Quel rôle le barrage d’Eupen a-t-il joué dans les inondations de la vallée de la Vesdre ? Pourquoi ne pas avoir évacué?

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Par Lucie Dendooven

Le bilan de la catastrophe des inondations s’élève, actuellement, à 37 morts. Les communes riveraines de la Vesdre, Verviers, Dolhain, Pepinster, Chaudfontaine et Liège paient le tribut humain le plus lourd. On estime que deux décès sur trois proviennent de cette région.


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La mauvaise conjonction du trop-plein du barrage d’Eupen et les flots dévastateurs de la Helle

Le barrage d’Eupen a, peut-être, joué un rôle à cet égard. Au plus fort des précipitations exceptionnelles de mercredi dernier, le déversoir du barrage a relâché des masses d’eau, tout simplement parce que le lac avait atteint son trop-plein et qu’il ne pouvait plus contenir de surplus.

Par ailleurs, la Helle, une rivière qui se jette dans la Vesdre s’est transformé en un torrent dévastateur à Eupen. Ces deux éléments combinés expliquent-ils les nombreux témoignages de riverains qui évoquent deux tsunamis survenus dans la nuit de mercredi vers 2h et 3h du matin ?

L’usine Corman prise d’assaut par deux tsunamis durant la nuit du mercredi

Pour mieux s’en rendre compte, nous avons recueilli le témoignage de Vincent Mazy, directeur de l’usine Corman à Baelen, non loin du barrage d’Eupen. L’entreprise, productrice de crèmes et de beurre (notamment le fameux beurre Balade) emploie 400 personnes dans la région et consomme près de 10% de la production laitière belge. Elle est complètement à l’arrêt aujourd’hui. Il nous raconte comment se sont déroulées la journée et la nuit du mercredi14 juillet.

"Nous avons eu le bon sens d’évacuer l’usine au cours de la journée. Nous avons construit une digue de 4 mètres 50 de haut avec un canal de dérivation et nous avions un terrain de deux hectares qui pouvait faire tampon en cas d’inondation normale. Toute la journée le niveau de l’eau est monté. Et au milieu de la nuit, deux tsunamis ont arraché des troncs d’arbre, en amont, qui ont explosé toute la partie de l’usine qui était le plus en amont."

Il poursuit : "Dans ces hangars, nous avions des 'cubitainaires' de matière grasse qui faisaient 1 tonne chacun. Ils ont été emportés par le courant et sont partis, comme des obus, avec la Vesdre. La vision ici est apocalyptique. Le site a été complètement dévasté, non par un niveau d’eau qui monte, mais par une force mécanique dévastatrice."

Ce patron s’interroge. Pourquoi ne pas avoir demandé aux habitants de Dolhain, Verviers, Pepinster, Chaudfontaine d’évacuer quand il en était encore temps ?

Pas de lâcher d’eau du lac d’Eupen mais le trop-plein s’est déversé dans la Vesdre et la rivière Helle s’est déchaînée

D’autres s’interrogent sur la force des éléments. Certains évoquent un lâcher d’eau du barrage d’Eupen. Mais les gestionnaires du barrage rejettent ces accusations. Alors, que s’est-il produit exactement ?

Le lac peut contenir jusqu’à 25 millions de mètres cubes d’eau. Serge Toussaint, porte-parole du SPW (Service public de Wallonie) qui gère le barrage d’Eupen nous explique qu’ils ont reçu dès lundi une alerte jaune de l’IRM (Institut royal météorologique).

Mais, malgré cette alerte, ils décident de ne vider qu’un peu d’eau juste pour avoir de la marge. Le porte-parole précise : "Mardi, nous avions une réserve de 5,6 millions de M3 d’eau dans notre barrage." Pourtant, le lendemain, mercredi à 22h45, les gestionnaires du barrage constatent que le barrage est plein. Les eaux atteignaient leur hauteur maximale : 361 mètres.

Il enchaîne : "A partir du moment où nous n’avons plus de capacité de retenue, tout ce qui rentre dans le lac est obligé de sortir. Le barrage ne retient plus d’eau supplémentaire."

