard, rappelons d’abord le rôle qu’a eu l’invasion de l’Irak en 2003 au motif d’armes de destruction massives pourtant inexistantes et de liens, tout aussi inexistants, entre Saddam Hussein et Al Qaeda. Les conséquences de cet événement en matière d'instabilité ont été dramatiques. La marginalisation de la communauté sunnite qui a suivi l'invasion américaine a largement contribué à la montée en puissance de Daech. Les effets se font aujourd’hui sentir non seulement en Irak mais aussi en Syrie.

Dans un second temps, il convient d’évoquer le rôle de l'intervention menée contre le régime de Mouammar Kadhafi par une coalition rassemblée à l’initiative de la France et de la Grande-Bretagne en 2011. Un mandat des Nations Unies autorisait cette coalition à user de la force afin de protéger les populations. Dans les faits, les puissances intervenantes usèrent de celui-ci pour abattre le régime en place. Il est difficile de ne pas établir un lien entre cette intervention et la violence persistante au sein de cet Etat. Plus encore, suite à cette intervention, des milices au service de Kadhafi se déplacèrent vers le Sud et participèrent à la déstabilisation du Mali où l’armée française intervint en 2013. Cette année, la France et les Etats-Unis ont à nouveau bombardé la Libye. Leur objectif était d'affaiblir un groupe local se réclamant de Daech et dont le développement à été facilité par l'instabilité ambiante.

Les interventions armées "classiques", ne constituent cependant pas le seul problème. Les Etats-Unis et leurs alliés ont également produit de l'instabilité de manière plus indirecte dans le contexte de la "guerre globale contre le terrorisme". En Afghanistan, les Etats-Unis se sont alliés à des seigneurs de la guerre locaux. En dépit de leur réputation désastreuse, les Etats-Unis les ont soutenus sur le plan financier et matériel, rendant d’autant plus difficile la stabilisation du pays. En 2006, les Etats-Unis ont aussi soutenu une désastreuse offensive éthiopienne contre la Somalie, contribuant à étendre la zone d’instabilité dans cette région. Les groupes rebelles soutenus par la CIA en Syrie sont considérés comme proche d’Al Qaeda, pourtant ennemi juré des Etats-Unis. Il se dit d'ailleurs que certaines armes fournies à ces groupes tombent finalement dans les mains d'éléments radicaux. Une masse d’équipements militaires livrée par les Etats-Unis à l’armée irakienne a quant à elle finit dans les mains de Daech, contribuant ici aussi à nourrir l’instabilité.

L'Arabie Saoudite, malgré sa tolérance vis-à-vis des mouvements les plus radicaux et son régime autocratique, n'a pas eu de problème pour se fournir en matériel militaire, y compris en Belgique. Une coalition menée par cet Etat a par ailleurs reçu le soutien de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis pour mener une brutale guerre au Yémen qui fait de nombreuses victimes civiles. Enfin, toujours dans le cadre de leurs engagements contre le terrorisme, les Etats-Unis et les Européens n’ont pas non plus toujours été très regardants quant à la nature de leurs alliés en Afrique, au Moyen Orient ou en Asie. Ainsi, dans sa guerre au Mali, la France s'est appuyée militairement sur son allié tchadien et a, par ce biais, contribué à légitimer la dictature de cet Etat. La Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis n’ont pas non plus cessé de soutenir, entre autres en lui fournissant des armes, le nouveau et répressif régime égyptien. Ce même régime s'est lancé dans de brutales opérations contre-insurrectionnelles contre Daech dans le Sinaï. Ces opérations n’ont pas été sans impact sur les populations civiles.

Torture sociale

Sans aucun doute, si l'on veut comprendre l'ensemble de ces éléments, il convient de garder à l'esprit la logique "eux contre nous" qui prévaut dans la conception guerrière de la lutte contre le terrorisme. Toutefois, à la lueur de l'étendue des dégâts causés par la politique de guerre contre le terrorisme, on peut se demander si le terme "guerre" est le plus adapté. Comme le propose le chercheur Chris Dolan, qui s’est spécialisé sur le conflit civil en Ouganda, le concept de "torture sociale" s’avère parfois bien plus pertinent pour comprendre la violence politique[1]. En utilisant ce terme, il est possible d'attirer l'attention sur le sort des civils A bien des égards, ce terme est adéquat pour décrire la situation des populations civiles en Afghanistan, en Irak, en Libye ou en Syrie qui se trouvent pris entre les terroristes et ceux qui mènent des actions armées antiterroristes. Ce sont ces populations qui subissent les destructions de leurs habitations et de leurs biens et sont accidentellement ou délibérément visées par les combattants.

Comme l’actualité récente l’a bien mis en évidence, le problème connait une dramatique dimension supplémentaire avec la question posée par les migrants. Les conflits qui frappent les pays évoqués ci-dessus sont une cause essentielle de la vague de migration actuelle. Les réactions des Etats européens, dont la Belgique, face à ces réfugiés se font de plus en plus dures. L’accord conclu entre les Européens et la Turquie l’illustre très bien. La tendance (certes pas totalement récente) à aborder la problématique sous l’angle sécuritaire plutôt qu’humanitaire, par exemple avec l’initiative de l’OTAN qui propose de recourir à la force armée afin de contrer les réseaux de passeurs, en atteste également. Ajoutons que sur la toile circulent déjà des images de dérives liées à cette appréhension sécuritaire de la crise, telles que celles de ces garde-côtes turcs provoquant volontairement des vagues autour d’une embarcation pleine de réfugiés. En définitive, la logique sécuritaire de la crise migratoire renforce à sa manière la dynamique de torture sociale.

Ce 17 mars 2016, Gilles de Kerchove, le coordinateur de l'Union européenne pour la lutte contre terroriste, affirmait dans l'émission Jeudi en Prime de la RTBF que plus on mettait la pression sur Daech, plus le risque d'attentat était élevé. Les actions militaires menées contre ce groupe auraient donc pour effet de provoquer un nouveau déplacement de la menace qui risque lui-même d'augmenter chez nous le danger. A l'heure où nous écrivons ces lignes, le bilan des attaques de Zaventem et de la station de métro Maelbeek du 22 mars 2016 est de 31 morts et 270 blessés. Il convient de très sérieusement s’interroger sur le lien entre ces victimes et les engagements militaires, auxquels la Belgique participe, dans le contexte de la guerre contre le terrorisme. Enfin, il existe aussi une crainte quant aux effets que peuvent avoir ces attentats sur la stigmatisation de la communauté musulmane et le durcissement des discours et décisions politiques domestiques. Autrement dit, ces attentats et leurs possibles conséquences posent eux aussi, à leur manière, la question de la dynamique de la torture sociale.

15 ans de guerre contre le terrorisme n'ont pas suffi à éliminer la menace et rien ne permet, à l’heure actuelle, de penser que la poursuite de cette politique va solutionner le problème. En dépit de cela, et malgré les dégâts catastrophiques causés par cette même politique, le gouvernement belge a fait savoir qu'il continuerait à participer aux actions militaires contre Daech en Irak et envisageait toujours d'étendre ses opérations à la Syrie. Il est pourtant urgent de repenser la politique de sécurité. En lieu et place de recourir à des outils militaires contreproductifs et de gaspiller nos ressources dans l'acquisition de nouveaux chasseurs-bombardiers qui risquent surtout de nous mettre en danger, il convient maintenant de réfléchir aux moyens de "désescalader" le conflit, de consacrer plus de ressources à la diplomatie ainsi qu'aux moyens policiers et juridiques de lutte contre le terrorisme. De cette manière, peut-être parviendront à dépasser la logique de la torture sociale.

(1) Chris Dolan, Social Torture. The Case of Northern Uganda, 1986-2006, New York et Oxford, Berghahn, 2009.

Christophe Wasinski est Maître de conférence en relations internationales à l'Université libre de Bruxelles

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