Autrement dit, tout ce qui était en surplus ressort, illico, par le déversoir du barrage. Et le porte-parole d’ajouter : "Le barrage n’a pas débordé et nous n’avons pas lâché les vannes du barrage. Par contre, il y a eu une vague de pluie très importante."

Le rôle de la Helle ?

Autre témoignage sur le terrain, celui de Claudia Niessen, la bourgmestre d’Eupen. "Toutes les infrastructures de la ville basse, hall de sports, tennis, piscine, infrastructures communales et quelques maisons ont été détruites La Vesdre a débordé chez nous mais c’est surtout la rivière Helle qui a joué un rôle dévastateur", déclare-t-elle

Selon Claudia Niessen, "la Helle peut être détournée vers le barrage d’Eupen mais, à l’évidence, ça n’a pas été le cas car ici les masses d’eau de la Helle ont charrié des tonnes de pierre. Sa vitesse et sa force étaient incroyables emportant avec elle des containers, des voitures et des câbles."

Or, la Helle se jette dans la Vesdre au niveau de la ville basse d’Eupen. Les courants de la Vesdre et de la Helle ainsi que le déversoir du barrage d’Eupen, tous ces éléments ont joué un rôle majeur dans la force des éléments qui se sont déchaînés en aval de la vallée.

© La Helle en furie à Eupen
La Helle a charrié des milliers de blocs
La Helle a charrié des milliers de blocs © Tous droits réservés

Une mauvaise gestion préventive des eaux du barrage d’Eupen

Certains, comme le professeur de l’ULiège Damien Ernst, affirment que le gouvernement wallon a commis une erreur. Si le barrage d’Eupen avait vidé ses réserves quelques jours plus tôt, le pire aurait pu être évité.

Patrick Willems, professeur d’hydrologie et de sciences fluviales à la KU Leuven, convient que la catastrophe aurait pu être minimisée : "Si vous calculez ce qui est tombé et regardez l’impact concret, avec un contrôle un peu plus efficace du lac, beaucoup de dommages auraient pu être évités surtout dans la bande d’Eupen à Verviers.

Et l’expert de la KULeuven de constater que les barrages de Butgenbach et Robertville, gérés par Engie-Electrabel ont eu une gestion préventive plus efficace car ces barrages ont vidé leurs réserves dès lundi. L’expert conclut : "C’est clair que le barrage d’Eupen aurait dû fonctionner de façon plus préventive."

Il aurait fallu vider le barrage 48h avant les pluies de mercredi

Xavier Fettweis, climatologue à l’ULiège ne dit pas autre chose : "Le barrage d’Eupen a un rôle de bassin d’orage et de rétention des crues. Il aurait fallu vider le barrage d’Eupen 48h avant les pluies de mercredi. L’IRM était clair lundi matin pour affirmer qu’on allait vers des taux de pluviosité de 150 mm d’eau. Toute l’eau qui arrive dans le barrage une fois qu’il est plein et ressort directement. Il y a eu maldonne dès lundi, quand l’IRM évoquait des chutes de pluie de 150 mm. Dans la réalité, nous avons été au-delà de 200 mm. Mais si tous les barrages avaient été vidés préventivement, on aurait pu éviter une bonne partie de la casse. Ce genre d’événements va encore survenir. Il faudra anticiper beaucoup mieux ces événements à l’avenir. "

Aujourd’hui, la bourgmestre de Verviers, Muriel Targnion, réclame au Parlement une commission d’enquête.

Des riverains de la Vesdre, quant à eux, remettent sérieusement en cause la gestion du barrage d’Eupen et envisagent un recours collectif devant un tribunal civil. C'est le cas notamment de nombreux habitants de Chaudfontaine, rassemblés dans le collectif "People against flows"

Ils demandent ainsi qu’une enquête objective et indépendante soit menée afin d’établir la vérité sur les dysfonctionnements intervenus aux barrages d’Eupen et de la Gileppe durant la nuit du 14 au 15 juillet, mais aussi durant les semaines précédentes. "La communication calamiteuse vers les communes, auxquelles on a dit que les évacuations n’étaient pas nécessaires", estime-t-il.

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